Fil d'Ariane
Face à l’épidémie de Covid-19, certains pays font le pari d’imposer la vaccination à certaines catégories de population, voire à leur totalité. Comment expliquer les modalités choisies ? Comment cette mesure peut permettre de lutter contre le Covid-19 ? Éléments de réponse.
La Cour Suprême des États-Unis examine ce 7 janvier l’obligation vaccinale dans les grandes entreprises. Pendant ce temps, l’Italie est en passe d’imposer la vaccination contre le Covid-19 à tous ses ressortissants de plus de 50 ans. Quant aux Autrichiens, ils devront tous être vaccinés contre le Covid-19 à compter du mois de février.
Dans de nombreux pays, l’obligation vaccinale, partielle ou totale, séduit de plus en plus. Comment expliquer ces différences en matière de choix de populations à soumettre à l’obligation vaccinale ? Dans quelle mesure cette stratégie peut s’avérer efficace dans la lutte contre le Covid-19 ?
Déjà, il est important de noter que l’obligation vaccinale n’est pas un concept nouveau. Serge Slama, professeur de droit public à l’Université de Grenoble-Alpes explique qu’il « existe déjà d’autres cas d’obligation vaccinale ». « Par exemple en France, depuis quelques années il y a onze vaccins obligatoires pour tous les petits enfants », précise Brigitte Autran professeure émérite d’immunologie à Sorbonne Université. « Dans les pays occidentaux, il y a au moins 50 à 70% des populations qui sont déjà vaccinées et qui ont un esprit très positif vis-à-vis de la vaccination », ajoute-t-elle.
Le législateur doit mesurer le bénéfice de la vaccination par rapport au risque encouru, à la fois individuel et collectif.
Serge Slama, professeur de droit public
« Pour protéger la santé individuelle et collective, le législateur peut rendre obligatoire des vaccinations », poursuit le professeur de droit. Mais afin de pouvoir mettre en place cette obligation, il y a certaines mesures à prendre en compte. « Dans la mesure où la vaccination obligatoire porte atteinte à la liberté personnelle et à l’intégrité du corps humain, le juge constitutionnel vérifie que l’appréciation faite par le législateur n’est pas manifestement inadéquate », détaille Serge Slama. Et pour mesurer cette proportionnalité, il faut faire la balance entre le bénéfice et le risque. « Le législateur doit mesurer le bénéfice de la vaccination par rapport au risque encouru, à la fois individuel et collectif », précise-t-il.
C’est comme ça qu’est faite la santé publique, elle ne peut pas s’appliquer d’une seule façon à la Terre entière.
Brigitte Autran, professeure émérite
En France par exemple, l’obligation vaccinale s’applique aux personnels de santé parce que « le rapport bénéfice/risque est très fort », selon Serge Slama. D’une part, ils sont très exposés face aux infections et d’autre part, ils sont susceptibles de transmettre d’autres infections.
Pour Brigitte Autran, « la perception par chaque pays des contraintes sociétales et locales » joue dans les décisions. Par exemple, l’Italie privilégie le désengorgement des hôpitaux, d’où le choix d’obliger les personnes de plus de cinquante ans, soit les personnes les plus susceptibles d’être hospitalisées pour cause de Covid, à se faire vacciner. Et aux États-Unis, la priorité est le maintien de l’activité économique qui justifie l’application de l’obligation vaccinale aux grandes entreprises.« C’est comme ça qu’est faite la santé publique, elle ne peut pas s’appliquer d’une seule façon à la Terre entière. »
En revanche, une chose reste similaire dans tous les cas de figure où l'obligation vaccinale est mise en place. « À partir du moment où il y a obligation vaccinale, l'État s'engage, l'État oblige, l'État punit ceux qui ne veulent pas se faire vacciner », précise la professeure d'immunologie. Ainsi, l'obligation vaccinale se traduit par la mise en place de sanctions à l'encontre de ceux qui ne la respectent pas.
Les sanctions établies en cas de non-respect de l'obligation vaccinale « doivent être proportionnées », estime Serge Slama. Dans certains cas, la sanction peut être clairement établie. « Pour les personnels de santé, c’est la suspension, donc ils ne peuvent pas travailler », explique le professeur de droit.
Mais cette application se heurte toutefois à un obstacle. « Le problème, c’est que la sanction n’est pas aussi évidente lorsque l’on touche à la population générale », poursuit le professeur de droit. Faut-il mettre en place une amende en cas de non-respect de l'obligation ? « Ce n’est pas forcément équitable », selon Serge Slama, en raison des inégalités financières. Mais pour lui, il ne faut « pas mettre en prison quelqu’un qui refuse de se faire vacciner. La sanction doit être proportionnée. »
Serge Slama estime qu’une sanction plausible serait au niveau de la prise en charge hospitalière. « Comme sanction possible pour une personne non vaccinée -dont le refus de jouer collectif pèse sur la collectivité, pourquoi ne pas prévoir un moins bon remboursement comme c’est déjà le cas en Polynésie », détaille-t-il. En revanche, il est « hors de question de ne pas soigner quelqu’un qui n’est pas vacciné. » Le professeur de droit se veut toutefois rassurant : « Il y aura toujours des gens qui ne se feront pas vacciner, mais l’essentiel c’est d’avoir une bonne couverture vaccinale. »
Serge Slama estime que d’ici peu, la question de l’obligation vaccinale gagnera le monde entier. Si l’on revient au début de la crise sanitaire, il y avait des pays qui allaient à contre-courant des restrictions, et qui ont fini par les adopter. En ce moment, le même phénomène se reproduit avec l’instauration du passe vaccinal. « Et l’étape suivante sera de voir la plupart des pays adopter des formes d’obligations vaccinales. »
Pour Brigitte Autran, la question à se poser n'est pas « est-ce que l'obligation vaccinale est efficace pour lutter contre le Covid-19 », mais « est-ce que les vaccins sont efficaces pour lutter contre le Covid-19. » Son constat est le suivant : « on a réussi à contrôler la précédente vague de contamination grâce à la vaccination. Les courbes de contaminations se sont cassées dans toutes les populations vaccinées. » Si son efficacité est réduite sur le variant Omicron, « il y a 85% d'efficacité dans la prévention des formes graves », affirme-t-elle.
« Ce n'est pas la question ni de l'obligation vaccinale, ni du vaccin, c'est l'horloge », poursuit Brigitte Autran. Autrement dit, elle estime que la meilleure manière de lutter contre le virus est de rapidement vacciner la population, surtout la plus fragile. Même si pour la vague Omicron, « c'est un petit peu tard, ça vaut quand même le coup de poursuivre la vaccination », affirme la professeure.
La vaccination obligatoire va s’imposer dans différents pays selon des périmètres ou modalités différents.Serge Slama, professeur de droit public
« Même si le variant Omicron peut créer une forme de mémoire immunitaire, on ne va pas se débarrasser comme ça de la pandémie », estime Serge Slama. De ce fait, « la vaccination obligatoire va s’imposer dans différents pays selon des périmètres ou modalités différents. »
Mais elle ne permettra pas pour autant de mettre un terme à l’épidémie. « On va mater la sorcière avec le vaccin, décrit Brigitte Autran. On va vivre avec et ça sera un virus de plus, c’est sûr maintenant. La stratégie zéro Covid, c’est une illusion. »