Autodafé du Coran en Suède : jusqu'où peut aller la liberté d'expression ?

Protestations diplomatiques, indignation internationale, intrusion dans l'ambassade de Suède à Bagdad : la manifestation, au cours de laquelle plusieurs pages du Coran ont été brûlées devant une mosquée, à Stockholm, a de sérieuses répercussions. Le Premier ministre suédois prend ses distances avec de tels actes.

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Un manifestant musulman devant l'ambassade suédoise à Kuala Lumpur en Malaisie tient une affiche appelant au boycott de la Suède, en réponse à l'autodafé d'un Coran à Stockholm - 27 janvier 2023. 

AP Photo/Vincent Thian
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Isolé ou non, l’acte commis en Suède par un réfugié irakien qui a mis le feu à un Coran ranime le risque de sérieuses répercussions voire de représailles y compris violentes. 

Les autorités suédoises en ont d’autant plus conscience que le précédent cas d’autodafé de Coran, réalisé le 21 janvier près de l’ambassade de Turquie à Stockholm par le militant d’extrême droite dano-suédois Rasmus Paludan, a affecté son projet stratégique d’adhésion à l’Otan, bloqué par Ankara qui reproche par ailleurs à Stockholm l'accueil de Kurdes militants ou sympathisants du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), groupe politique armé considéré comme terroriste par plusieurs pays et ennemi juré du régime turc. 

Le fait de profaner quelque chose tenue pour sacré par quelqu'un d'autre est un acte d'hostilité aggravé.
Sophie Gherardi, co-fondatrice du Centre d'étude du fait religieux contemporain (Cefrelco)

Le Premier ministre suédois l’a d’ailleurs rappelé le 30 juin, trois jours après que le réfugié irakien Salwan Momika a brûlé publiquement plusieurs pages du Coran dans le cadre d’une manifestation. « C’est difficile de savoir quelles en seront les conséquences. Je pense que nous devons aussi réfléchir en Suède. C’est une question sérieuse de sécurité, il n’y a pas de raison d’insulter des gens », a indiqué le dirigeant conservateur suédois Ulf Kristersson.

« La manifestation de l’autodafé est clairement un acte public et politique, c’est un acte d’hostilité », indique Sophie Gherardi, co-fondatrice du Centre d'étude du fait religieux contemporain (Cefrelco).

En dépit des risques engendrés par de tels actes, les autorités suédoises ont à chaque fois permis leur réalisation au nom de la liberté d’expression et de manifestation. Cela n’est pas sans débats et contradictions.

(Re)voir Suède : violences après des manifestations contre l'extrême droite

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Le premier projet de manifestation au mois de février de Salwan Momika avait été refusé par la police en raison de risque de troubles à l'ordre public. Mais les manifestants ont fait appel et ont obtenu gain de cause devant le tribunal administratif, puis devant la cour d'appel administrative, au motif de l'absence de lien suffisamment clair entre les manifestations programmées et les risques avancés par la police.

Mercredi 28 juin à Stockholm, Salwan Momika, réfugié irakien en Suède âgé de 37 ans, n’a vraisemblablement pas choisi au hasard le lieu et la date de son geste : le jour de la fête musulmane de l’Aïd el-Kebir, devant la plus grande mosquée de la capitale suédoise. « Le fait de profaner quelque chose tenu pour sacré par quelqu'un d'autre est un acte d'hostilité aggravé », estime Sophie Gherardi. Et d'ajouter « on pourrait dire que les Pussy Riot (groupe de punk féministe russe) qui il y a quelques années avaient entonné une 'prière punk' dans une cathédrale orthodoxe en Russie ont réalisé un geste du même ordre en s'attaquant symboliquement au sacré de leur adversaire politique ».

Cet adversaire, en 2012, n'est autre que Vladimir Poutine dont la victoire aux législatives de décembre 2011 a été fortement contestée par l'opposition qui dénonce des fraudes massives. Malgré cela, cette victoire contestée a été auréolée par son rapprochement avec le patriarche de Moscou à la tête de l’Église orthodoxe russe. En Russie, trois membres des Pussy Riot ont été condamnées en août 2012 à deux ans de camp pour « hooliganisme » et « incitation à la haine religieuse ».

(Re)voir : Suède: des pages du Coran brûlées devant une mosquée

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Réfugié irakien et militant d'extrême droite en Suède

En Suède, la manifestation autorisée du réfugié irakien Salwan Momika est désormais sous le coup d'une enquête pour "agitation contre un groupe ethnique" en raison de sa tenue à proximité d'une mosquée. « Je ne veux pas nuire à ce pays qui m'a accueilli et qui a préservé ma dignité », avait déclaré Salwan Momika à un journal suédois. Il précise qu'il souhaitait voir le Coran interdit en Suède.

Le précédent cas d'autodafé d'un exemplaire du Coran réalisé en Suède avait d'autres intentions politiques affichées selon son auteur : dénoncer les négociations suédoises avec Ankara sur l’Otan. Militant d'extrême droite à la tête du mouvement anti-immigration et anti-islam "Ligne dure", le Dano-Suédois Rasmus Paludan a fait de l'autodafé d'un exemplaire du Coran un mode d'action privilégié. En novembre 2020, il avait été arrêté en France puis expulsé. En Belgique, cinq autres militants ont été arrêtés, accusés de vouloir propager la haine en projetant de brûler des exemplaire du Coran à Bruxelles.

Plus on sacralise et élève dans la hiérarchie du sacré un livre, plus on sera prêt à considérer qu'il y a là un crime absolument impardonnable contre le sacré.Sophie Gherardi, co-fondatrice du Centre d'étude du fait religieux contemporain (Cefrelco)

Le 21 janvier à Stockholm, Rasmus Paludan brûle un exemplaire du Coran près de l'ambassade de Turquie. Cela provoque de la colère dans le monde musulman.

Parmi les réactions internationales, le Maroc rappelle son ambassadeur. La Turquie, elle, bloque le processus d'adhésion de la Suède à l'Otan pour lequel elle a un droit de veto. Des appels au boycott de produits suédois sont lancés.

Les États-Unis réagissent eux aussi, par la voix du porte-parole adjoint du département d’État, Vedant Patel, qui déclare à la presse : « Nous avons toujours dit que brûler des textes religieux est irrespectueux et offensant ».

« On peut parfois observer une sur-action dans des pays où la surenchère religieuse est très intégrée à la joute politique », note Sophie Gherardi qui souligne à cet égard que « l'instrumentalisation est facile ». 

Le spectre de la menace terroriste

Au-delà des manifestations de colère et d'hostilité, des suspects « considérés comme ayant des liens internationaux avec l'extrémisme islamiste violent » ont été arrêtés en Suède, selon le renseignement suédois. Le risque d'attentat commis par des fondamentalistes est réel, même si « un attentat n'était pas considéré comme imminent ».

En 1988, à Paris mais aussi dans d'autres villes françaises, « des fondamentalistes chrétiens avaient mis des bombes lors de la projection du film 'La dernière tentation du Christ' car ils avaient jugé cela offensant. Il y a toujours des gens prêts à se sentir offensés », rappelle Sophie Gherardi. « Plus on sacralise et élève dans la hiérarchie du sacré un livre, plus on sera prêt à considérer qu'il y a là un crime absolument impardonnable contre le sacré ». Cela dit, en France, la laïcité qui découle de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905 est devenue un principe fondamental dans la société. « C'est une règle du jeu de liberté, où la religion est à la fois respecté et tenu en respect. »

Dans le cas du militant d'extrême droite Rasmus Paludan, la volonté de stigmatiser les musulmans ne fait que peu de doute de la part d'un groupe ouvertement anti-islam et anti-immigration. En vertu de ses principes de liberté d'expression et de manifester, la Suède n'entrave pas son action dans un contexte où le gouvernement du Premier ministre conservateur suédois a conclu une alliance avec l'extrême droite des « Démocrates de Suède ».  

Pour sa part, le réfugié irakien Salwan Momika compte poursuivre son action. « Dans les dix jours, je brûlerai le drapeau irakien et le Coran devant l'ambassade d'Irak à Stockholm », a-t-il dit au quotidien suédois Expressen.