"Il faut que l’histoire des harkis soit connue au même titre que toutes les histoires"

La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France, ce jeudi 4 avril 2024, pour son accueil des harkis et les conditions de vie « pas compatibles avec le respect de la dignité humaine ». La Cour, une juridiction internationale ayant pour mission d’assurer le respect de la Convention européenne des droits de l’homme, a également jugé insuffisants les montants des réparations accordées. Entretien avec l'historienne Fatima Besnaci-Lancou.

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Camp de Rivesaltes

Le camp de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales. 

Mémorial du camp de Rivesaltes
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Après 1962, 90 000 harkis, des supplétifs musulmans recrutés par l’armée française pendant la guerre d’Algérie, s’enfuient vers la France, par peur des représailles. Ils sont alors placés dans des camps, dans des conditions déplorables.

Fatima Besnaci-Lancou est historienne et éditrice, elle travaille notamment sur la question des harkis, étant elle-même fille de harkis. Elle a grandi, un temps, dans le camp de Rivesaltes. 

Lire : qui sont les harkis ? 

TV5MONDE : Pourquoi ces requérants ont porté plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme ?

Fatima Besnaci-Lancou : Quatre personnes de la même famille ont fait appel à la justice. Ils ont commencé par passer par toutes les juridictions habituelles pour finalement arriver devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Ils veulent obtenir une réparation matérielle pour le préjudice subi.

Cette famille avait vécu dans le camp de Bias, dans le Lot-et-Garonne.

Aujourd'hui, ils veulent obtenir une réparation matérielle pour le préjudice subi. Cette famille a vécu dans le camp de Bias, dans le Lot-et-Garonne, l’un des plus durs avec celui de Saint-Maurice-l’Ardoise, dans le Gard. 

Dans ces deux camps, les gens vivaient en marge du droit, en marge de la vraie vie. Ils n’étaient pas des prisonniers, mais on les maintenait enfermés, notamment la nuit.

TV5MONDE : Vous avez vécu dans l’un de ses camps, avez-vous déjà pensé à porter plainte contre la France ?

Fatima Besnaci-Lancou : Ma famille et moi-même sommes passés par le camp de Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales et d’autres camps. Les familles de harkis ne restaient pas forcément dans un camp. Elles avaient souvent une vie de nomades et passaient d’un camp à un autre.

Je n’ai pas porté plainte, mais je soutiens ceux qui le font. Je pense qu’ils ont raison de le faire. Chaque descendant de harkis ne se bat pas de la même manière. Ma manière de faire est d’écrire et de capter des témoignages, ou encore de répondre aux questions. Cela prend énormément de temps, mais je pense que travailler l’histoire de ces familles permet de connaître leurs vies, mais aussi leurs difficultés et leurs trajectoires. Et cela aide aussi la justice. C’est ma manière de contribuer à faire connaître une sorte de drame, voire de tragédie, dans certains cas.

Certaines familles ont perdu des enfants dans les camps parce qu’elles vivaient dans des conditions désastreuses

Certaines familles ont perdu des enfants dans les camps parce qu’elles vivaient dans des conditions désastreuses. Des bébés sont décédés lors des premières années de l’arrivée des familles de harkis. Et cela aussi, il faudrait qu’un jour ça soit reconnu, et pourquoi pas condamné par la Cour européenne des droits de l’homme.

TV5MONDE : Cette décision de justice peut-elle avoir une portée qui dépasse la Cour européenne des droits de l’homme ?

Fatima Besnaci-Lancou : Toutes les histoires méritent d’être connues et racontées. Bien évidemment, il faut que l’histoire des harkis soit accessible au même titre que toutes les histoires de France et du monde.

 

Les gouvernements algériens n’ont pour l’instant aucune empathie pour les harkis. 

Je pense que le plus important, c’est que cette histoire sorte de la France. Il faut que les pays européens connaissent cette histoire.

Je ne pense pas que ça pourrait apaiser la question avec l’Algérie. Les gouvernements algériens n’ont pour l’instant aucune empathie pour les harkis. Plusieurs lois les discriminent et les stigmatisent, y compris la Constitution (algérienne) de 2020. Je ne pense pas que cette question de condamnation de la France fasse réagir positivement les autorités algériennes.