Violences policières en France : 14 morts en un an

Après la mort d'un jeune de 22 ans, tué par balle policière lors d'un contrôle, plusieurs quartiers de Nantes se sont embrasés ce mardi 3 juillet. La semaine précédente, l'IGPN avait publié pour la première fois, dans un souci de transparence, le nombre de personnes tuées ou blessées par la police en un an, en France. 14 morts et des centaines de blessés. 
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Lors d'une intervention, à Nantes, la police tue Aboubakar F. d'une balle dans le cou.
Sur les lieux de l'intervention qui a conduit à la mort d'Aboubakar F. à Nantes, ce mardi 3 juillet, les habitants déposent des fleurs, et ne décolèrent pas. 
©AP
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Ce mardi 3 juillet, Aboubakar F. a été tué par une balle dans le cou, tirée par un policier, lors d'un contrôle routier. Selon le procureur de la République de Nantes, Pierre Sennès, il aurait tenté de s'enfuir en effectuant une marche arrière. Aboubakar F était connu de la police, recherché pour vol en bande organisée, recel et association de malfaiteurs. 

Depuis, le quartier s'embrase, des voitures sont brûlées, onze jeunes ont été interpellés. Le policier auteur du tir est depuis ce jeudi en garde en vue.  Les violences policières aux Etats-Unis sont souvent montrées du doigt. Qu'en est-il en France? 

Sentiment d'abandon des familles

L'affaire Théo, grièvement blessé par un coup de matraque dans l’anus en 2017.  Celle d'Adama Traoré, mort dans des conditions non éclaircies à la gendarmerie de Persan après son interpellation en 2016. Mais aussi des dizaines d'autres noms et affaires, moins connus. Avec ces violences, des comités se sont créés, des marches sont organisées, comme celle du Comité Adama (du nom d'Adama Traoré) qui s'était notamment invité dans le cortège de tête de la "Marée Populaire" anti-Macron en mai dernier. Tous demandent "la Vérité". 

Même s'il s'agit d'un délinquant, ou qu'il a tenté de fuir, on ne peut pas donner le "droit de tuer", ou sinon, cela s'apparente à la peine de mort !
Amal Bentounsi, fondatrice du Collectif "Urgence notre police assassine"

Ce mardi, à l'annonce de la mort d'Aboubakar F., Amal Bentounsi, à la tête du Collectif "Urgence notre police assassine", a de nouveau ressenti "de l'indignation, de la colère. Cela fait remonter plein de choses" explique-t-elle. En 2012, elle perdait son frère Amine Bentounsi, recherché par la police pour des braquages, tué d'une balle dans le dos par un policier, alors qu'il tentait de fuir. Depuis, elle n'a de cesse "d'alerter l'opinion publique. Même s'il s'agit d'un délinquant, ou qu'il a tenté de fuir, on ne peut pas donner le "droit de tuer", ou sinon, cela s'apparente à la peine de mort ! Nous, les familles, avons un sentiment d'abandon, comme d'un déni des institutions et de la justice". 

L'usage des armes à feu en hausse

Alors que le drame de Nantes attise toute les tensions, pour la première fois cette année, l'IGPN s'était lancée dans une démarche de transparence. Le 26 juin, l'Inspection Générale de la Police Nationale a rendu public le nombre de personnes tuées lors d'interventions policières : 14 morts depuis juillet 2017. Ce chiffre inclut notamment le terroriste abattu dans le quartier de l'Opéra à Paris en mai dernier, et d'autres personnes s'étant suicidées ou ayant trouvé la mort en prenant la fuite. Selon le chercheur Jacques de Maillard, professeur des universités en science politique, auteur notamment de l'ouvrage "Polices Comparées", "on peut difficilement dire qu'on a une police en France qui fait usage de la force tous azimuts ou de manière incontrôlée. Le nombre de morts reste limité. On n'est pas du tout comme aux Etats-Unis, qui enregistrent de l'ordre de 1000 morts par an". 

Le rapport dévoile aussi un recours aux armes à feu chez les policiers qui a explosé : +54 % entre 2016 et 2017, soit 394 utilisations. Ce chiffre est cependant difficilement interprétable pour l'universitaire Jacques de Maillard, qui souligne que cet indicateur est tout récent, et que cette hausse apparente pourrait être due à une meilleure remontée de l'information. 

La force, cela peut aller des menottes, à donner un ordre, à l'utilisation d'une arme. Au delà des conditions de sommation, la philosophie de la désescalade doit être encouragée
Jacques de Maillard, chercheur sur les questions policières


Pour autant, il attire l'attention sur la nouvelle loi de février 2017, de libéralisation de l'usage des armes à feu pour les policiers, désormais alignée sur celle des gendarmes. Les policiers peuvent depuis février 2017 faire usage de leur arme après sommation, pour défendre par exemple des lieux qu'ils occupent, ou "lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui".

Si certains estiment que dans les faits, la loi a peu d'effets, l'usage des armes étant toujours régie par la condition  "d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée" (Loi n° 2017-258), pour le Collectif Urgence notre police assassine, c'est l'équivalent d'"un permis de tuer, avec une violence qui va augmenter des deux côtés, avec des policiers qui vont s'octroyer plus de droits".
  

Philosophie de la désescalade

L'affaire de Nantes montre comment un évènement  mineur dérape, et devient dramatique. Elle commence par un contrôle routier, tout comme l'affaire Théo commence par exemple par un contrôle d'identité. C'est justement là que se situe le noeud. Comment la police doit-elle faire usage de la force et du pouvoir dont elle dispose? Comment la police doit-elle gérer son action ordinnaire?

"La force, cela peut aller des menottes, à donner un ordre, à l'utilisation d'une arme. Au delà des conditions de sommation, la philosophie de la désescalade doit être encouragée" estime Jacques de Maillard.

Une partie de l'enjeu se situe au niveau des relations quotidiennes entre police et population, avec ce qu'elles comportent de conflit, et déjà, de violence.