Fil d'Ariane
Près de 222 831 électeurs étaient attendus dans 296 bureaux de vote à l’occasion des élections européennes. Les barrages de sécurité ainsi que les tensions dans l’archipel ont fortement perturbé cette journée de scrutin.
L’État français avait levé l’état d’urgence à Nouméa le 28 mai afin de pouvoir organiser le scrutin européen.
Des fumées noires dans le ciel de Nouméa et des forces de l'ordre présentes en nombre rappellent aux habitants de Nouvelle-Calédonie que l'archipel est toujours en proie aux tensions, loin des enjeux européens. Rares sont ceux qui ont tenu à venir voter dimanche.
À la mi-journée, seuls 8,81% des 222 831 électeurs avaient déposé leur bulletin dans l'urne, pour atteindre 13,53% une heure avant la fermeture des bureaux (17H00).
"Il faut voter !", lance pourtant Sylvana Bourgeois, une retraitée arrivée dès l'ouverture, à 7H00, à l'hôtel de ville de Nouméa, l'un des six sites regroupant les 57 bureaux de vote de la commune. Une mesure exceptionnelle prise en raison des troubles qui secouent la Nouvelle-Calédonie et plus particulièrement sa capitale, et qui ont fait huit morts.
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Le centre de vote, protégé par des policiers municipaux avec aux abords une vingtaine de gendarmes, a ouvert sous le bruit de détonations venues des quartiers situés au nord de Nouméa. La nuit de samedi à dimanche a connu un regain de violences sur les points chauds occupés par des indépendantistes ayant érigé des barrages, auxquels les loyalistes ont répondu par d'autres points de blocage.
Le Grand Nouméa est bardé de barricades, faites de planches de bois, de grilles métalliques, de pneus, de branchages, rendant la circulation particulièrement difficile.
Dimanche matin, des journalistes de l'AFP ont constaté qu'un arbre fraîchement coupé entravait la circulation de la double voie express VE1. À 100 mètres de là, des gendarmes inondaient de gaz lacrymogènes une place en poursuivant des individus ; dans le quartier d'Auteuil, des feux ont été allumés sur des rond-points ; du côté de Tuband, des individus ont brûlé la maison des jeunes.
Ces troubles n'ont pas entravé la détermination de quelques-uns à voter. À peine quelques minutes après l'ouverture, une vingtaine d'électeurs faisaient la queue à l'hôtel de ville, tout en racontant que "ça a pété toute la nuit".
Sylvana Bourgeois, arrivée sur le "Caillou" à l'âge de 12 ans, n'a "pas la tête à ça par rapport à ce qu'il se passe dans le pays, mais il faut voter", répète-t-elle, agacée qu'on se serve du "dégel" du corps électoral pour expliquer les tensions survenues depuis le 13 mai.
"Le malaise était déjà là. Ils ne vont pas être privés des écoles, du travail. Ils vivent comme nous, comme un peuple comme nous", dit-elle, en référence au projet de réforme constitutionnelle contestée par les indépendantistes.
Arielle, "une fille d'ici", originaire de Yaté dans le sud de la Nouvelle-Calédonie, se bat contre ce "dégel" du corps électoral. Dimanche, elle a préparé le plat typique kanak, le bougna (sorte de ragoût de poulet, NDLR) avec d'autres femmes qui tiennent pacifiquement un barrage indépendantiste dans le quartier de Magenta.
"Le dégel provoque beaucoup de choses chez nous. C'est l'extermination de la race kanak", assure celle qui est connue comme la reine mère de Yaté, attitude détendue et fleur hibiscus rouge posée au-dessus de son oreille gauche.
Ils sont plusieurs dizaines d'habitants du quartier à "vivre ensemble" sur ce barrage, marqué par des drapeaux de Kanaky (le nom de la Nouvelle-Calédonie pour les indépendantistes, NDLR) mais sans barricades, rue du 24 septembre qu'ils aimeraient rebaptiser "rue de la Paix".
Aucun d'entre eux n'est allé voter, à l'instar d'Arielle. "C'est le dernier de nos soucis. Et c'est déplorable que le vote ait été maintenu. C'est juste vraiment pour montrer qu'ils ont le dernier mot (l'État français) !", grince-t-elle avant d'aller jouer au bingo.
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Sur ce barrage aux allures de camp de vacances et situé en bas de la rue, on choisit de laisser circuler les gens alors qu'un peu plus haut un barrage de loyalistes est entièrement fermé. "C'est le mur de Berlin !", se désole Virginie Gnida.
Cette agente de maintenance, mère de deux grands garçons, n'a qu'une philosophie : "vivre ensemble". Et n'attend qu'une chose : "qu'on soit reconnu comme peuple premier".
"Je serais fière de pouvoir dire que je suis kanak, au lieu de toujours cocher sur un papier la case "autre" ou "autochtone". Pouvoir avoir notre indépendance, c'est juste ça que je demande", défend celle qui n'a "pas eu le courage d'aller voter".