Migrants : premier transfert de l'Italie vers l'Albanie

L'Italie a commencé à transférer le 14 octobre le premier groupe de migrants vers les centres qu'elle gère en Albanie, une première pour un pays membre de l'Union européenne, en vertu d'un accord controversé. Un accord qualifié de courageux par la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, et décrié par de nombreuses ONG.
 

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Un centre pour migrants à Shëngjin, dans le nord-ouest de l'Albanie, le 25 juillet 2024.

Un centre pour migrants à Shëngjin, dans le nord-ouest de l'Albanie, le 25 juillet 2024.

© AP Photo/Vlasov Sulaj
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Le patrouilleur de la marine italienne Libra est parti le 14 octobre avec 16 hommes à son bord, de l'île italienne de Lampedusa, et il doit arriver en Albanie mercredi 16.

Dix d'entre eux sont originaires du Bangladesh et six d'Égypte, selon cette source. Ils ont été interceptés dans les eaux internationales dimanche par les autorités italiennes. Leurs deux bateaux avaient quitté le région de Tripoli, en Libye.

Voir Italie : premier transfert de migrants vers l'Albanie

Ce transfert intervient en vertu d'un accord controversé signé fin 2023 entre le gouvernement de Giorgia Meloni, première ministre d'extrême droite italienne, et Tirana, et qui prévoit la création de deux centres en Albanie, d'où les migrants pourront effectuer une demande d'asile.

"L'Italie a montré le bon exemple en signant le protocole Italie-Albanie", a déclaré Giorgia Meloni, évoquant l'intérêt des gouvernements français, allemand, suédois ou britannique pour la politique italienne de gestion des flux migratoires. "Avec l'entrée en vigueur du protocole Italie-Albanie, nous pourrons également tirer les leçons de cette expérience", a écrit la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, sous pression de plusieurs États membres, dont la France et l'Allemagne.

Cet accord en vigueur pour cinq ans, dont le coût pour l'Italie est estimé à 160 millions d'euros par an, concerne les hommes adultes interceptés par la marine ou les garde-côtes italiens dans leur zone de recherche et de sauvetage dans les eaux internationales. La procédure prévoit un premier contrôle sur un navire militaire, avant un transfert dans un centre du nord de l'Albanie, au port de Shengjin, pour une identification, puis vers un second centre, sur une ancienne base militaire à Gjader.

Là, les migrants seront détenus en vertu d'une mesure de rétention administrative décidée par le préfet de Rome, dans des préfabriqués de 12 m2 entourés de hauts murs et de caméras et surveillés par la police, dans l'attente du traitement de leur demande d'asile. L'intérieur du camp est sous la responsabilité des Italiens, la sécurité extérieure étant assurée par les forces de l'ordre albanaises.

Les personnes considérées comme vulnérables par la loi, dont les mineurs, les femmes, les personnes souffrant de troubles mentaux, ayant été victimes de torture, de violences sexuelles ou de traite d'êtres humains, ne sont pas concernées par la procédure.

"Détention légère"

Le traitement des demandes d'asile pourra prendre jusqu'à quatre semaines, selon une source au fait des procédures, ayant demandé à rester anonyme. Pour les hommes à qui l'asile serait refusé, des cellules ont été installées dans le camp. Plus de 300 militaires, médecins et juges italiens sont engagés dans cette opération.

"Il n'y a pas de barbelé, il y a de l'assistance. Tous peuvent demander une protection internationale et obtenir une réponse en quelques jours", a déclaré le 12 octobre le ministre de l'Intérieur Matteo Piantedosi, évoquant des centres de "détention légère". Il a rappelé dans un tweet que "les expulsions de ceux qui n'ont pas de permi de séjour se produisent dans toute l'Europe, et l'Europe elle-même s'est donnée les moyens de renforcer ce système."

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Mais le syndicat de l'administration publique UILPA a dénoncé les conditions de vie dans ces centres et les restrictions d'accès à l'eau, à l'électricité et aux moyens de communication.

Gaspillage

Selon Elly Schlein, la cheffe du Parti démocrate (PD, centre-gauche), principale formation de l'opposition, le gouvernement Meloni "hausse les impôts et gaspille près d'un milliard d'euros" en cinq ans "au détriment des droits fondamentaux des personnes".

Les centres devraient avoir une capacité d'accueil de 1.000 places dans un premier temps, puis 3.000 à terme, des chiffres qui pour certains ne justifient pas cet accord.
"Au cours des trois derniers jours, plus de 1.600 migrants ont débarqué en Italie. Un navire italien en transporte 16 en Albanie. Je ne pense pas nécessaire d'ajouter autre chose", a écrit le 15 octobre sur X Matteo Villa, chercheur à l'Institut pour les études de politique internationale (ISPI).

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Cet accord, dénoncé par les ONG, a peu de chances d'être étendu à d'autres pays car il n'a été concédé par Tirana à Rome qu'en raison des liens historiques entre l'Italie et l'Albanie.

"Oui, d'autres nous ont posé la question et nous avons dit non. Tout le monde doit comprendre que notre relation avec l'Italie est très spéciale et remonte à des milliers d'années", a déclaré le Premier ministre albanais Edi Rama, dont le pays candidate pour entrer dans l'UE depuis des années.

"Les premières personnes à arriver dans les nouveaux centres de détention italiens méritent mieux que d'être soumises à cette dangereuse expérience politique", a affirmé pour sa part Susanna Zanfrini, directrice pour l'Italie de l'ONG de défense des droits humains International Rescue Committee (IRC). "Ces centres sont coûteux, cruels et contre-productifs et n'ont pas leur place dans un système d'asile humain et durable", a-t-elle ajouté, citée dans un communiqué de l'IRC, tandis qu'une autre responsable de l'ONG, Marta Welander, a dénoncé "un jour sombre pour les politiques de l'UE en matière d'asile et d'immigration".

"hubs de retour"

L'Italie et la Hongrie ont proposé d'en étendre le principe à l'échelle européenne, avec la création de "hubs de retour" - des centres où seraient renvoyés des migrants illégaux dans des pays en dehors de l'UE. Cette proposition pourrait être discutée au sommet européen des 17 et 18 octobre à Bruxelles.

Outre l'Albanie, le gouvernement italien a conclu un accord avec la Tunisie, prévoyant une aide économique en échange d'efforts accrus pour arrêter les migrants qui quittent son territoire pour aller en Italie.

L'Italie a également renouvelé un accord conclu en 2017 avec le gouvernement libyen de Tripoli, soutenu par l'ONU, en vertu duquel Rome fournit une formation et un financement aux garde-côtes libyens afin d'endiguer les départs de migrants ou de renvoyer en Libye ceux qui sont déjà en mer.