Emmanuel Macron a « très envie d’emmerder » les non-vaccinés : dérapage ou stratégie politique ?

Lors d’un entretien accordé au quotidien Le Parisien, le président Emmanuel Macron a déclaré avoir « très envie d’emmerder » les Français non-vaccinés contre le Covid-19. Il les a par ailleurs qualifié d’ « irresponsables », avant d’affirmer qu’« un irresponsable n’est plus un citoyen. » Quelle stratégie politique s’érige derrière ces sorties véhémentes ? Précisions.

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Emmanuel Macron

Le président Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse après un sommet européen à Bruxelles, le 17 décembre 2021.

AP/ John Thys
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« Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l’administration quand elle les bloque. Eh bien, là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie. » Si la sortie du président Emmanuel Macron a le mérite d’être claire, elle n’a pas moins choqué une partie de la population française le 5 janvier au matin.

« Libérer, protéger, unir »

« Je ne vais pas les mettre en prison, je ne vais pas les vacciner de force. Et donc, il faut leur dire : à partir du 15 janvier, vous ne pourrez plus aller au restau, vous ne pourrez plus prendre un canon, vous ne pourrez plus aller boire un café, vous ne pourrez plus aller au théâtre, vous ne pourrez plus aller au ciné… » a enchainé le chef de l’État dans sa réponse.

Quand le politique divise ou casse le corps social, c'est toujours un problème.

Virginie Martin, politologue.

« Un président ne devrait pas dire ça » pouvait-on lire sur les réseaux sociaux, de la part de l’opposition, faisant référence au titre du livre des journalistes d'investigation Gérard Davet et Fabrice Lhomme, sur le quinquennat Hollande. Peut-on en effet attendre un tel discours du président français? Ou s’agit-il d’un dérapage, sachant que l’interview écrite accordée au Parisien a été probablement relue de nombreuses fois par les équipes de communication ?

Voir aussi : Covid-19 en France : pour la droite, "il y a beaucoup à dire sur la gestion incohérente du gouvernement"

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Pour Élodie Laye-Mielczareck, sémiolinguiste, ces paroles suivent une "tendance politique et structurelle où l’on désigne et on stigmatise un certain groupe. C'est quelque chose que l'on observe de plus en plus en politique et pas qu'en France. Lors de la présidentielle américaine, Hillary Clinton avait parlé des 'déplorables' pour qualifier l'électorat de Donald Trump. Dans une économie de l’attention, où seuls les discours polarisés et les petites phrases « choc » fonctionnent, cela peut être une stratégie politique payante. » 

La devise « libérer, protéger, unir » promue par le gouvernement en octobre 2018 peut paraitre quelque peu éloignée de la stratégie présentée par le chef d’État dans l’interview du Parisien. Pour Virginie Martin, politologue, ces mots éloignent le président de « sa mission politique d’arriver à faire société. » « Quand le politique divise ou casse le corps social, c'est toujours un problème. » renchérit la politologue.

Par défaut , c’est vrai qu’on a plutôt tendance à considérer que ce qui est de l'ordre du commun voire du vulgaire est davantage authentique et sincère parce qu'il y a plus d’émotion.

 Élodie Laye-Mielczareck, sémiolinguiste

Langue de bois contre parler vrai 

Emmanuel Macron a-t-il voulu opter pour un langage plus populaire pour répondre aux questions des lecteurs du Parisien comme le voulait le format ? « D'une manière générale quand on dit « je t’emmerde », même à un ami, c'est un peu compliqué. Dans un contexte très amical ce sont des mots qui peuvent se dire, dans un contexte politique, ça ne passe pas », rétorque Virginie Martin.

Parler franchement, voire de manière grossière, relève, pour Élodie Laye-Mielczareck, de ce qu’on appelle « le parler vrai » : « Ça fait des dizaines d'années que cela existe. C’est une autre figure de la langue de bois. Seulement, elle est beaucoup plus épicée, beaucoup plus clivante et cinglante. Par défaut , c’est vrai qu’on a plutôt tendance à considérer que ce qui est de l'ordre du commun voire du vulgaire est davantage authentique et sincère parce qu'il y a plus d’émotion. »

Voir aussi : Covid-19 : Omicron, la dernière vague ?

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Si le mention d’ « emmerdement » relève d’une violence verbale pour la sémiologue, la violence symbolique, qui est elle « plus stigmatisante », se situerait dans l’«irresponsable qui n’est plus un citoyen. » : « Il y a une dimension paradoxale car ce qui choque en premier, c'est la vulgarité. C’est d’ailleurs ce qui a été majoritairement repris et commenté. Mais la violence symbolique est beaucoup plus profonde. La deuxième partie est moins commentée alors qu'elle semble quand même plus grave car elle remet en cause le statut de citoyenneté au regard du vaccin. »

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Certains observateurs du jeu politique s’engagent à affirmer que la parole du président Emmanuel Macron était adressée à son électorat, en vue de la présidentielle d’avril prochain. Si Emmanuel Macron ne s’est pas encore déclaré candidat, sa volonté « d’emmerder » les non-vaccinés s’apparente fortement, selon Virginie Martin, au doigt d'honneur d’Eric Zemmour en novembre dernier. Un geste qui lui, a bien été effectué par un prétendant annoncé à la plus haute fonction de l’État.