Fil d'Ariane
Plus de 10% des maternités sont en partie fermées cet été, faute de personnel, en France, où près des deux tiers des maternités ont disparu en 40 ans.
"Faire accoucher les femmes cet été, on le fera. Le problème, c'est l'après", explique à l'AFP le Dr Thierry Harvey, chef de service de la maternité des Diaconesses à Paris, qui s'inquiète "des fermetures, faute de personnel, de lits d'hospitalisation", nécessaires pour la prise en charge des femmes et de leurs bébés.
La situation est à haut risque partout en France. A tel point, que par endroits, des maternités sont même contraintes de se mettre "en pause". Exemple à Nevers, la seule maternité du département de la Nièvre a dû fermer temporairement au mois d’avril, même chose à Chinon en Indre et Loire, comme le rapporte France Inter le 15 juillet dernier. Et pour celles qui restent ouvertes, elles doivent faire face à un inquiétant manque de sages-femmes.
Si les salles de naissances pourront fonctionner, voire venir en aide aux autres maternités, elles le feront mais dans la douleur...
A cette crise prégnante depuis des mois, s'ajoutent cette année les vacances bien méritées après ces années Covid des soignants. Mais déjà la pénurie de sages-femmes dont souffre l'hôpital depuis "un peu plus d'un an" s'aggrave mois après mois, comme l'explique Hélène Ostermann, sage-femme cadre supérieur du pôle maternité-fertilité aux Diaconesses qui compte 12 postes vacants de sages-femmes (sur 36). Du jamais vu.
Les sages-femmes sont nombreuses notamment à quitter la région parisienne, voire l'hôpital, beaucoup choisissent de poursuivre leur profession en indépendante. En cause : le manque d'attractivité de la profession, des effectifs insuffisants et des conditions de travail qui ne leur permettent pas de répondre aux besoins des femmes.
"L'endroit prioritaire, ce sont les salles de naissance. On y met tout le personnel qu'on peut", détaille de son côté Thierry Harvey. Mais pour pouvoir "blinder" cet étage, les sages-femmes n'assurent plus de préparation à la naissance depuis janvier et n'effectueront aucune consultation de suivi durant l'été.
A cela s'ajoute aussi la baisse du nombre de gynécologues. Comme le rapporte par exemple le site Francebleu.fr pour la région des Pays de la Loire. 35 spécialistes exerçaient en libéral sur l'ensemble de la région en 2021, soit 5,8% de moins qu'en 2020. Le département de la Mayenne ne compte plus que quatre gynécologues au total. Ce sont les médecins généralistes qui doivent prendre le relais en assurant des soins gynécologiques, ce qu'ils seront de plus en plus amenés à faire.
"Ce n'est pas anodin de ne pas faire le suivi, de ne pas donner les informations préventives, de ne pas assurer l'entretien prénatal précoce, qui reste un temps fort, notamment pour dépister les vulnérabilités psycho-sociales" avant l'accouchement, rappelle Hélène Ostermann.
Nous alertons depuis des années sur la nécessité de réformer les décrets de périnatalité pour adapter les effectifs et prendre en charge de façon optimale les mères et les nouveau-nés !
— Collège Sages-Femmes (@Coll_SageFemme) June 6, 2022
40% des #SF en maternité souffrent de burn-out https://t.co/wU3K0L48fh https://t.co/B4N9copuiJ
En plus de ces réorganisations internes, la maternité fait appel à des vacataires, des sages-femmes libérales qui viennent effectuer quelques vacations, et à de l'intérim. Mais même avec tout cela, "c'est tout juste", note la cadre de santé qui espère que la septième vague de Covid n'entraînera pas d'arrêt maladie.
"Il va falloir gérer l'insatisfaction des patientes, la surcharge de travail, les dossiers en urgence, les femmes qui n'ont pas eu de suivi ... ça va être la m..., mais on sait faire", assure le chef de service, "On verra au jour le jour et on fera ce que l'on pourra pour venir en aide aux autres maternités".
Face aux tensions sur les effectifs durant cette période estivale et aux risques de fermeture de certaines maternités, l'Agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France a assuré élargir la cellule de transferts in-utero, normalement dévolue aux grossesses pathologiques, aux transferts pour manque de place. Mais Stéphanie Blugeon craint "un afflux de patientes enceintes au niveau des urgences". "Pour libérer de la place à l'hôpital, il nous faut des relais en ville", juge-t-elle. Un relais à la fois de la part des généralistes, des gynécologues obstétriciens et des sages-femmes libérales pour assurer le suivi de grossesse mais aussi permettre des sorties précoces. Mais "pourront-ils tout absorber ?", s’inquiète Hélène Ostermann.
"Nous reposons sur des décrets de 98 qui ne correspondent plus du tout aux attentes des patientes et des professionnels, relève pour sa part Estelle Wafo, vice présidente du CNGOF (Collège national des gynécologues obstétriciens français), sur France Inter, On a besoin de plus de monde et de plus de temps pour prendre en charge une patiente même pour une grossesse strictement normale". "Vu les effectifs actuels, ce n'est plus possible de prendre le temps pour les patientes" regrette la gynécologue obstétricienne, cheffe de service à l'hôpital de Jossigny à Marne la Vallée en Seine et Marne. Autre conséquence de la lassitude des équipes, "c'est que malheureusement,dans nos services de gynécologie et d'obstétrique, nous ne sommes toujours pas considérés comme des services d'urgence, donc on n'a pas la même considération ni les mêmes prises en charge. Les personnels ne peuvent plus suivre la cadence imposée par notre société".
Autre témoignage, celui de deux sages-femmes qui pratiquent depuis une dizaine d’années au CHR d’Orléans, où se trouve la troisième maternité de France (5000 naissances par an). Dans le journal La République du Centre, elles racontent ne plus pouvoir exercer ce métier qu’elles aiment tant dans de bonnes conditions. "La situation ne s’est pas dégradée depuis seulement une semaine ! Cela fait depuis le mois de décembre qu’on alerte pour cet été. On a eu beaucoup de départs en libéral ou vers d’autres hôpitaux. Certaines se sont reconverties, surtout des jeunes. Ce qui fait que les conditions de travail sont devenues plus difficiles", déplorent-elles. "C’est presque l’usine. On travaille à la chaîne, mais on n’a pas appris à faire comme ça.", ajoutent les deux femmes. Pour elles, les rémunérations proposées aux sages-femmes libérales pour venir renforcer les équipes ne sont pas à la hauteur et donc n’attirent pas.
Les deux sages-femmes rapportent aussi l'inquiétude d'une consoeur, qui avoue se sentir parfois "maltraitante" avec les patientes tant elle doit aller vite, si bien qu'elle en a même oublié de sourire.
Sur la radio, une maman témoigne : "Moi j'ai subi des violences obstétricales durant mon premier accouchement et je met ça sur le compte de manque de moyens. J'ai tout à fait compris que tout était chronométré, sauf qu'un accouchement c'est pas comme ça que ça fonctionne".
En novembre 2020, Anna Roy, sage-femme et autrice du podcast Sage-meuf lançait un appel sur les réseaux sociaux : 1 femme, 1 sage-femme en salle de naissance. Dans un texte percutant, Anna Roy reconnaît avoir maltraité des femmes et leurs familles, malgré elle. Sans se dédouaner et grâce à ce hashtag #jesuismaltraitante, Anna tend la main à toutes ces mères qui subissent le manque cruel de moyens des maternités, à toutes les femmes qui subissent les insuffisances de notre système de santé. La pétition a reçu près de 130 000 signatures.
"Ce ne sont pas les personnels qui sont maltraitants, ce sont les institutions qui sont maltraitantes, il est urgent que ces institutions en prennent conscience", réagit sur Inter, Isabelle Isabelle Derrendinger, présidente du CNOSF (Conseil national de l’ordre des sages-femmes).
Aux Diaconesses, le chef de service aura ce mot pour conclure : "A la fin, c'est toujours pareil, c'est les femmes qui en pâtissent".
Rappeler aussi que les sages-femmes peuvent assurer un suivi gynéco, que les centres de Planification Familiale #CPEF assurent des consultations médicales #santésexuelle et que pour les moins de 25 ans la contraception est gratuite. Important pour ne pas renoncer aux soins! pic.twitter.com/XmimDNQR3S
— Séhier Véronique (@verosehier) February 6, 2022