Droit à l'avortement : une décision historique célébrée dans la joie

La tour Eiffel scintille, les fumigènes lancent des nuages violets, un tube de Beyoncé retentit et la joie explose : des centaines de personnes ont célébré ce 4 mars le vote au Congrès pour l'inscription de l'avortement dans la Constitution française, sur l'esplanade du Trocadéro à Paris.
 

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Sur l'esplanade du Trocadéro à Paris, la foule célèbre l'inscription de l'avortement dans la Constitution française. 4 mars 2024

Sur l'esplanade du Trocadéro à Paris, la foule célèbre l'inscription de l'avortement dans la Constitution française. 4 mars 2024

© AP Photo/Oleg Cetinic
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"C'est incroyable de vivre un tel moment historique", déclare à l'AFP Julie Plouhinec, 25 ans, employée au CNRS, venue avec deux amies, pour suivre sur écran géant le vote.

Avant le résultat, elles se tiennent la main et se prennent dans les bras. Enfin, c'est la libération: les députés et sénateurs ont approuvé à une large majorité l'inscription de l'avortement dans la Constitution, une première mondiale. "On est très émues", "c'est une victoire pour toutes les femmes", lâche la jeune femme, les larmes aux yeux.

Une explosion de joie salue l'annonce du résultat, tandis qu'est diffusé à plein régime le tube de la chanteuse Beyoncé "Run the world (Girls)" ("Dirigez le monde, les filles) et que la Tour Eiffel se met à scintiller.

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Des inscriptions lumineuses en plusieurs langues apparaissent au premier étage du célèbre monument, comme #AbortoLegal ("avortement légal" en portugais) ou #MyBodyMyChoice ("mon corps mon choix" en anglais).

Le vote au Congrès est le dénouement d'une longue bataille politique initiée par la gauche, portée par les associations féministes et finalement embrassée par le gouvernement après plusieurs initiatives parlementaires.

"fierté française"

Le président Emmanuel Macron salue sur X une "fierté française" et un "message universel".

"La France porte une voix à l'international, dans les instances internationales et aux Nations unies", souligne auprès de l'AFP Amandine Clavaud, codirectrice des études à la Fondation Jean-Jaurès, centre de réflexion basé à Paris, et autrice de l'essai "Droit des femmes, le grand recul".

En devenant le premier pays à inscrire explicitement dans sa Constitution le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), un demi-siècle après l'avoir légalisée, elle "envoie un signal" à "l'ensemble de la société française mais aussi un message d'espoir pour l'ensemble de la situation des femmes à l'international", ajoute-t-elle.

La France veut "ouvrir la porte à d'autres pays pour constitutionnaliser ce droit afin de le protéger", estime pour sa part, en amont du vote historique du Parlement, la députée de la majorité présidentielle Éleonore Caroit, élue des Français de l'étranger.

Pour le directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels, Neil Datta, la mesure française, "symbole très fort", "peut donner un certain élan à l'amélioration des législations sur l'IVG, de la même façon que le renversement de Roe versus Wade aux États-Unis a donné un élan à tous les anti-IVG partout dans le monde".

La Cour suprême des États-Unis a annulé en juin 2022 l'arrêt Roe v. Wade qui, depuis 1973, protégeait l'accès à l'avortement au niveau fédéral. Depuis, de nombreux États américains ont fortement restreint voire interdit l'avortement. Une secousse sismique pour l'opinion, bien au-delà des frontières américaines.
"Quand on a vu le droit à l'IVG s'effondrer aux États-Unis, on a été sous le choc, abattus", confirme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes.

"Un exemple pour les progressistes"

En s'orientant dans la direction opposée, la France "pourrait servir d'exemple pour les progressistes dans tous les pays en Europe et au-delà de l'Europe, pour définir un cap, même s'ils n'atteignent pas ce cap de la constitutionnalisation", une voie "pas forcément appropriée dans tous les pays", explique Neil Datta. "Ils peuvent procéder à des libéralisations, à une amélioration de leur législation", pointe le directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs.

Pour appuyer cette perspective, il cite un précédent : la légalisation par l'Irlande, pays catholique, du mariage pour tous en 2015 et de l'IVG en 2018: "Ça a donné un souffle à tous les mouvements progressistes dans le monde", affirme-t-il.
Alors "que la France passe à un niveau de protection aussi élevé, c'est très important", surtout à l'heure où selon lui "des acteurs ayant un agenda politique", et non plus religieux, "s'approprient les questions" de sexualité et de reproduction.

Environ 41% des femmes en âge de procréer résideraient dans des pays où la législation sur l'avortement est restrictive, soit près de 700 millions de femmes, selon un rapport du Sénat français.

Pour autant, Neil Datta, qui salue en France "une grande victoire", dont "les Français devraient être fiers", est confiant que "les progressistes l'emporteront" ailleurs.

La Pologne, où le précédent gouvernement conservateur avait fortement restreint le droit à avorter, poussant de nombreuses Polonaises à se rendre à l'étranger, ainsi que les États-Unis ont créé "une sorte de dégoût d'une grande partie de la classe politique", dit-il.

Un droit à protéger en Europe

Dans le même temps, "une petite quinzaine de pays et de territoires européens - comme les îles de la Manche ou Gibraltar - ont procédé à une amélioration de leur protection juridique de l'IVG", ajoute Neil Datta.

L'Allemagne l'an dernier a supprimé un amendement datant du 3ème Reich qui interdisait toute publicité sur l'IVG, énumère-t-il.

Les féministes françaises, elles, se félicitent de cette issue à des décennies de lutte. "On espère que le message va faire changer les mentalités et donner de l'espoir dans beaucoup de pays", commente Julie Ferrua, du collectif "Avortement Europe les femmes décident".

Dans la foulée de l'inscription de l'IVG dans la Constitution, la cheffe des députés LFI Mathilde Panot a annoncé ce soir le dépôt d'un texte pour enjoindre au gouvernement de faire inscrire ce droit dans la Charte des droits fondamentaux de l'UE. "Nous allons fêter une victoire historique et dès demain nous allons repartir au combat", a lancé la députée devant les journalistes, visiblement émue après le vote de 780 des parlementaires réunis à Versailles pour l'inscription dans la Constitution de la "liberté garantie" de recourir à une IVG.