Yassin Salhi, dans les méandres français du salafisme

L’itinéraire encore mystérieux de l’auteur présumé de l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier, qui prétend avoir agi sur un coup de tête, repose la question des groupes salafistes présents en France, et celle de leurs liens avec les filières djihadistes.
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Cazeneuve
Le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, répond aux journalistes après l'attaque de Saint-Quentin-Fallavier, vendredi 26 juin.
© AP Photo/Laurent Cipriani
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Yassin Salhi et ses mystères: la police française, qui peut encore garder quatre jours en garde à vue l’auteur présumé de l’attentat contre l’usine Air Products de Saint-Quentin-Fallavier interpellé vendredi, n’a semble-t-il obtenu jusque-là que des aveux parcellaires d’un individu soit déboussolé, soit manipulateur, soit les deux.

De retour dimanche pour une nouvelle perquisition dans l’appartement familial des Salhi à Saint-Priest, dans la banlieue lyonnaise – après avoir relâché l’épouse et la mère du suspect –, les services antiterrroristes semblent en effet partagés entre deux thèses à propos de ce chauffeur livreur de 35 ans, qui a avoué avoir tué sur un parking son patron, Hervé Cornara, avant de précipiter son fourgon contre un entrepôt rempli de bonbonnes de gaz: celle d’un individu au tempérament erratique, initié à l’islam radical dans le passé à Pontarlier (lire ci-dessous) et finalement acculé à vouloir se suicider «à la manière djihadiste» pour sortir d’une impasse familiale et professionnelle. Ou celle d’un militant aguerri de la cause salafiste qui, après avoir adopté pendant des années un profil bas pour sortir du collimateur des services de renseignement, serait passé à l’acte sur «commande». Avec pour cible une usine chimique et la volonté de semer l’effroi, comme paraît l’attester la découverte sur son téléphone portable d’un selfie macabre, avec la tête décapitée de sa victime, envoyé vers la Syrie, via le Canada.

Entre ces deux thèses, le premier ministre français a en tout cas tranché, en estimant que ce nouvel attentat illustrait «une guerre de civilisation» contre «notre société et nos valeurs», qui exige «une lutte de longue haleine». Manuel Valls avait déjà déclaré à la mi-janvier «la guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l’islam radical» devant l’Assemblée nationale après les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Un argument utilisé pour justifier notamment le renforcement des pouvoirs des services de renseignement, acté par l’adoption définitive le 24 juin d’une nouvelle loi facilitant les interceptions téléphoniques et leur exploitation.

Si guerre il y a, un ennemi paraît désormais désigné par l’itinéraire de Yassin Salhi: le courant salafiste dont l’aile la plus dure, souvent constituée autour de groupes animés par une personnalité charismatique, à la manière d’une secte, s’est efforcée ces dernières années de prendre le contrôle de plusieurs mosquées, notamment à Vénissieux, où Yassin Salhi aurait été aperçu. La décision prise par les autorités tunisiennes, dimanche, de fermer 80 lieux de culte salafistes après l’attentat de Sousse, accrédite la thèse de la dangerosité de ce mouvement, pour partie pacifique et «piétiste», qui prône la lutte contre les «envahisseurs» des pays arabes, et revendique le retour à un islam des origines. La présidente du Front national, Marine Le Pen, a immédiatement embrayé, appelant à une interdiction similaire en France, où une soixantaine de mosquées ou salles de prière seraient – sur environ 2500 – sous cette obédience musulmane, dont une quinzaine dans la région lyonnaise. La question de la diversité de représentation des 5 à 6 millions de musulmans français reste épineuse, malgré les injonctions du gouvernement en faveur d’une formation mieux coordonnée des imams. Deux institutions se disputent le magistère religieux de l’islam de France: le Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003 et interlocuteur favori des pouvoirs publics, et le Conseil théologique musulman de France (CTMF), constitué le 25 mai avec en son sein plusieurs personnalités issues de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, avec lesquels le courant salafiste est en lutte.

Autre sujet ravivé par l’attaque de Saint-Quentin-Fallavier: celui des filières djihadistes. Si Yassin Salhi, qui pour l’heure prétend avoir agi après une confrontation avec son patron et des difficultés familiales, a bien envoyé son selfie macabre à l’étranger, la question de son destinataire et d’un éventuel réseau va se poser. On se souvient que les frères Kouachi, en janvier, avaient revendiqué leur attentat contre Charlie Hebdo au nom d’Al-Qaida au Yémen, et que l’étudiant algérien arrêté le 19 avril, Sid Ahmed Ghlam, avait aussi évoqué un «donneur d’ordres».

Selon le récent rapport parlementaire sur les filières djihadistes françaises, 1700 Français et résidents seraient en contact, dans l’Hexagone, avec ces mouvances. En mai, environ 160 enquêtes avaient été ouvertes, dont 94 sur l’islamisme radical et 53 sur les filières irako-syriennes. Le rapport indique que 190 islamistes radicaux sont aujourd’hui détenus en France, dont 152 en attente de jugement. Le dernier procès en date avait lieu la semaine dernière à Paris. Il concernait 14 prévenus autour du site internet Forsane Alizza, accusé de vanter le djihad armé. Neuf ans de prison ferme ont été requis contre «l’émir charismatique» du groupe, Mohamed Achamlane.

Article à lire sur le site du journal Le Temps