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Yanick Lahens : "sans le fait colonial, le récit national est incomplet"

L’écrivaine haïtienne Yanick Lahens a inauguré ce 21 mars la nouvelle chaire "Mondes francophones" au Collège de France. Une façon d’illustrer la diversité francophone au sein d'une institution française et de "décoloniser les savoirs". En quoi ce signe d'ouverture est-il un événement ? Éléments de réponse avec Pascal Blanchard, historien spécialiste du "fait colonial" et de l’histoire des immigrations en France.

TV5MONDE : pourquoi a-t-il fallu attendre 2019 pour instituer une chaire "Mondes francophones" au Collège de France ? 

Pascal Blanchard : c’est un très bon reflet du retard que la France a sur un certain nombre de questions, que ce soit en histoire, en littérature, en géographie, en philosophie, en culture. On a eu beaucoup de mal à décentrer notre regard, notre capacité à nous ouvrir à des littératures ou des cultures croisées, à nous ouvrir aux autres.
Penser de la sorte a appauvri notre culture, notre capacité à entrer en résonnance avec le temps actuel, un temps qui est métissé, mondialisé. On n’est plus capable de comprendre le monde qui nous entoure et on fabrique un savoir qui est totalement en déconnexion avec les respirations de notre temps. Ce n’est que sous la pression du contexte que cette évolution survient, parce que cette pression est plus forte que celle du conservatisme. Les institutions n’ont plus le choix. Le temps gagne toujours sur ces questions-là.

TV5MONDE : en quoi cette ouverture, même tardive, est-elle un événement ? 

Pascal Blanchard : finalement, cela fait événement au nom de l’absence. On pourrait plutôt dire : "quel terrible pays qui n’a pas été capable de faire cela plus tôt !" Que cela fasse l’événement est presque paradoxal car c’est un événement au nom de ce retard, c’est donc un non-événement. On se met seulement à se rendre compte qu’un regard croisé, ouvert au monde, est tout simplement devenu la norme. On est en retard. On compense quelque chose qui devient inacceptable et inexplicable. Je me souviens quand Alain Mabanckou (écrivain franco-cogolais, ndlr) a intégré le Collège de France, nous étions tous extrêmement heureux. C'était le premier homme noir à pouvoir enfin parler sous la coupole de l'institution. Mais en même temps, c'était presque terrible de se dire qu’il avait fallu attendre autant d'années.

TV5MONDE : comment aller plus loin ? 

Pascal Blanchard : Le Collège de France tente à sa façon de s'ouvrir, notamment en considérant l'Histoire beaucoup plus en connexion avec le présent. Mais je pense qu'il pourrait aller encore plus loin, sur les questions concernant le post-colonialisme par exemple. 

TV5MONDE : est-ce que la question de la diversité répond à un besoin politique ? 

Pascal Blanchard : oui, et d'ailleurs c'est très cohérent dans la politique actuelle du gouvernement. Il y a une tendance à vouloir changer la manière même dont se pensent les relations France-Afrique et dont l'espace francophone doit être pensé. Demander et proposer à Leïla Slimani de porter cette réflexion est un signe en soi de révolution. Repenser ce qu'est être francophone. Est-ce que cela est trop tard ? Je pense que oui. Lorsque vous parlez de francophonie en Afrique, les gens se disent : "cela fait 40 ans que tout est rapporté à la France. La francophonie n'est pas la France." La France est un élément de la francophonie, c'est tout ! 

Aller plus loin : Sanjay Subrahmanyam, historien indien, est l’un des promoteurs de l’histoire globale, aussi appelée histoire connectée. Revoir son entretien dans le 64' de TV5MONDE en 2016 :