Fil d'Ariane
Le président ukrainien a répondu à la volonté de Donald Trump de négocier en direct avec Vladimir Poutine. Seule une armée européenne, intégrant l'armée ukrainienne, peut défendre le continent. Réaliste ?
Volodymyr Zelensky (à gauche) avec le chancelier allemand Olaf Scholz, lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, samedi 15 février 2025.
Volodymyr Zelensky a choisi son issue de secours, coincé entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Le président ukrainien l’a désignée dans son discours prononcé à la Conférence sur la sécurité de Munich, samedi 15 février 2025. Il s’agit de la création d’une "armée européenne" dont l’armée ukrainienne serait partie prenante à tous les niveaux, de la production d’armes – en particulier de drones – jusqu’aux unités combattantes.
Cet appel à une armée européenne a du sens. Pour Volodymyr Zelensky, seule une union des forces déployées actuellement par les pays européens membres de l’OTAN (l’Alliance atlantique dominée par les États-Unis) peut permettre de relever le double défi qui s’annonce : d’une part la pression militaire toujours plus forte de la Russie qui, selon lui, envisage d’ouvrir un second front via la Biélorussie, et d’autre part la volonté affichée de l’administration Trump de ne plus garantir la sécurité de ses alliés. Logique. Implacable. Qui pour défendre l’Europe sinon l’Europe elle-même ?
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Volodymyr Zelensky a ainsi témoigné, dans cette conférence de Munich qui se tient presque trois ans après l’agression russe contre l’Ukraine du 24 février 2022, de l’habileté politique et diplomatique qu’on lui connaît. Il n’a bien sûr, à aucun moment, reproché à Donald Trump de parler directement au téléphone avec Poutine, même s’il a reconnu "ne pas être content" et s’il a affirmé qu’une négociation sans l’Ukraine et sans les Européens est impossible et inacceptable.
Il a, en revanche, noirci au maximum le tableau de la Russie de 2025. Oui, Vladimir Poutine est un danger pour les pays de l’Union européenne. Oui, l’industrie militaire russe produit des armes destinées à être utilisées contre l’Europe. Oui, l’armée russe forme de nouvelles unités en vue d’une offensive qui pourrait ébranler les pays Baltes.
Le Kremlin rejette l'idée d'un échange de territoires occupés avec l'Ukraine. Et après ? La force de Zelensky, ce président dont le mandat s’est officiellement achevé en 2024 – de nouvelles élections n’ont pas pu avoir lieu en raison de la guerre et de la loi martiale en Ukraine – est de dire tout haut ce que les dirigeants de l’UE n’osent pas assumer : il faut une armée européenne. Seule cette garantie de sécurité sera tenable et crédible à terme.
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On résume : le dirigeant ukrainien ne veut plus que son pays soit seulement le bouclier de l’Union européenne, en envoyant ses soldats résister à l’armée de Poutine. Il veut que l’Ukraine soit le pivot d’une nouvelle donne militaire continentale.
Possible pour les Européens de l’accepter ? Et si oui, comment ? À ces deux questions, Volodymyr Zelensky sait qu’il est très peu probable d’obtenir des réponses concrètes.
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D’abord parce que l’architecture de sécurité depuis la fin de la seconde guerre mondiale n’a pas été faite pour que les Européens assurent eux-mêmes leur défense. L’OTAN était LA garantie. C’est pour cela que trente pays européens en font partie, aux côtés des États-Unis et du Canada. Deux sont des puissances nucléaires, la France et le Royaume-Uni. Deux sont d’anciens pays neutres, qui ont rejoint l’Alliance après le déclenchement de la guerre en Ukraine : la Finlande et la Suède.
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À tous, Donald Trump ordonne désormais de consacrer 5% de leur Produit Intérieur Brut (PIB) à la défense, et d’acheter le plus possible de matériel militaire "Made in USA". Hors leurs budgets militaires, les pays de l’OTAN contribuent tous financièrement au fonctionnement de celle-ci. En 2023 et 2024, les principaux contributeurs européens étaient l’Allemagne (15,88% du budget commun de 2,3 milliards d’euros, comme les États-Unis), la France (10,19%), l’Italie (8,53%) et l’Espagne (5,82%). Les autres États membres ont tous une quote-part inférieure à 5%.
Ensuite parce qu’une armée européenne impliquerait un niveau de fédéralisme pour l’heure inacceptable pour la plupart des peuples et des gouvernements. La dernière tentative – ratée – fut celle de la Communauté européenne de défense en 1954, rejetée par le Parlement français. Aujourd’hui, le principal avocat d’une défense commune est Emmanuel Macron. "C’est le moment pour l’Europe d’accélérer et d’exécuter", vient de déclarer le président français au Financial Times, tout en mettant en garde contre le risque d’échec pour l’UE : "Elle n’a pas le choix. Elle est poussée hors de la route". Mais comment transformer ces paroles en actes ?
Volodymyr Zelensky vient de faire à Munich ce qu’il sait faire de mieux : renvoyer le ballon à ses alliés européens. Prendre l’initiative. Faire preuve de courage face à l'adversité. Problème : si personne, au sein de l’Union européenne, ne se lève pour dire "allons-y ensemble", son appel restera lettre morte. Et Donald Trump, mais surtout Vladimir Poutine, auront compris le message…
Les reportages de Richard Werly sont à retrouver sur le site d'information Blick <https://www.blick.ch/fr/>.