Débat : l'art doit-il s'adapter à l'IA ou l'IA doit-il s'adapter à l'art ?

En marge du sommet pour l’action sur l’Intelligence artificielle, 34 396 artistes et créateurs ont signé une tribune dans laquelle ils s’inquiètent des effets de l’IA sur leurs métiers. Ont-ils raison d’avoir peur ? Nous avons posé quelques questions à Hugo Caselles-Dupré, artiste et chercheur en IA.

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Hugo Caselles-Dupré, Directeur de recherches et co-fondateur d'Obvious qui crée de l'art via l'IA |

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TV5MONDE : Les artistes doivent-ils être inquiets face à l'intelligence artificielle ?

Hugo Caselles-Dupré : Je pense que les artistes ont raison d'être inquiets. Regardons des plateformes comme Spotify par exemple, qui s'intéressent à la création de musique par intelligence artificielle. Si on peut arrêter de payer des artistes et que ces plateformes peuvent créer elles-mêmes de la musique, c'est arrangeant. Les plateformes peuvent ainsi récupérer la totalité des revenus de streaming. Il est évident que vivre dans un monde où la musique est remplacée par des machines, alors qu'à la base la musique est un vecteur d'émotions, ça ne colle pas.

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TV5MONDE : Ce sont les plateformes de streaming le danger ? 

Hugo Caselles-Dupré : Ce qui est sûr, c'est qu'elles essaieront de récupérer un maximum d'argent pour faire en sorte que le business tourne. C'est vraiment aux gouvernements de réguler cela. C'est pour ça que nous, artistes, dans nos œuvres et dans nos messages en général, on essaie de pointer ces problèmatiques-là et d'ouvrir le débat. D'une manière générale, on ne parle pas du tout assez d'un futur désirable avec l'IA. On se concentre très souvent sur les problèmes, sur les choses qui pourraient mal se passer. C'est souvent le cas avec les nouvelles technologies, en tout cas en France. Je dirais que dans d'autres pays anglo-saxons, on a plus d'optimisme. Il faut penser aux dangers mais aussi aux bienfaits, et à partir de tout ça, essayer de prendre les bonnes décisions.

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TV5MONDE : À quels bienfaits pensez-vous pour les musiciens ?

Hugo Caselles-Dupré : L'IA peut aider les artistes musicaux à fabriquer leur musique. Ça peut être un vrai facilitateur dans ces métiers. Mais cela ne concerne pas seulement la musique. 

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Prenez le cinéma. Dans le cas des effets spéciaux, l'IA peut être un outil pour produire des effets spéciaux à moindre budget avec des qualités incroyables. C'est une aubaine pour les petits studios amenés à fabriquer des films originaux, ce qui est intéressant. En revanche, pour celles et ceux qui travaillent dans le doublage, il ne faut pas se mentir, ce métier est vraiment en danger. Les doubleurs aujourd'hui crient haut et fort leur peur pour leur métier car ils vont, d'une certaine manière, très probablement disparaître.

TV5MONDE : C'est inéluctable ?

Il faut qu'il y ait une réponse du gouvernement pour essayer d'accompagner ces personnes-là dans la transition technologique qu'impose l'IA. Mais ce n'est pas inéluctable ! On peut voir le cas de l'Europe aujourd'hui avec la GDPR (NDLR : le Règlement général sur la protection des données), ce règlement européen qui essaye de défendre les droits numériques des Européens. On voit que face à des Meta ou Google, l'Europe arrive à imposer des choses. Les Américains ne peuvent pas forcer les Européens à utiliser des pratiques qui ne sont pas conformes avec leurs régulations. Après, il faut le faire en bonne intelligence. Ça, c'est une autre question qui revient aux politiques. 

TV5MONDE : Vous dites qu'il y a un narratif autour de l'IA un peu trop pessimiste.

Est-ce qu'on ne parle pas assez d'un futur désirable avec l'IA ? Par exemple, dans le parcours de création d'artistes qui exposent dans les galeries ou les musées, il n'y aura pas vraiment de remplacement par l'IA selon moi. Ces artistes-là font de la création pure et ce qui compte c'est l'intention de la personne qui crée.

C'est ce qu'on a pu voir avec Marcel Duchamp (NDLR : peintre et plasticien français) depuis les années 1900. C'est un grand défenseur de cette thèse. Pour lui, l'art repose plus sur l'idée que l'artiste a voulu transmettre plutôt que sur le résultat plastique. C'est l'intention artistique qui prime. Et, comme l'IA n'a pas d'intention, il ne peut y avoir d'IA qui soit artiste et qui puisse remplacer les artistes. 

En revanche, dans le monde de la création et du travail, je pense aux personnes qui font du design graphique, ou comme je l'ai dit, aux personnes qui font du doublage ou des effets spéciaux, l'IA devient soit un outil, soit un danger.

TV5MONDE : L'IA reste-t-il un outil technique ?

Pas seulement ! L'IA nous oblige aussi à nous questionner sur notre propre humanité. Sur nos valeurs et notre morale. La question est : quelle humanité voulons-nous construire ?  Nous, dans notre petit rôle d'artistes, on essaye d'amener notre pierre à l'édifice pour qu'au moins, les personnes soient au courant et sensibilisées à ce qui existe. L'idée est que nous ne soyons pas passifs et que nous découvrions pas les choses après la prise des décisions.