Fil d'Ariane
Nahel, un adolescent de 17 ans, a été tué par le tir d’un policier à Nanterre le 27 juin. Sa mort a déclenché un mouvement de révolte dans plusieurs villes de France. Quel est le rôle joué par les réseaux sociaux ? Éléments de réponse avec Marie-Joseph Bertini, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Côte-d'Azur.
Plusieurs membres des forces de l'ordre sont mobilisés sur les manifestations parfois violentes déclenchées à la suite de la mort de Nahel, un jeune homme de 17 ans, tué par un policier lors d'un contrôle routier.
Depuis qu’il a été tué le 27 juin, le prénom de Nahel, un adolescent de 17 ans, est devenu un mot-clé très consulté et repris massivement sur les réseaux sociaux. Parfois mal orthographié, il figure aussi parmi les recherches les plus courantes sur les principaux moteurs de recherches. Appels à des rassemblements, hommages, scènes de violence ou encore cagnotte en ligne : accolés au prénom du défunt, les contenus de toute sorte affluent tous les jours.
Toujours sur les réseaux sociaux, les images des derniers instants de la vie du jeune homme sont elles aussi devenues virales. Filmées à la verticale, elles montrent l’opération de police au cours de laquelle Nahel M. a perdu la vie. Tué par une balle tirée à bout portant par un brigadier, l’adolescent avait refusé de se soumettre à un contrôle routier alors qu’il était au volant du véhicule.
Comme à l’accoutumée, Marie-Joseph Bertini scrute les réseaux sociaux. Professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université de Côte d’Azur, elle observe précisément “le rôle certain que les réseaux sociaux jouent depuis ce qui est arrivé au jeune Nahel”, explique-t-elle. Selon elle, ce drame “a été l'élément déclencheur” d’une révolte. En clair, selon cette experte en médias et communication numérique, “les réseaux sociaux ont cette capacité de propager, viraliser un phénomène. Ils sont des amplificateurs de la crise en France”, analyse Marie-Joseph Bertini.
Les forces de l'ordre circulent à Paris le 30 juin durant une manifestation organisée suite à la mort de Nahel, 17 ans. Le 27 juin, l'adolescent a été tué à Nanterre par un policier au cours d'un contrpole routier.
Soilhou Ahamed, un agent sportif installé à Marseille dans les Bouches-du-Rhône, confirme les propos de l’universitaire. Interrogé par l’AFP, il fait le parallèle entre la crise actuelle et les émeutes urbaines de 2005 et 2007. "On se disait que c'était à Paris. On regardait à la télé les événements sans plus. Là, les Parisiens disent sur Snapchat "et vous les Marseillais qu'est-ce que vous faites'", et ça part”.
Ces derniers jours, c'est dans les rues du chef lieu du département des Bouches-du-Rhône que se sont concentrés de nombreux rassemblements marqués par des tensions entre des manifestants et les forces de l'ordre. Dans la nuit de vendredi à samedi, un important dispositif de sécurité, soutenu notamment par les forces d'élite du Raid et du GIGN, a dispersé des groupes de jeunes moins nombreux que la veille, indique l'AFP. Selon la préfecture locale, un total de 56 interpellations avaient été comptabilisées vers minuit dans la cité phocéenne.
Toujours selon Marie-Joseph Bertini, la révolte actuelle née à la suite de la mort du jeune Nahel connaît aussi “une certaine forme de propagation en réseau ou hors réseaux”. Notamment parce que les usages ne sont pas les mêmes en fonction du support. Les jeunes générations de 14-18 ans, celles-là même qui sont concernées par les émeutes, "utilisent quotidiennement ces applications”, rappelle la chercheuse.
Captures d'écran de plusieurs applications de réseaux sociaux où sont publiées des vidéos en lien avec la mort du jeune Nahel M.
Comme elle a pu l’observer, “ce mouvement-là ne modifie pas leur quotidien ni leur manière de s’emparer de ces outils. Il y a donc un continuum entre la manière dont ils utilisent les réseaux sociaux au quotidien pour exister socialement et leur utilisation depuis le début de la crise déclenchée par la mort de Nahel".
Se concentrer sur les réseaux sociaux, c’est éviter de porter le regard sur la situation des quartiers populaires et défavorisés.
Marie-Joseph Bertini, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Côte-d'Azur.
Parmi les réseaux sociaux plébiscités par les jeunes générations, Marie-Joseph Bertini se concentre tout particulièrement sur ceux dits “démonstratifs” et ceux dits “organisationnels”. “Les réseaux sociaux les plus démonstratifs sont ceux qui permettent la viralité, à savoir TikTok ou Snapchat. Whatsapp ou les boucles Telegram permettent d’organiser les rassemblements et de faire circuler des images d’information pour que tout le monde puisse mettre la main dessus, y compris les médias et les pouvoirs publics”, détaille Marie-Joseph Bertini.
Depuis la nouvelle vague d’émeutes, certains usages des réseaux sociaux ont été pointés du doigt par les autorités françaises. Les géants du numériques ont été sommés de renforcer leurs méthodes de régulation.
Si des dispositifs existent déjà pour contrôler ou censurer le contenu violent publiés sur ces plateformes, l’exécutif français veut désormais pousser les géants du numérique à muscler leur modération. À ce titre, une réunion entre le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin, celui du Numérique Jean-Noël Barrot et les plateformes a eu lieu vendredi 30 juin en présence de Meta (Instagram, Facebook, WhatsApp), Snapchat, Twitter et TikTok.
Mais les géants du numérique ont-ils intérêt à mettre en place ce contrôle ? Comme le rappelle Marie-Joseph Bertini, “l'idée même d’internet est d‘abolir toute forme de contrôle et Facebook comme Twitter ont déjà dit qu’ils n’accepteraient pas qu’il y ait une telle fissure”. Ainsi, “il faudra passer par la loi et les contraindre. Mais ces entreprises sont étrangères et la loi nationale ne peut pas toujours s’appliquer”, glisse Marie-Joseph Bertini.
"Il y a un vrai sujet sur les réseaux sociaux. Ils sont hors contrôle et ils permettent à des bandes organisées qui font n'importe quoi d'être extrêmement mobiles, de se donner des rendez-vous", a estimé samedi 1er juillet le maire de la ville de Marseille, Benoît Payan, alors qu’il était interrogé sur BFMTV.
Le poids supposé des réseaux sociaux dans cette crise nationale inquiète jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. Au cours d’une déclaration télévisée donnée à la suite d’une réunion de la cellule interministérielle sur les violences en France, le président de la République Emmanuel Macron a pointé du doigt les grandes plateformes des réseaux sociaux, citant notamment Snapchat et TikTok où s’organisent "des rassemblements violents". Selon le chef de l’État, les réseaux sociaux suscitent "aussi une forme de mimétisme de la violence, ce qui conduit chez les plus jeunes à une forme de sortie du réel ".
Ce ne sont pas les réseaux sociaux qui créent la relégation de ces populations. C’est l’organisation de notre société.
Marie-Joseph Bertini, maître de conférence à l’université de Côte-d’Azur
Une posture “complètement erronée”, selon Marie-Joseph Bertini. “Les réseaux sociaux ne créent pas la révolte. Se concentrer sur les réseaux sociaux, c’est éviter de porter le regard sur la situation des quartiers populaires et défavorisés et de se pencher sur les vraies responsabilités”, fustige la chercheuse, qui rappelle que “ce ne sont pas les réseaux sociaux qui créent la relégation de ces populations. C’est l’organisation de notre société. Se défausser sur les réseaux sociaux, c’est confondre la cause et l’effet”.
Paris, place de la Concorde le 30 juin 2023. Une femme brandit une pancarte en hommage à Nahel M., 17 ans, tué par un policier au cours d'un contrôle routier à Nanterre le 27 juin 2023.
Depuis le début des manifestations en lien avec la mort de Nahel M., “les réseaux sociaux sont devenus à la fois la meilleure et la pire des choses” soulève Marie-Joseph Bertini. “D’un côté, ils sont propagateurs de la violence. Et ils sont aussi devenus les auxiliaires de la justice”.
D’abord, “les réseaux sociaux ont permis de faire entendre la version de la victime qui se trouvait dans la voiture, de la relayer”, rappelle la maitre de conférence. En effet, c’est bien la diffusion sur les réseaux sociaux de la vidéo du tir du brigadier qui a permis de contredire la version donnée par la police après la mort du jeune Nahel. “Dans cette affaire, les réseaux sociaux ont aussi permis de mettre en route la justice”, souligne Marie-Joseph Bertini.
On va péter les comptes des casseurs.Eric Dupond-Moretti, ministre français de la Justice
Leur usage par le pouvoir judiciaire peut aussi permettre aux forces de l'ordre de scruter les vidéos au cours d'enquêtes. “Parmi les premières personnes condamnées, on sait que la police est allée chercher des personnes qui sont impliquées dans des pillages ou d’autres actions illégales après avoir visionné les vidéos”, explique Marie-Joseph Bertini. Cette utilisation des nouvelles technologies est parfaitement assumée par la justice française. “On va péter les comptes (sur les réseaux sociaux, ndlr) des casseurs”, a notamment promis le ministre français de la Justice Eric Dupond-Moretti en fin de semaine.