Fil d'Ariane
Son nom est devenu un symbole de la lutte contre les violences policières. Malik Oussekine est mort dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, battu par des policiers, à Paris, en plein quartier latin. À présent, une série télévisée retrace son histoire, ou plutôt celle de son meurtre. Co-produite par Disney+, la série « Oussekine » vient raconter l’histoire de cet étudiant sans histoire à l’École supérieure des professions immobilières.
Le combat d'une famille pour obtenir justice. Oussekine, votre nouvelle série originale française, en streaming dès le 11 mai sur #DisneyPlus. (avec contrôle parental) (1/2) pic.twitter.com/FwpvZtLMBH
— Disney+ FR (@DisneyPlusFR) May 3, 2022
« On est parti du point de vue d’une mère qui a perdu son enfant », raconte le réalisateur de la série Antoine Chevrollier. Pour le moment, seul le premier épisode a été présenté au public le 25 mars en avant-première, lors du festival Séries Mania à Lille, consacré aux séries télévisées. En abordant le drame d’un point de vue intime, la série espère faire du nom d’Oussekine un symbole des violences policières.
Il est tombé, ils ont continué à le frapper à coups de matraque et de pieds dans le ventre et dans le dos. La victime se contentait de crier ‘‘Je n’ai rien fait, je n’ai rien fait.’’Paul Bayzelon, seul témoin de la mort de Malik Oussekine
Le drame se produit en pleine contestation étudiante à Paris, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986. Malik Oussekine, âgé de 22 ans, s’était tenu à l’écart du mouvement dénonçant un projet de loi instaurant, selon ses détracteurs, la sélection à l’entrée de l’université. Le jour de sa mort, il a voulu aller voir les manifestations selon ses amis. « Je rentrais chez moi, raconte Paul Bayzelon, seul témoin de l’événement. Au moment de refermer la porte après avoir composé le code, je vois le visage affolé d’un jeune homme. Je le fais passer et je veux refermer la porte. » Fonctionnaire au ministère des finances, il habitait un immeuble de la rue Monsieur-Le-Prince, dans le VIe arrondissement de Paris.
« Deux policiers s’engouffrent dans le hall, se précipitent sur le type réfugié au fond et le frappent avec une violence incroyable, poursuit Paul Bayzelon. Il est tombé, ils ont continué à le frapper à coups de matraque et de pieds dans le ventre et dans le dos. La victime se contentait de crier ‘‘Je n’ai rien fait, je n’ai rien fait.’’ » Le fonctionnaire ajoute s’être fait matraquer en voulant s’interposer. Il a dû sortir sa carte de fonctionnaire pour qu’ils arrêtent et que les policiers partent. Malik Oussekine est décédé à l’hôpital peu après.
Pour que les gens comprennent, il faut montrer cette peine, mais aussi qui étaient ces gens avant le drame.Antoine Chevrollier, réalisateur de la série « Oussekine »
Le lendemain, le ministre délégué à l’Enseignement supérieur et auteur du projet de loi controversé Alain Devaquet démissionne. Au même moment, des étudiants défilent en silence avec des pancartes « Ils ont tué Malik. » Le 8 décembre, le Premier ministre Jacques Chirac retire le texte après de nouvelles manifestations. Les deux policiers, membres du « Peloton voltigeur motocycliste » sont jugés trois mois plus tard aux assises de Paris pour « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner. » Le 27 janvier 1990, ils sont condamnés à des peines de prison avec sursis.
Connu pour avoir réalisé « Le Bureau des Légendes » et « Baron noir », Antoine Chevrollier a fait le pari de l’intime pour cette série télévisée sur l’histoire de Malik Oussekine. « Pour que les gens comprennent, il faut montrer cette peine, mais aussi qui étaient ces gens avant le drame, d’où ils venaient, décrit le réalisateur. Tout ça pour créer de l’empathie. » Il assure avoir « voulu être au cœur de la famille », pour tourner ce film. Antoine Chevrollier assume le parti-pris de sortir le nom de ce jeune de la case faits divers.
Toutefois, il n’occulte pas la dimension politique du drame et notamment les tentatives d’étouffer l’affaire. « En racontant cette injustice, cette violence, j’espère qu’enfin une plaque sera posée sur l’immeuble et qu’on ne marchera plus jamais sur le prénom et le nom de Malik Oussekine », explique le réalisateur. En effet, une plaque commémorative a été installée sur le trottoir, face à l’entrée où le jeune homme a été retrouvé agonisant. La copropriété de l’immeuble a toujours catégoriquement refusé qu'on la place sur le mur.
Quand j’ai commencé à creuser le sujet, je me suis rendu compte de l’ampleur de ce qu’on pouvait raconter. Antoine Chevrollier, réalisateur de la série « Oussekine »
L’envie d’Antoine Chevrollier de raconter cette tragédie est ancrée en lui depuis longtemps. Il a dix ans quand il entend le nom Oussekine pour la première fois, en écoutant une chanson du groupe Assassin. Il y a un morceau qui s'appelait L'État assassine et le refrain du morceau disait "L'État assassine un Malik Oussekine". « C’est un nom qui m’est resté gravé dans la mémoire, se souvient-il. Quand j’ai commencé à creuser le sujet, je me suis rendu compte de l’ampleur de ce qu’on pouvait raconter. »
Au moment des faits, le nom du jeune étudiant devient un emblème auprès des marges, selon l’historien spécialiste de l’histoire de l’immigration Pascal Blanchard. « La jeunesse maghrébine et plus globalement celle de l’époque, qui est une jeunesse déjà sensibilisée aux discriminations raciales, est sensible à ce crime qu’elle perçoit comme un crime raciste, analyse-t-il. Mais le reste des Français ne voient pas cette histoire-là. »
L’important, c’est de faire résonner ce nom et cette histoire pour ne jamais plus oublier.Antoine Chevrollier, réalisateur de la série « Oussekine »
De son côté, l’historien Yvan Gastaut estime que cette histoire marque « la fin de l’impunité policière », car les deux policiers ont été jugés et condamnés. C’est pour cela que son nom est devenu l’apanage du combat contre les violences policières selon lui. Le réalisateur de la série Antoine Chevrollier considère cette affaire comme « un fait de société majeur ». Par ailleurs, il voit en Malik Oussekine une figure « universelle. » « L’important, c’est de faire résonner ce nom et cette histoire pour ne jamais plus oublier », conclut le réalisateur.