France : François Fillon condamné à un an ferme en appel, l'austère rattrapé par l'argent

L'ancien Premier ministre français et ex-candidat à la présidentielle de 2017 François Fillon est condamné en appel à 4 ans de prison dont un an ferme, lundi 9 mai à Paris, dans l'affaire des emplois fictifs de son épouse Pénélope Fillon. Un verdict plus clément qu'en première instance. François Fillon se pourvoit en cassation.
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les epoux Fillon
François Fillon et son épouse Pénélope arrivent dans des studios de la chaîne TF1 pour un débat télévisé lors de la présidentielle de 2017, 20 mars 2017, Aubervilliers, France.
(Patrick Kovarik/Pool Photo via AP)
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L'ancien Premier ministre François Fillon a été condamné lundi en appel à quatre ans de prison, dont un an ferme, 375.000 euros d'amende et 10 ans d'inéligibilité dans l'affaire des emplois fictifs de son épouse Pénélope Fillon. Selon ses avocats, il se pourvoit en cassation.

Un temps parangon d'"exemplarité" au destin présidentiel, François Fillon, a vu son parcours exploser avec le "Penelopegate" où il a entraîné sa discrète épouse.

"J'ai entraîné ma famille dans une épreuve d'une violence inouïe et je n'ai aucune envie de les entraîner de nouveau dans cette violence", affirmait en janvier 2020 l'ancien Premier ministre de 68 ans lors d'un rare entretien sur France 2.

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Voix posée, allure austère, François Fillon avait alors contesté chacune des accusations du Penelopegate, cette affaire d'emplois présumés fictifs qui a pris le nom de son épouse. Un comble pour celui qui affirmait fin 2016 que "la politique ne doit pas être mélangée à la vie privée".

Dans ce dossier qui avait explosé en pleine campagne présidentielle du candidat de la droite en 2017, sa femme s'est vu infliger deux ans de prison avec sursis et 375.000 euros d'amende, son ancien suppléant Marc Joulaud trois ans de prison avec sursis.

De peines d'inéligibilité de deux ans et cinq ans ont en outre été prononcées à leur encontre.

Le couple et l'ancien suppléant ont enfin été condamnés à verser environ 800.000 euros à l'Assemblée nationale, partie civile.

Peine aménageable et port de bracelet électronique

A la barre lors du procès en appel du 15 au 30 novembre, dans une atmosphère bien moins électrique qu'au premier procès, le couple avait maintenu la même défense, identique depuis l'origine de cette affaire: le travail de Mme Fillon, "sur le terrain" dans la Sarthe, était certes "immatériel", mais bien "réel".

"Je n'ai pas été un député fictif préoccupé essentiellement par l'argent", s'était insurgé François Fillon dans une déclaration liminaire, déplorant "quarante ans d'engagement (politique) effacés par un article d'un journal satirique et une enquête à charge".

"Mon épouse a travaillé à mes côtés, c'est incontestable", avait-il assuré.

Les prévenus, absents lors du prononcé de la décision en début d'après-midi à la cour d'appel de Paris, ont la possibilité de se pourvoir en cassation.

La peine de prison ferme infligée à M. Fillon est aménageable: s'il ne forme pas de recours, il sera convoqué devant un juge d'application des peines qui peut décider, par exemple, du port d'un bracelet électronique.

Ces condamnations pour détournement de fonds publics, complicité d'abus de biens sociaux et recel de ces deux délits notamment, sont plus légères que celles prononcées en première instance, le 29 juin 2020.

La cour d'appel a en effet relaxé les époux Fillon concernant le premier des trois contrats litigieux d'assistante parlementaire de Penelope Fillon, entre 1998 et 2002, "au bénéfice du doute".

La juridiction d'appel a en revanche confirmé la culpabilité des prévenus concernant le contrat entre Mme Fillon et Marc Joulaud entre 2002 et 2007, ainsi que pour le contrat entre les époux en 2012-2013.

De même, le contrat de "conseillère littéraire" de la Franco-Galloise à la Revue des deux mondes a été jugé "fictif".

Penelope Fillon au coeur du scandale

Penelope Fillon aurait perçu plus de un million d'euros pour les emplois d'assistante parlementaire au coeur du dossier. Cette discrète Franco-galloise de 66 ans, à l'allure classique, s'est toujours présentée en mère fière d'avoir élevé cinq enfants, une "paysanne" discrète, amatrice de jardinage et d'équitation, "de nature réservée et peu mondaine".

Emplois présumés fictifs de leurs deux aînés, prêt de 50.000 euros non déclaré d'un ami, deux costumes de luxe offerts par un autre... la succession de révélations, début 2017, stoppe net l'ascension de M. Fillon vers l'Elysée, qui semblait pourtant écrite après cinq ans de présidence Hollande.

La formule assassine qu'il avait employée contre Nicolas Sarkozy lors de la primaire de la droite - "qui imagine de Gaulle mis en examen?" - lui revient alors comme un boomerang.

J'ai été traité d'une manière injuste, qui n'était pas normale

François Fillon

Tout comme son image d'homme intègre, "fier de ses valeurs", défendant haut et fort l'ordre, la famille ou la grandeur de la France.

En première instance, l'ancien locataire de Matignon entre 2007 et 2012 s'était vu infliger cinq ans de prison, dont deux ferme, 375.000 euros et dix ans d'inéligibilité.

Son épouse avait été sanctionnée de trois ans de prison avec sursis, 375.000 euros d'amende et deux ans d'inéligibilité, quand M. Joulaud avait écopé de la même peine de prison assortie de 20.000 euros d'amende et de cinq ans d'inéligibilité.

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Fin politique selon certains, opportuniste pour d'autres

Né le 4 mars 1954 d'un père notaire et d'une mère historienne, élevé dans un milieu catholique aux convictions gaullistes-sociales, cet homme élégant à la coiffure soignée, peu expansif, a toujours cultivé la discrétion.

"Mon patrimoine se limite à ma maison, dans la Sarthe" - un manoir de 14 chambres, soulignent ses détracteurs - assure M. Fillon qui n'a "pas de villa au bord de la mer, pas de Ferrari cachée dans la grange".

"J'ai été traité d'une manière injuste, qui n'était pas normale", assure plusieurs années après celui qui parlait de "complot" et de "cabinet noir" au moment de l'éclatement de l'affaire.

Ce passionné de course automobile, qui n'a pas fait l'ENA, fait ses premiers pas en politique comme assistant du député de Sablé-sur-Sarthe et devient le benjamin de l'Assemblée nationale en 1981.

Fin politique selon certains, opportuniste pour d'autres, il "est tel un crocodile: il a l'air de dormir mais est prêt à bouffer n'importe qui sur la berge", confiait en 2012 un des ministres de son équipe.

De 1993 à 2005, il participe à tous les gouvernements de droite, siège au Sénat en 2005-2007, avant de devenir pendant cinq ans chef du gouvernement de Nicolas Sarkozy.

Son image de rigueur et ses promesses énergiques de redressement du pays lui permettent de remporter la primaire en 2016. Mis en examen en mars 2017 dans le Penelopegate, il est éliminé au premier tour de l'élection présidentielle et se retire de la vie politique.

"Je ne chercherai pas à revenir", affirmait le 30 janvier 2020 M. Fillon, reconverti dans la finance et à la Fédération internationale de l'automobile (FIA).

Il a été vivement critiqué, fin février, pour avoir déploré "le refus des Occidentaux" d'entendre les revendications russes concernant l'Otan. Face à l'invasion russe en Ukraine, il a finalement démissionné de ses mandats aux conseils d'administration des entreprises russes Sibur et Zarubezhneft.

France : les autres anciens présidents et Premiers ministres condamnés par la justice

  • Nicolas Sarkozy

En mars 2021, Nicolas Sarkozy devient le premier ancien président de la Ve République condamné à de la prison ferme, un an pour corruption et trafic d'influence dans l'affaire dite des "écoutes".

Dénonçant "une injustice profonde", il indique qu'il va faire appel de sa condamnation à trois ans d'emprisonnement, dont deux avec sursis.

Les juges lui reprochent d'avoir promis d'appuyer la candidature d'un haut-magistrat, Gilbert Azibert, pour un poste de prestige à Monaco, en échange d'informations privilégiées.

Le procès en appel doit s'ouvrir le 28 novembre 2022.

Nicolas Sarkozy est aussi condamné le 30 septembre 2021 à un an de prison ferme pour le financement illégal de sa campagne présidentielle de 2012 dans le dossier Bygmalion. Il fait également appel.

Soupçonné d'avoir financé sa campagne de 2007 avec des fonds occultes libyens, il a en outre été mis en examen en 2018 pour "corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens", puis en 2020 pour "association de malfaiteurs".

  • Jacques Chirac

Président de la République de 1995 à 2007, Jacques Chirac est condamné en 2011 à deux ans de prison avec sursis pour "détournements de fonds publics", "abus de confiance" et "prise illégale d'intérêt" dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, remontant au début des années 90 quand il était maire de la capitale et président du RPR.

Affaibli par la maladie, il n'assiste pas au procès et ne fait pas appel.

  • Alain Juppé

Premier ministre de Jacques Chirac de 1995 à 1997, Alain Juppé est condamné en 2004 en appel à quatorze mois de prison avec sursis et un an d'inéligibilité pour "prise illégale d'intérêt" dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris.

Des permanents du RPR, dont M. Juppé était secrétaire général de 1988 à 1995, étaient rémunérés.

  • Edith Cresson

Premier ministre de 1991 à 1992, Edith Cresson est déclarée coupable de favoritisme en 2006 par la Cour de justice européenne pour avoir engagé un proche comme membre de son cabinet alors qu'elle était commissaire européenne, après son passage à Matignon. Elle est dispensée de sanction financière.