Fil d'Ariane
L'édito de Slimane Zeghidour
Yahya Sinouar en juillet 2022 prononçant un discours dans la ville de Gaza.
Oui, « c’est un tournant » affirme le chef de l’État français, Emmanuel Macron, qui y voit le moment opportun pour concrétiser la libération des otages et instaurer le cessez-le-feu. Pour Joe Biden, le président américain, la mort du chef du Hamas « ouvre un chemin vers la paix ». Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, lui, parle seulement du « début de la fin » de l’interminable carnage. En un mot comme en mille, il n’y a aucun répit ni trêve à l’horizon.
Mais, au fait, qu’est que « fin de la guerre » veut dire pour le chef du gouvernement israélien ? C’est tout simple, il l’a fortement souligné dans son discours confirmant la mort de Yahya Sinouar, à savoir que les miliciens du Hamas capitulent sans condition aucune quant à leur sort, sortent de leurs caches, déposent leurs armes, libèrent tous les otages. Il s’est aussitôt attiré depuis Doha, au Qatar, un rappel sans appel de la condition sine qua non du Hamas pour mettre fin au conflit en cours. D’abord, un cessez-le-feu définitif, puis la libération de prisonniers palestiniens de Cisjordanie occupée et, enfin, un retrait militaire total d’armée de tout Gaza, jusqu’au dernier soldat, martèle Khalil Abou Hayya, figure « diplomatique » du mouvement et négociateur chevronné sur la question des otages.
"Israël gagne toutes les batailles mais il est en train de perdre la guerre"
Voilà qui n’incite guère à l’optimisme, tant ce conflit inexpiable opposant l’armée d’une mini superpuissance nucléaire, aérienne, balistique, navale et par ailleurs champion de la cyber-sécurité à une milice n’ayant aucun de ces attributs de la guerre moderne. Il y a lieu, pour autant, de rappeler que depuis un demi-siècle, en clair depuis la guerre du Kippour qui l’a opposé à la Syrie et à l’Egypte, Israël n’affronte que des milices et qui plus est sur leur propre terrain. Ainsi, le champ de bataille n’est plus le désert ou la plaine mais la ville, les faubourgs surpeuplés, les bidonvilles, les camps de réfugiés.
Le champ de bataille n’est plus le désert ou la plaine mais la ville, les faubourgs surpeuplés, les bidonvilles, les camps de réfugiés.
À cette aune et dans un tel « décor », le bilan est écrit d’avance : Israël en ressort « vainqueur », sur le plan militaire s’entend mais chaque fois plus amoindri sur le volet moral et diplomatique. La dévastation sans précédent de la bande de Gaza a suscité une clameur d’indignation d’un bout à l’autre de la planète. Y compris aux États-Unis, l’allié jusqu’ici indéfectible dont le soutien, y compris parmi les juifs, se lézarde peu à peu. « Israël gagne toutes les batailles mais il est en train de perdre la guerre » écrit dans Le Monde, à propos du conflit en cours, l’historien et ex-diplomate israélien, Elie Barnavi.
Il s’agit d’un conflit idéologique rappelle l’ancien directeur-adjoint du Mossad, Ram Ben-Barak et non d’une confrontation classique entre le mouvement politico-militaire palestinien et l’armée israélienne.
Des Palestiniens marchent à travers les destructions laissées par l'offensive aérienne et terrestre israélienne sur la bande de Gaza près de l'hôpital Shifa dans la ville de Gaza, le lundi 1er avril 2024.
Et il se nourrit non de l’idéologie du Hamas, un nationalisme ombrageux teinté d’islamisme radical, mais de l’aspiration des Palestiniens, chrétiens, musulmans et autres, à un État souverain ; une aspiration d’autant plus vivace qu’elle jouit d’une légitimité internationale unanime, y compris de la part de l’État d’Israël, lequel en a admis le principe lors des Accords d’Oslo, il y a déjà plus de trente ans. Un principe néanmoins dénoncé et rejeté par un vote de la Knesset le 17 juillet dernier, et ce quand bien même dans le cadre d’un éventuel accord de paix.
Quid alors de la mort de Yahya Sinouar dans l’équation d’un conflit qui est d’abord de type national et qui oppose deux peuples aspirant chacun à un État souverain sur le même territoire historique ? À ceci près que l’un, Israël, en a déjà un, élargi aux dépends de l’autre qui lutte depuis un demi-siècle de lui arracher le sien qu’il occupe. Il n’y a aucune solution militaire répètent, et depuis longtemps, quasi unanimement, généraux et patrons du Mossad, le fameux service secret et de l’Aman, le renseignement militaire, c’est un conflit politique, insistent-ils, et c’est donc aux politiques et non aux seuls officiers d’en trouver les clés.
La balle est désormais dans le camp de Netanyahou ; à lui de démontrer qu’il n’est pas seulement un chef de guerre, mais un homme d’État.
« Après presque 50 ans d’assassinats, nous comprenons que c’est un élément fondamental du jeu. Certes, il est parfois nécessaire d’assassiner un dirigeant de haut rang mais croire que cela pourrait changer la donne et qu’une organisation idéologique s’effondrera parce que l’on a tué l’un de ses dirigeants, ce serait une grossière erreur », en conclut le colonel Michael Milshtein, un ancien de l’Aman.
Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France exhortent Israël, depuis la mort de Yahya Sinouar, à changer de fusil d’épaule et à revenir à la table des négociations, face à un Hamas non seulement affaibli mais surtout représenté forcément par une aile plus politique, celle dont les chefs sont toujours exilés au Qatar et qui pourront donc désormais prendre leur décision sans attendre la validation de l’aile militaire, hier encore installée à Gaza. La balle est désormais dans le camp de Netanyahou ; à lui de démontrer qu’il n’est pas seulement un chef de guerre, mais un homme d’État.
En attendant, son parti, le Likoud se prépare à organiser, ce lundi 21 octobre, un meeting public non loin de Sdérot, appelant rien moins qu’à une « recolonisation » du territoire, sous le mot d’ordre « Gaza est à nous, à jamais ! ». Israël continuera-t-il ainsi à y « tondre le gazon », selon l’expression du ministre de la Défense, Yoav Gallant ?