Après la CAN, le CHAN : Sénégal, les recettes du succès

Un an après avoir décroché sa première Coupe d’Afrique des Nations, le Sénégal s’est adjugé le CHAN, réservé aux joueurs locaux, en battant l'Algérie, pays organisateur de cette septième édition. Au-delà de la victoire d'un groupe dirigé de main de maître par le sélectionneur, Pape Thiaw, dans quelle mesure cette victoire reflète-t-elle les qualités du football local sénégalais ? Quelques éléments de réponse.
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AI / Reuters / Panoramic
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Pour le Sénégal, une boucle s'est bouclée ce samedi à Alger. Un an (moins deux jours) après avoir remporté la première Coupe d'Afrique des Nations de leur histoire, les Lions de la Teranga se sont adjugé le Championnat d'Afrique des Nations (CHAN), cette CAN des joueurs locaux, pour la première fois. Au terme d’une finale fermée et vierge en occasions nettes, les jeunes Sénégalais ont pris le meilleur sur l’Algérie à l’issue de la séance de tirs au but (0-0, 4-5), samedi sur la pelouse (fatiguée) du stade Nelson-Mandela de Baraki. Contre un pays organisateur qui aura gardé ses cages inviolées pendant l'intégralité de la compétition, les Lions locaux auront su faire preuve de patience. Et c'est Aymen Mahious, meilleur buteur du tournoi avec cinq réalisations, qui a craqué dans la séance de tirs au but. Alors qu'il aurait pu donner le trophée à son pays, l’attaquant de l’USM Alger a vu sa tentative trop molle captée par l’immense Mamadou Sy (1m97). Une balle de match manquée qui allait faire basculer la séance jusqu’à l’issue fatale pour les hommes de Madjid Bougherra.

Le Sénégal devient ainsi le premier pays africain à détenir simultanément les deux trophées majeurs du football continental et ajoute son nom au palmarès d’une épreuve qui déjà vu la RD Congo (2009, 2016), la Tunisie (2011), la Libye (2014) et le Maroc (2018, 2020) remporter ce tournoi destiné à récompenser les joueurs basés sur le continent. Dans sa conférence de presse d'après-match, le sélectionneur Pape Thiaw a salué la maîtrise mentale de ses joueurs. « Nous avons des personnes qui travaillent avec les joueurs sur le plan psychologique, et il est difficile de jouer contre l'Algérie en présence de leurs supporters et de les battre. Nous avons une équipe jeune qui sait comment gérer les matchs. Notre force est dans le collectif. Être en finale contre l’Algérie, cette équipe qui n’a pas encaissé de but, qui joue à domicile et finalement gagner. Cela montre que nous étions prêts à souffrir pour rendre notre pays heureux. Je ne pouvais pas recevoir de plus beau cadeau d’anniversaire », a déclaré le technicien, nommé en avril 2022.

Une Fédération proactive


Au-delà de ces vertus, cette victoire sénégalaise témoigne-t-elle de dynamiques profondes à l'œuvre au pays de Sadio Mané, un an après la première victoire de l'équipe fanion à la CAN ? Journaliste et enseignant-chercheur, Mamadou Koumé a un avis nuancé sur la question. « On peut avoir une double lecture. On peut d’abord considérer cela comme une continuité, explique l’auteur de « Sénégal, La saga de l'équipe nationale de Football » (L’Harmattan). Dans la mesure où l’équipe A, qui a gagné la CAN, est composée pour moitié de joueurs locaux partis ensuite en France, et pour l’autre moitié de binationaux. L’équipe locale, qui a remporté le CHAN, est uniquement composée de joueurs locaux. Les centres de formation et les Académies qui pullulent dans ce pays produisent une masse de joueurs, dont certains sortent du lot. Et au niveau sous-régional, le Sénégal gagne souvent depuis quelques années. Mais on peut aussi considérer que cette victoire au CHAN est une surprise. L’équipe locale n’avait aucun repère dans cette compétition. En outre, Pape Thiaw a dû remodeler son groupe, en raison du départ de cinq joueurs avant la compétition. »

Pour préparer cette septième édition du CHAN, le sélectionneur et son staff ont bénéficié d'une préparation soignée et méticuleuse, avec un stage d'acclimatation en Tunisie. Cela a contribué à la réussite de Lions rapidement dans le ton. Présent en bonne place dans la tribune d'honneur  ce samedi, le président de la Fédération sénégalaise de football, Augustin Senghor, pouvait savourer. En poste depuis 2009, le dirigeant récolte les fruits de sa politique à destination de toutes les équipes nationales. « Pour l’équipe A, les pouvoirs publics ont toujours été prêts à mettre de l’argent. Mais pour les autres catégories, la FSF a pris les choses en main, souligne Mamadou Koumé. Elle a créé deux centres qui permettent aux équipes nationales de se préparer. Ce qui n’était pas évident jusqu’alors. Cela favorise les préparations longues. Cela explique aussi en partie la progression des féminines dans la sous-région, jusqu’à la dernière CAN dont elles ont été demi-finalistes. »

Les Coupes d'Afrique, ce paradoxe


Reste un paradoxe : créé pour valoriser les championnats locaux, le CHAN n'a toutefois pas cette année couronné l'équipe dont les clubs brillent le plus sur la scène continentale. Depuis que les Coupes d’Afrique existent, un seul club sénégalais est parvenu à se hisser en finale, quand les représentants algériens allaient régulièrement au bout. Officiellement professionnels, les championnats sénégalais de Ligue 1 et de Ligue 2, deux divisions de quatorze équipes chacune, naviguent en réalité dans une sorte d'entre-deux. « Ces clubs se disent professionnels. Je dirais qu’en tout cas ce ne sont plus des clubs amateurs », juge Mamadou Koumé, qui relève par ailleurs la prédominance des clubs de la région de Dakar.

Riche de centres de formation performants, le Sénégal voit bien souvent ses jeunes talents s'envoler pour l'Europe avant d'avoir pu briller au niveau national. Une question de survie, dans un football qui ne génère ni droits TV ni recettes de sponsoring suffisantes pour offrir des perspectives de carrière au pays. « Les pouvoirs publics investissent peu dans le football local, avec une priorité donnée à l’éducation et à la santé », ajoute Mamadou Koumé, avant de conclure sur une note optimiste. « Les clubs restent obligés de former pour vendre. Le plus important est de réinvestir dans la formation. Car tout le monde ne peut partir. Certains resteront et cela contribuera à hausser le niveau. »