Fil d'Ariane
TV5 MONDE : quels sont les enjeux de cette désignation comme "organisation criminelle transnationale" ?
Les États-Unis ont aujourd'hui trois raisons de placer Wagner sur leur liste. D'abord, nommer une réalité : Wagner est une organisation criminelle terroriste, tout le monde le voit. Elle fonctionne en terrorisant la population, commet des atrocités incroyables en Ukraine actuellement mais ailleurs aussi, avec une activité totalement génocidaire : on rase des villes, il y a des meurtres systématiques de civils, de femmes, d’enfants, des viols.
(Re)lire : les États-Unis désignent le groupe Wagner comme une organisation criminelle internationale
Deuxièmement, c’est un message envoyé au monde sur la vraie nature du groupe. Il rétablit la vérité par rapport aux propos totalement édulcorés de Vladimir Poutine. Wagner est une organisation paramilitaire et terroriste, elle pratique la terreur et elle agit “officiellement” ou presque : Evgueni Prigojine, (le dirigeant du groupe Wagner ndlr), se targue maintenant d’être mandaté par la Russie, alors qu’il y a quelques mois encore, Vladimir Poutine prétendait n’avoir jamais entendu parler de Wagner. Là, nous voyons bien que c’est une armée de la terreur au service d'un État.
(Re)voir : qui sont ces mercenaires du groupe russe Wagner ?
En Ukraine, nous parlons d'une armée de 50 000 personnes et l’essentiel sont des prisonniers qui sont sortis des prisons russes pour rejoindre Wagner. Ce sont des gens sans foi ni loi, qui sont payés pour tuer, pour violer et qui se paient sur la bête, avec des pillages. Nous ne sommes plus du tout dans le cadre des règles de la guerre. Wagner commet des crimes de guerre en permanence. C’est assez nouveau, cette arrivée du privé qui vient doubler un État et qui vient faire la guerre, de la pire des manières, en son nom.
Désigner Wagner comme organisation criminelle indique à tous ceux qui voudraient recourir à leurs services, en Afrique ou ailleurs, que cette organisation est absolument sulfureuse et reconnue par la communauté internationale comme dangereuse et devant être poursuivie.
Troisièmement : il y a des sanctions, notamment financières.
Quelle sont ces sanctions et ont-elles vraiment un impact ?
Il s'agit du gel des avoirs à l’étranger, notamment pour les membres dirigeants de Wagner. Il s'agit aussi de l'interdiction pour les citoyens américains de coopérer de quelque manière que ce soit avec Wagner et notamment d’avoir des transactions financières avec ses membres ou ses dirigeants. Nous parlons également de l'interdiction d’obtenir des visas. Il y a aussi la possibilité de poursuites par des tribunaux.
C’est toujours un peu la même chose mais ces sanctions ont un véritable impact et on le voit notamment pour les oligarques proches de Poutine. Aux États-Unis, il y a déjà eu plusieurs trains de sanctions du Congrès concernant Wagner, qui remontent jusqu’au rôle de l’organisation en Crimée en 2014. Il y a aussi eu la Syrie, où Wagner a été la main terroriste de Bashar al-Assad, il y a eu le Soudan, où ils ont soutenu Omar El-Béchir. Aujourd’hui il y a bien sûr l’Ukraine mais aussi la Libye, la République centrafricaine, le Mali, où ils agissent de manière encore plus intense depuis le repli des Français.
(Re)voir : Centrafrique : comment le groupe russe Wagner finance ses activités dans le pays ?
On provoque des vagues économiques un peu partout avec ces sanctions économiques, mais il y a un impact direct pour les gens concernés. Et on voit qu’il y a une véritable coordination entre l’Union européenne et les États-Unis, la Grande-Bretagne, les démocraties en général. Il y a un front occidental à la fois sur le plan militaire pour aider l’Ukraine et pour se passer des informations sur les gens concernés.
Est-ce qu’en les classant comme organisation criminelle internationale, nous nous dirigeons vers plus de poursuites contre Wagner, notamment par des organisations comme Interpol ?
Cela ouvre des voies de recours devant différentes instances notamment la Cour pénale internationale, la Cour européenne etc. L’action n’est pas pénale, donc il n’est pas question d’Interpol ou de police, ce n’est pas le même champ : il s’agit de crimes de guerre. En nommant les choses, nous ouvrons la voie à des poursuites, même si ce sera sûrement dans un deuxième ou un troisième temps.
Pour le moment, il est difficile de dire comment la situation va évoluer, puisque c’est un paysage nouveau. Il y a toujours eu des milices, mais une organisation qui occupe des lignes de front en Ukraine, qui se substitue à une armée d’État en n'ayant aucune règle, si ce n’est la terreur et le crime… Je ne crois pas qu’on ait vu ce genre de chose, de cette ampleur-là, dans l’histoire récente et nous sommes démunis face à cela.
(Re)voir : comment fonctionne le groupe Wagner ? Marat Gabidullin, ex-mercenaire témoigne
Mais la chose la plus important est de dire de quoi il s’agit ! Surtout quand nous avons une guerre non seulement sur le terrain mais qui implique aussi les réseaux sociaux. C'est une dimension de Wagner que nous oublions souvent : il n’y a pas que des mercenaires ou des tueurs. Il y a aussi tout une activité de propagande, de cyberinfluence.
Les États-Unis connaissent bien cet aspect, puisque d’après le renseignement américain, Wagner a influencé le résultat des élections présidentielles de 2016 et des midterms de 2018.
(Re)lire : vidéos anti-françaises en Afrique : "Wagner est dans une approche prosélyte"
Faire de la propagande, interférer dans les élections etc., c’est un autre type d’activité terroriste, moins visible mais tout aussi dangereuse. Aujourd'hui, il n’est plus simplement question de guerre d’opinion : nous contestons les faits ! La vérité devient quelque chose d’arbitraire, il est donc important de dire les choses, aussi bien pour les décideurs et les chefs d’États que pour la population : cette organisation commet des crimes, qui relèvent pour certains des crimes de guerre voire de génocide - et nous avons pour mission de les poursuivre et de les arrêter.