Le camp de Zaatari accueille plus de 120 000 réfugiés syriens. Les familles s'entassent dans des tentes et des « caravanes », et survivent grâce à l'aide internationale. Les maladies se propagent, l'eau se fait de plus en plus rare alors que les températures atteignent 40 degrés dans la journée. A la dureté des conditions de vie s'ajoutent les traumatismes et l'épuisement psychologique. Reportage.
Le camp de Zaatari ouvert en août 2012 accueille désormais plus de 120 000 réfugiés, en majorité des femmes et des enfants. La plupart viennent de la région de Deraa. En moyenne 2000 personnes arrivent chaque jour au camp. (DR)
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Oum et Abou Hamza et quatre de leurs enfants. Ils ont fui leur village près de Deraa en avril. Ils vivent désormais à sept dans une tente. (DR)
« Plutôt mourir en Syrie que de vivre ici » s'est dit Oum Hamza (les noms ont été changés, pour des raisons de sécurité - ndlr) la première fois qu'elle a mis les pieds à Zaatari au mois d'Avril, avec son mari et ses cinq enfants âgés de 2 à 15 ans. Elle dissimule son visage derrière un voile noir orné de fleurs rouges pour les photos, par peur d'être identifiée.
Après une traversée éprouvante, les Syriens survivent avec l'angoisse accrochée aux tripes. Ils ont peur des représailles sur leurs proches restés en Syrie, et sont traumatisés par l'horreur de la guerre qui se déroule à quelques kilomètres du camp. Oum Hamza accepte de parler, mais ne veut pas que l'on dévoile son identité et son visage, pour protéger sa famille. Elle et sa famille ont fui les bombardements dans leur village situé dans la région de Deraa.
Le camp est géré par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies. Chaque famille reçoit une tente, ou une caravane, sorte de mobile-home qui doivent peu à peu remplacer les tentes. Zaatari abrite désormais plus de 120 000 réfugiés , devenant la cinquième « ville » de Jordanie. La région est aride. Le camp s'étend à perte de vue dans un nuage permanent de poussière. Les enfants cavalent au milieu des cailloux pour faire voler les cerfs-volants.
Situé dans une région aride, les ressources en eau sont limitées ; chaque jour, des camions citernes apportent plus d'un million de litres d'eau. Selon les réfugiés, elle est souvent de mauvaise qualité et rend les gens malades. (DR)
L'eau, un bien rare
A Zaatari, l'eau est le principal problème. L'été approche, elle devient de plus en plus rare, et sale. « L'eau rend les gens malade : beaucoup d'enfants sont atteints de diarrhées et de vomissements », raconte Oum Hamza, entourée de sa progéniture. Le camp est alimenté par des camions citernes, et la qualité de l'eau n'est pas toujours au rendez-vous. « Parfois, elle arrive jaune, on ne s'en sert que pour nettoyer ». Pour la rendre buvable, ils laissent des bouteilles en plein soleil toute la journée : « on ne peut pas la faire bouillir car cela coûte cher de remplir la bouteille de gaz ». Plus loin, des enfants remplissent des seaux estampillés « HCR » à un point d'eau constitué de plusieurs robinets d'où coulent de minces filets d'eau.
Derar al Jarrah, infirmier pour Médecins du Monde, explique comment utiliser une solution de réhydratation. (DR)
La petite dernière d'Oum Hamza, âgée de 2 ans, est malade : « elle fait de la fièvre à répétition ». Les files d'attentes sont longues dans les cliniques tenues par les ONG. Les maladies pullulent dans le camps, les hôpitaux sont bondés : l'hiver a été marqué par les maladies pulmonaires liées au froid. Avec l'arrivée de l'été, les médecins font face à une recrudescence des diarrhées, des allergies liées aussi à la poussières, et aux cas de déshydratation – en majorité des enfants. A la clinique de l'ONG Médecins du Monde, l'infirmier Derar al Jarrah distribue à des femmes des solutions de réhydratation à donner aux enfants, et ré-explique les gestes d'hygiène simples pour éviter la propagation des maladies : se laver les mains, se couper les ongles, essayer de prendre une douche le plus régulièrement possible, et mettre les ordures dans des sacs fermés, « car beaucoup d'enfants jouent dedans, et tombent malades à cause de cela ».
Le docteur Mohammed al Manasrah en consultation à la clinique de Médecins du Monde. Tous les jours, près de 50 personnes viennent se faire soigner ici. (DR)
Se laver à Zaatari relève de l'expédition. Oum Hamza et sa famille doivent marcher 20 à 25 minutes pour se rendre aux douches collectives : « c'est extrêmement sale, et l'odeur est infâme » raconte Manal, sa fille de 14 ans. « On a peur d'attraper des maladies, ajoute sa mère, mais n'on a pas le choix, il faut bien qu'on prenne une douche ». Avec la forte densité de population, les maladies se propagent vite à Zaatari. La gale et les poux prolifèrent, explique le docteur Mohamed al Manasrah, médecin jordanien pour Médecins du Monde. Ouvert en août 2012, le camp s'est agrandi à une vitesse que personne n'avait prévue, et la situation sanitaire demeure critique : « pour un camp de réfugiés, l'offre sanitaire est acceptable, explique le médecin. Mais ces gens ont tout perdu, et les conditions de vie qu'ils connaissent n'atteignent pas le minimum de leurs conditions de vie précédentes ».
Sur l'allée principale rebaptisée « Champs-Elysées », des boutiques ont fleuri dont celle-ci qui loue des robes de mariée et vend des produits de beauté (DR)
En Syrie, Abou Hamza, le mari d'Oum Hamza, était chauffeur privé. La famille vivait correctement. Aujourd'hui, ils vivent à sept sous une tente alors que les températures approchent les 40 degrés dans la journée, et leur unique source de revenus vient de la revente d'une partie de la ration alimentaire qu'ils reçoivent du Programme Alimentaire Mondial. De nombreux réfugiés revendent une partie de leurs boîtes de conserves à l'intérieur du camp pour gagner de quoi subsister. Car tout se paye dans le camp : eau potable, gaz, nourriture supplémentaire... etc. Sur une allée du camp rebaptisée les « Champs-Elysées », des petits commerces ont ouvert : entre les étals de pain et de légume se trouve aussi une boutique de robes de mariées et de produits de beauté : « Zaatari est comme une ville maintenant, et dans une ville normale, les gens se marient », raconte le vendeur.
Abu Hamza était chauffeur privé en Syrie. Aujourd'hui, la famille n'a plus rien. A la dureté des conditions de vie s'ajoute l'épuisement psychologique, l'humiliation, et les traumatismes de la guerre. (DR)
Des réfugiés traumatisés et psychologiquement à bout
Oum Hamza est épuisée par l'exil et les conditions de vie à Zaatari. Elle vit dans l'angoisse: « psychologiquement, on se sent mort » nous confie-t-elle, « pour moi, c'est mourir en douceur, sans que personne ne fasse rien ». Au poids de l'exil et aux traumatismes de la guerre en Syrie s'ajoute l'humiliation: la plupart des réfugiés de Zaatari avaient une situation en Syrie. La majorité vient de la région de Deraa, dans des zones semi-urbaines. La famille d'Oum Hamza ne roulait pas sur l'or mais vivait décemment. Aujourd'hui, ils n'ont plus rien, vivent entassés dans une tente, et attendent les rations d'aide alimentaire. Ses enfants n'ont plus la force d'aller à l'école.
« Beaucoup craquent quand ils viennent nous voir », raconte le docteur al Manarsah, « on traite aussi leur mal être psychologique, en plus des maladies physiques ». Les femmes seules sont encore plus vulnérables dans le camp.
En attendant les rations alimentaires distribuées par le Programme Alimentaire Mondial (DR)
Fatima (dont le nom a aussi été modifié pour des raisons de sécurité - ndlr) a la trentaine, et est célibataire. Sa sœur aussi. Elles viennent de la région de Deraa , où les femmes sont mariées très tôt, à 16 ou 17 ans. Fatima raconte que des hommes venaient rôder autour de sa tente où elle vivait avec sa sœur. « On avait peur des jeunes hommes célibataires » confie-t-elle. De longs silences ponctuent son récit, et le mot « harcèlement » n'est jamais prononcé, par honte et par pudeur.. Elle réussit finalement à obtenir une « caravane ». Mais le harcèlement reprend : « Des hommes venaient toquer à la porte le soir, ou tard dans la nuit. On savait ce qu'ils voulaient, car on l'avait déjà vécu en Syrie ».
Pour être protégée, elle est allée voir le responsable de sa rue au sein du comité de quartier. Constitués de réfugiés volontaires, ces comités organisés par quartier se réunissent pour évoquer les problèmes et sont devenus des interlocuteurs des ONG, formant ainsi un début de gouvernance au sein de Zaatari. Chaque personne peut ainsi aller rapporter ses problèmes au responsable de sa rue. Fatima a réussi à obtenir des « gardes » dans sa rue. Depuis, elle et sa sœur ne sont plus importunées.
La Jordanie accueille plus de 440 000 réfugiés Syriens (ce nombre comprend ceux enregistrés ou en attente de l'être auprès du Haut Commissariat aux Réfugiés de l'Onu). En moyenne, 2 000 personnes arrivent tous les jours à Zaatari. Mais d'autres, moins nombreux, repartent par bus entiers, préférant l'insécurité en Syrie que la misère et l'humiliation en Jordanie.