La coalition dirigée par l'Arabie saoudite a mené dans la nuit et la matinée du jeudi 23 avril 2015 de nouveaux raids contre des positions rebelles un peu partout au Yémen. Des combats ont également opposé des factions rivales, notamment dans la ville d'Aden.
Mardi 21 avril, le gouvernement saoudien avait pourtant annoncé que la phase intensive des frappes était terminée, mais qu'il se réservait la possibilité d'intervenir de nouveau si des mouvements rebelles se faisaient menaçants.
Quelle est la situation au Yémen en terme d’eau et d’assainissement ?
En 2012, sur les 24 millions d’habitants au Yémen, 13 millions n’avaient pas accès à l’eau potable et à un assainissement correct. Chaque année, 3000 personnes meurent de diarrhée. Les zones urbaines sont relativement bien couvertes en assainissement (93% de la population) et correctement couvertes en accès à l’eau eau (72%). Mais ce n’est absolument pas le cas des zones rurales qui ont des taux de couverture très faibles. Plusieurs facteurs expliquent ce retard. Il y a une reconnaissance nationale du droit à l’eau mais pas à l’assainissement. La stratégie mise en oeuvre par le gouvernement pour assurer un accès à l’eau aux populations pauvres qui vivent dans les bidonvilles, les zones péri-urbaines et les zones isolées est presque inexistante. Le Yémen consacre 100 millions de dollars par an, soit 0,3% du PIB, pour le secteur eau et assainissement. C’est très peu. L’absence d’outils de pilotage des indicateurs est également préjudiciable.
A cause de l’explosion démographique, l’accès à l’eau potable est passé de 66% à 55%. L’assainissement, lui, progresse de 24% à 53% mais reste extrêmement faible et en retard.
Quels sont les effets du conflits sur cette situation déjà alarmante ?
Action contre la faim travaille essentiellement dans l’Ouest du pays où la situation nutritionnelle est catastrophique. Suite au conflit, nous avons réduit notre effectif présent sur place à une centaine de personnes. Nous avons dû déplacer la coordination à Oman et installer une base à Djibouti pour irriguer le Yémen en produits d’alimentation, d’assainissement et en eau. Nous concentrons nos actions aux gouvernorats d’Hodeidah (Ouest), d’Aden (Sud), et de Lahij (Sud-Ouest). Nos interventions sont risquées puisque les locaux d’ACF à Sanaa ont récemment été bombardés. Heureusement, sur les quinze personnes présentes pendant l’attaque, aucune n’a été blessée.
La situation humanitaire est donc complexe et préoccupante. On parle de 150 000 déplacés en un mois. Avant le conflit, on estimait que 60 000 personnes avaient besoin d’une assistance humanitaire. Le pays est donc très fragilisé. Les bombardements saoudiens ont aussi détruits des réseaux ou infrastructures d’eau et d’assainissement. Une réhabilitation est impérative. Il faut que les bombardements cessent pour que nous puissions intervenir. Pour l’instant, on aide la population à survivre avec de l’alimentation, de l’eau en citerne, des kits de traitement de l’eau (pastilles de chlore).
Le Yémen est-il emblématique d'une défaillance plus générale ?
Le Yémen est caractéristique de la situation mondiale. Les pays en développement ont des indicateurs en eau et assainissement faibles. Dans le monde aujourd’hui, 800 millions de personnes n’ont pas accès à une eau de bonne qualité, deux milliards utilisent de l’eau contaminée, 2,6 milliards n’ont pas accès à un assainissement et un milliard de personnes défèquent dans la rue ou dans les champs. Cela engendre forcément des problèmes de dignité humaine, de santé publique et d’environnement. Quand on sait que les cas de diarrhée sont liés aux conditions sanitaires, qu'ils vont de pair avec la malnutrition, et qu’en plus tout cela se mêle aux changements climatiques et à l’explosion démographique, la situation de l’eau et de l’assainissement devient critique.
C’est un secteur mal financé au niveau mondial (à hauteur de 6,6%), même s’il est une priorité en terme de santé publique. Quand on ajoute les urgences humanitaires, les désastres naturels et les conflits on parle de 300 millions de personnes touchées par les problématiques liées à l’eau chaque année. C’est énorme.
Vous participiez au 7ème Forum Mondial de l’Eau en Corée.
Qu’en est-il ressorti ?
Les décisions prises au Forum Mondial de l’Eau ne sont pas coercitives parce qu’elles n’émanent pas des Nations-Unies, mais elles dessinent le paysage de l’eau et de son assainissement. La centaine de ministres présents ont décidé de réaffirmer le besoin d’avoir un objectif sur l’eau et l’assainissement dans le mandat du projet post 2015, date de fin des objectifs du Millénaire pour le développement. Les États ont aussi confirmé le droit à l’eau et à l’assainissement. Ensuite, il y a eu des débats sur le changement climatique puisque l’eau en est le premier élément impacté (problèmes agricoles, de sécurité alimentaire etc.). La question de l’urgence humanitaire a également été abordée, car en plus des enjeux de développement, les catastrophes liées à l’eau sont des catastrophes humanitaires qui nécessitent une coordination, un financement et des engagements des États.
Il est nécessaire d’articuler les agendas d’urgence et de développement. C’est une prise de conscience qu’ACF a fortement poussée. Qu’il y ait du développement est un bonne chose, mais il ne faut pas oublier les urgences fortement liées aux conflits, comme au Yémen. Le partenariat entre les Nations-Unies, les compagnies privées, les États, les organismes de recherche, la société civile et les ONG a également été réaffirmé pendant ce Forum.
Quelles sont les zones qui vont d’abord subir les changements climatiques ?
Le changement climatique est un vrai enjeu. Les zones à fort risque d’assèchement sont l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient. Le continent africain s’urbanise très vite, on parle d’urbanisation sauvage (habitats informels), et le boom démographique qui l’accompagne exploite dangereusement la ressource en eau. Si on les combine avec les aléas climatiques, on obtient d’importants risques d’assèchement.
Ces zones ne sont pas les seules concernées par l’assèchement. Beaucoup de capitales sont très imperméables (trottoirs, routes, parkings) et n’essaient pas de préserver la ressource hydrique. Certaines villes comme Brasilia ont une approche plus respectueuse de l’environnent. Pour les autres, on accroît la raréfaction de la source.
L’eau dans le monde, d’après Unicef
Sur les 800 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable, 90% vivent dans des zones rurales.
En moyenne, près de 1 000 enfants meurent chaque jour de maladies diarrhéiques. Elles sont liées à de l’eau non potable, à un mauvais assainissement ou à une hygiène insuffisante.
Les Africains passeraient 40 milliards d’heures chaque année à marcher pour aller chercher de l’eau. Environ la moitié des décès d’enfants de moins de cinq ans se produisent dans cinq pays : l’Inde, le Nigéria, la République démocratique du Congo, le Pakistan et la Chine. Ces pays comptent un nombre élevé d’habitants n’ayant pas accès à des sources d’eau et installations sanitaires améliorées.
Les objectifs de développement pour le Millénaire et les objectifs connexes, fixés en 1990, pour l’eau et l’assainissement étaient :
- La réduction de moitié en 2015 la proportion de personnes sans accès durable à l’eau salubre.
- La réduction de moitié en 2015 la proportion de personnes sans accès à l’assainissement de base.
Environ 2,3 milliards de personnes ont pu obtenir un accès à des sources améliorées d’eau potable depuis 1990. En 2015, 83 % de la population mondiale dispose de meilleures sources d’eau potable.
L'eau au Yémen, d'après Unicef
En moyenne, 140 mètres cubes d'eau sont disponibles par personne chaque année. Dans les régions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, la moyenne est de 1 000 mètres cubes par personne et par an.
Il n’y a que 167 millimètres de précipitation par an, et seulement quelques réservoirs peuvent recueillir cette eau de pluie.
Un rapport d'enquête sur l'eau, réalisé en 2012, suggère que la majeure partie de la population yéménite n'a pas accès à des sources d'eau propres et à un assainissement adéquat.
Avant le conflit, la situation était déjà désastreuse : 30% des infrastructures d'approvisionnement en eau dans les zones rurales ne fonctionnaient pas. La question de l’approvisionnement en eau potable est cruciale pour endiguer les risques d’épidémie.