Depuis les manifestations de 2011, le pays s’enfonce dans une nouvelle crise politique. Les dernières avancées des rebelles chiites du Nord sur le territoire yéménite réveillent des tensions séparatistes qui divisent le pays… jusqu’à mettre en danger son intégrité. Explications.
Syrie, Irak et Libye occupent le devant de la scène diplomatique. De pays qui sombrent dans le chaos alors que des combats ont toujours cours entre forces gouvernementales, étrangères, groupes rebelles et islamistes.
Le Yémen, davantage dans l’ombre médiatique, est lui aussi au bord de l’implosion. La situation n’a fait qu’empirer depuis les Printemps arabes qui ont soufflé un vent de révolution sur le pays en 2011, entraînant la destitution du président en place depuis 33 ans : Ali Abdallah Saleh.
Après avoir traversé plusieurs guerres civiles, des interventions étrangères (de l’Arabie saoudite notamment), une révolution dite « oubliée », et l’émergence d’un foyer d’Al Qaida, cible des drones américains, les chiites du pays sont désormais en lutte ouverte contre le nouveau pouvoir central qui peine à remettre ses institutions en ordre de marche.
Alors qu’ils tiennent la capitale yéménite et la radio d’Etat depuis le 21 septembre, les rebelles chiites –issus du zaïdisme – viennent d’étendre leur présence dans les provinces d’Ibb et de Dhamar du sud de Sanaa et ont pris, mardi 15 octobre, un important port yéménite sur la Mer rouge et quatrième ville du pays : Hodeida (voir la carte ci-dessous).
En prenant Sanaa, les rebelles se sont emparés de sites militaires dont celui de l’état major des forces armées, et plus important encore, ils ont saisi leurs munitions. Avec la prise d’Ibb, les Houthis ont établi des barrages à son entrée et mis en place des points de contrôle autour de cette ville qui représente un des fiefs de leurs adversaires : le parti islamiste sunnite Al-Islah, soutenu par l’armée, l’Arabie saoudite et le Qatar.
Offensive
En somme, de belles prises pour les rebelles chiites, représentant environ un tiers de la population, qui poursuivent ainsi leur offensive hors de leur base de Saada, située dans le nord du pays, région où ils sont majoritaires.
Par ces progressions sur l’est du territoire, et faisant fi d’accords de paix, ils montrent aussi qu’ils comptent bien dicter leur calendrier des réformes et les nominations des conseillers du gouvernement au nouveau Premier ministre.
Que se passe-t-il au Yémen ?
Explications de notre éditorialiste Slimane Zeghidour
16.10.2014Interview par Mohamed Kaci
Les miliciens du mouvement Ansaruallah n’en sont pas à leur nouveau coup d’éclat. Cet été, les rebelles chiites du nord sont descendus dans la rue pour demander la baisse des prix du carburant et la démission du gouvernement. Le 11 septembre, ils signaient finalement un accord avec les autorités yéménites qui devaient entraîner le retrait des rebelles d’une partie de la capitale qu’ils occupaient, ainsi que la nomination d’un nouveau Premier ministre.
Mais la situation n’a fait que s’aggraver et les tensions séparatistes ne font que s’amplifier. L’histoire se répète dix jours plus tard avec un accord politique parrainé par l’ONU et signé le 21 septembre suite à des combats opposants les chiites au parti islamiste sunnite Al-Islah et qui ont fait plus de 270 morts. Cet accord prévoit à nouveau le retrait des miliciens chiites de Sanaa et la nomination d’un nouveau chef de gouvernement.
Le président Hadi par intérim tient parole et nomme le 7 octobre Ahmed Awad ben Mubarak. Mais il ne restera que quelques heures en poste, rejeté par les rebelles chiites. Il serait trop proche des États-Unis et de l’Arabie saoudite. Echec.
Le 13 octobre, les Houthis acceptent finalement Khaled Bahah, 49 ans, nommé à la tête du gouvernement yéménite. Ce dernier occupait jusqu’à présent le poste d’ambassadeur du Yémen à l’ONU et avant, celui de ministre du Pétrole (2006-2008). Après cette annonce, les rebelles avaient accepté de démanteler leurs camps autour de la capitale Saana.
Mais une fois encore, ils ne tiennent pas leur promesse. Bien au contraire. Ils poursuivent leur offensive dans l’Ouest du territoire, au-delà de la capitale. Dans quel but ?
Morcellement
Disposer de davantage de pouvoirs. Les Houthis sont soupçonnés de vouloir rétablir le régime monarchique de l’imamat zaïdite aboli en 1962 pour laisser place à une République.
Les rebelles chiites connaissent une histoire mouvementée avec le pouvoir central qui a lancé six opérations militaires contre eux entre 2004 et 2010. Mais leur offensive réveille surtout les velléités des indépendantistes du sud qui ont manifesté mardi 14 octobre à Aden.
Les sudistes veulent retrouver la République indépendante qui a existé entre 1967 et 1990, dirigée alors par un régime communiste, satellite de l’ex URSS. En 1994, un mouvement essaie de rompre cette union entre le Yémen du Sud et du Nord au prix d’une guerre civile violemment réprimée par l’armée. Face au chaos qui règne dans le nord du pays, les séparatistes du sud relancent aujourd’hui le mouvement.
Instabilité
Ces derniers événements rappellent également le caractère instable du Yémen, pays pauvre à majorité sunnite. La montée des Houthis n’est pas seulement rejetée par les sunnites d’Al-Islah ou les sudistes mais aussi par les membres d’Al Qaida de la Péninsule arabique (Aqpa) très actif dans sud-est du pays. Ces derniers jours, ils ont perpétré des attentats contre des sympathisants de rebelles chiites faisant 67 morts.
Depuis la chute du président Ali Abdallah Saleh en 2011, le groupe terroriste Al Qaida a profité de l’affaiblissement du pouvoir central pour renforcer son emprise sur une partie du pays.
Et le groupe le paye cher. Les membres d’Aqpa (et les civils) sont la cible des drones américains qui mènent dans la région une importante action contre-terroriste.
Mardi 15 octobre, les États-Unis annonçaient offrir 45 millions de dollars pour « toute information conduisant à la localisation du patron d’Al Qaida dans la Péninsule arabique (Aqpa) ». Cette annonce vise directement le Yéménite Nasser al-Wahishi et sept autres cadres dirigeants du groupe armé.
Le pays dont les institutions sont paralysées, se trouve ainsi écartelé entre les intérêts des différents mouvements…jusqu’à quand ? L’État, pour l'instant, reste absent.