Fil d'Ariane
La mort de Nahel a provoqué une profonde colère à l'origine d'émeutes sur tout le territoire français. Si le policier auteur du tir mortel est en garde à vue, l'ensemble des forces de l'ordre sont sous le feu des critiques. Plusieurs institutions internationales comme l’ONU dénoncent des problèmes de racisme.
Un graffiti "Justice pour Nahel" tagué sur un mur à Nanterre, le 2 juillet 2023.
Vu de l'étranger, la France n'est plus vraiment perçue comme le berceau de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. “C'est le moment pour le pays de s'attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre”, déclare Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, après la mort de Nahel, 17 ans, tué par balle lors d’un contrôle routier mené par deux policiers à Nanterre, près de Paris le 27 juin 2023.
Elle souligne également qu’il est “crucial que la police respecte à tout moment les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimintation, de précaution et de responsabilité.”
La position du gouvernement a toujours été de contester le caractère systémique de ces incidents.
Simon Foreman, avocat membre de la CNCDH
Rapidement, le ministère des Affaires étrangères français a réagi. "Toute accusation de racisme ou de discrimination systémiques par les forces de l'ordre en France est totalement infondée", affirme le ministère dans un communiqué. “Les pouvoirs publics sont dans la même position vis-à-vis de l’ONU et vis-à-vis de l’opinion interne, analyse Simon Foreman, avocat membre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH). La position du gouvernement est de dire qu’il n’y a pas de racisme systémique dans la police, il y a des incidents qu’il faut analyser comme des incidents isolés et qui ont chacun leurs racines dans l’individualité des policiers mis en cause.” En somme, “la position du gouvernement a toujours été de contester le caractère systémique de ces incidents”, résume l’avocat.
Pourtant, la police française est régulièrement pointée du doigt par les institutions internationales. Par exemple, en décembre 2022, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale avait exprimé “sa profonde préoccupation face au recours fréquent aux contrôles d’identités, aux interpellations discriminatoires, à l’application d’amendes forfaitaires imposées par la police ou les forces de l’ordre”, visant les personnes d’origine étrangère “de manière disproportionnée.”
Quelques mois plus tôt, en septembre 2022, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), un organe indépendant d’experts du Conseil de l’Europe, appelait la France à améliorer l’enregistrement des contrôles d’identité effectués par les policiers. Les multiples avertissements reçus par la France à propos du racisme “concernent essentiellement les forces de l’ordre”, selon Simon Foreman.
En France, la défenseure des droits Claire Hédon est très présente sur les questions des violences policières. Il s’agit d’une institution indépendante de l’État créé en 2011 chargée de défendre les personnes dont les droits ne sont pas respectés et de permettre à tous un accès égal aux droits. Le 28 juin 2023, elle annonce se saisir d’office “des circonstances dans lesquelles un garçon de 17 ans a été tué à Nanterre, le mardi 27 juin 2023, en application de l’article 5 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, afin de les examiner au regard du respect des règles de déontologie de la sécurité et des droits de l’enfant.” Cependant, la défenseure des droits ne peut émettre que des recommandations et ne peut pas prendre de décisions coercitives.
Pourquoi les institutions internationales vont-elles dénoncer les actes des policiers français ? Selon Simon Foreman, il s’agit surtout d’un moyen de pression “moral et politique.” “Ils font des communiqués qui ont une certaine légitimité parce que ce sont des institutions qui ont été créées pour avoir des regards sur les États”, décrit l’avocat membre de la CNCDH. En revanche, ces institutions ne peuvent pas agir de manière plus directe. “Ce n’est pas comme une décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui peut condamner la France à indemniser les victimes ou à modifier son droit”, précise-t-il.
La France ne tire pas les conséquences des critiques qu’elle reçoit sur ce sujet.
Simon Foreman, avocat membre de la CNCDH
Cela dit, ces institutions “sont dans leur rôle, elles observent ce qu’il se passe dans des États et disent ce qu’elles en pensent, poursuit Simon Foreman. Je ne crois pas qu’il faille attendre plus que ça de leur part.”
Cependant, comme ce n’est pas la première fois que la police française est épinglée pour racisme à l’ONU, Simon Foreman estime que “La France ne tire pas les conséquences des critiques qu’elle reçoit sur ce sujet.” “Les textes qui sont votés au Parlement depuis des décennies vont toujours dans le sens d’un durcissement permanent, comme avec la suppression de la police de proximité, le développement des amendes forfaitaires, décrit-il. Tout ce qui sort du Parlement va dans le sens de durcir le discours envers les banlieues et les jeunes.”