Fil d'Ariane
Reverra-t-on un jour les deux Amine, Amine Adli et Amine Gouiri, sous le maillot de l'équipe de France ? Rien n'est moins sûr. Après avoir pris part à l'Euro Espoirs, les deux éléments offensifs pourraient changer de nationalité sportive avant la fin de l'année 2023. Le premier nommé, sociétaire du Bayer Leverkusen en Bundesliga, est susceptible de porter les couleurs du Maroc, tandis que le second, sous contrat au Stade Rennais, pourrait opter pour celles de l'Algérie, comme l'avaient fait en mars dernier trois autres jeunes talents évoluant en Ligue 1 : Farès Chaïbi (Toulouse), Badredine Bouanani (Nice) et Jaouen Hadjam (Nantes). Amine Adli et Amine Gouiri ne sont pas les seuls jeunes internationaux tricolores à se trouver dans ce cas. Loin de là. « La moitié de l'équipe peut changer de nationalité sportive et ils sont très nombreux à être sollicités par une autre Fédération », témoignait le mois dernier un proche des Bleuets dans les colonnes du quotidien sportif français L'Équipe.
La place dans les équipes fanion européennes sont de plus en plus chères, tandis que la FIFA a progressivement assoupli les règles présidant à ces changements de casaque. En mars dernier, le plus expérimenté Houssem Aouar a disputé ses premières minutes sous le maillot de l'Algérie : apparu avec les Bleus A mais uniquement en match amical, le joueur formé à l'Olympique Lyonnais demeurait éligible pour le pays de ses ancêtres, en vertu d'une passerelle déjà utilisée par Geoffrey Kondogbia quand le néo-Olympien décida de jouer avec la Centrafrique. Ces facilités réglementaires ne sauraient à elles seules expliquer ce regain d'attractivité des sélections africaines. L'instauration du Mondial à 48 équipes, avec quatre tickets qualificatifs supplémentaires pour la zone CAF, y est aussi pour beaucoup. « C'est dans l'air du temps et les récents résultats des sélections africaines, avec le Maroc en demi-finales de la Coupe du monde, favorisent ce processus », ajoutait l'expert cité en juin par nos confrères.
Des « recruteurs » en Europe
Conscientes de l'importance de ce vivier, les Fédérations africaines déploient leurs antennes sur le continent européen afin d'y repérer les meilleurs éléments. Car si l'Algérie, pionnière en la matière, compte avant tout sur le staff de l'équipe nationale, ses voisins du Maghreb ont mis en place une véritable logistique. Le Maroc dispose de « recruteurs » en France, en Belgique et aux Pays-Bas notamment. Rompus au management sportif, ces « scouts » effectuent une veille permanente, avec la capacité à porter un discours en plusieurs langues. Quant à la Tunisie, elle a créé il y a quatre ans un nouveau poste au sein du giron fédéral : celui de directeur sportif chargé des binationaux, occupé par l'ancien joueur Mohamed Slim Ben Othman. Dans un entretien accordé en 2021 au site Ettachkila, l'ex-international détaillait les contours de sa mission, qui n'a pas tardé à porter ses fruits en termes de « recrutement » binational, avec en particulier l'arrivée chez les Aigles de Carthage du grand talent franco-tunisien Hannibal Mejbri.
« Le vivier étant relativement étroit, nous devons axer notre travail sur la veille et la proactivité pour ramener très tôt en sélection les jeunes talents à fort potentiel. Dans cette optique, je travaille en collaboration avec différents intervenants faisant partie de mon réseau en Europe (directeurs techniques, scouts, anciens coéquipiers devenus coachs…) sur la collecte d’informations et la détection des profils cibles », expliquait alors cet homme clé de la FTF. Et d'insister sur l'importance de la confiance réciproque dans ce travail de longue haleine. Pour le meilleur comme pour le pire, d'ailleurs, tant un changement de nationalité sportive peut susciter de l'incompréhension dans les deux pays concernés. « Mon rôle c’est aussi de soutenir le joueur en cas de difficulté comme c’était le cas pour Anis Ben Slimane, qui a souffert du comportement de la presse danoise à son égard suite à son choix d’opter pour la Tunisie : il était important de montrer à Anis notre soutien indéfectible en toute circonstance », rappelait Mohamed Slim Ben Othman. Un an plus tard, Anis Ben Slimane disputait sa première Coupe du monde avec la Tunisie. Ancien international danois chez les moins de 19 ans, le milieu offensif de Brondby débutait face au... Danemark (0-0). Ainsi va la vie de footballeur binational.