Cap-Vert : les recettes du succès

Sorti premier d’un groupe très relevé, le Cap-Vert fait partie des sensations de la CAN 2023. Mais il ne s’agit pas à proprement parler d’une surprise, puisque le petit archipel volcanique n’en est pas à son premier parcours probant en phase finale. Marco Martins, journaliste spécialisé, nous aide à décrypter les ressorts et les limites cette réussite durable.

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Cap-Vert : les recettes du succès (1)
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Qui l'eût cru ? Sorti premier d'un groupe B très relevé devant l'Egypte, finaliste sortante et septuple vainqueur du trophée, le Mozambique, grosse cote sans complexe, et le Ghana, quadruple lauréat, le Cap-Vert s'est attiré les louanges quasi unanimes de tous les observateurs attentifs du football africain. Invaincus avec sept points (2 victoires et 1 nul) pour un bilan de 7 buts marqués contre 3 encaissés, les Requins Bleus n'ont jamais eu les dents aussi longues qu'en ce début de CAN 2023 en Côte d'Ivoire. Avant la suite de leur aventure, examinons les ressorts de cette remarquable réussite.

« Nous sommes une famille » : l'expression revient invariablement dans les réponses de Ryan Mendes et de ses camarades quand arrive la question du "secret" des bons résultats de leur équipe. Au Cap-Vert, sans doute plus que partout ailleurs, la star, c'est l'équipe. « C'est une équipe qui travaille beaucoup sur cet aspect collectif, bien plus que sur les individualités. Quand on analyse les parcours en 2013-2015 puis 2022-2024 (CAN 2021 et 2023), il n'y a pas vraiment de stars dans cette équipe. Et même les joueurs qui pourraient être considérés comme "stars" ne le sont pas vraiment », analyse Marco Martins, journaliste à RFI Português, rédaction lusophone.

Des talents, mais pas de vraies stars

Des noms, bien sûr, se détachent, tant l'archipel ne manque pas de talents. Mais aucun n'a jamais été considéré comme supérieur à l'équipe. « A d'autres époques, est-ce que Tavares était vraiment la star ? Il n'a jamais marqué beaucoup de buts, d'ailleurs le meilleur buteur était Heldon Ramos qui, lui, était peut-être un peu plus star en 2013-2015. Mais le joueur le plus connu, celui qui tenait la baraque, était Nando, le défenseur central passé entre autres par Châteauroux. »

La star, c'est aussi le groupe, homogène et sans faille, du onze titulaire au banc de touche, avec une saine émulation entre les uns et les autres. « La seconde clé du succès est le niveau régulier de toute l'équipe, poursuit Marco Martins. Dans certaines équipes, la différence est sensible entre le onze titulaire et le banc. Au Cap-Vert, le niveau est bon chez les titulaires comme chez les remplaçants. C'est tout bénéfice pour le sélectionneur, qui peut changer un joueur sans que le niveau de l'équipe ne change. »

Le créole cap-verdien, ciment d'un groupe cosmopolite

Cosmopolite au possible, la sélection du Cap-Vert rassemble des joueurs évoluant sur trois voire quatre continents, de la MLS nord-américaine aux Ligues du Golfe persique, en passant par les championnats européens. Constituée pour une part croissante de binationaux ou d'expatriés précoces, elle a pour ciment une langue qui rassemble tous ces joueurs qui ne parlent pas la même langue, entre francophones, néerlandophones, anglophones et lusophones : le créole cap-verdien. Cela contribue à créer une force collective.

Peuplé de moins de 600.000 habitants, le Cap-Vert compte sur sa diaspora pour constituer une équipe nationale compétitive. La taille limitée du réservoir peut expliquer le creux connu entre les années 2013-2015 et ce début de décennie 2020, qui voit le pays réussir à atteindre le second tour à deux reprises consécutives. Ce n'est pas la seule explication. Une certaine instabilité à la barre doit également être prise en compte. « A chaque qualification, le sélectionneur est parti par la suite dans l'espoir de trouver mieux ailleurs, regrette Marco Martins. Lucio Antunes (2013) en Angola pour le Sambizanga. Rui Aguas (2015) laisse aussi penser que le Cap-Vert était juste une aventure en attendant mieux. Le défaut a été de les voir revenir... Les ressorts étaient usés. Il fallait de nouveau un local. »

Bubista, le pari de la stabilité

Le Cap-Vert a alors eu la bonne idée de miser sur Pedro Brito, dit Bubista, un ancien international connaissait bien l'équipe et a su la façonner à son idée pour la remettre dans le droit chemin. « Bubista a repris le groupe en 2020, et ajouté aux plus anciens une touche de jeunesse, basée sur des talents formés au Portugal et aux Pays-Bas. Et la mayonnaise prend, avec une deuxième qualification consécutive pour les huitièmes de finale », constate Marco Martins. Tout n'est toutefois pas rose au pays des Requins Bleus : ces résultats remarquables de l'équipe fanion ne trouvent pas de prolongement dans les autres catégories : ni les équipes de jeunes (U17 et U20), ni les locaux (CHAN) ni encore moins les féminines n'émergent sur la scène continentale.

« Je ne vois pas de ruissellement. C'est la question qui peut fâcher », confirme Marco Martins, avant d'avancer une circonstance atténuante d'ordre géographique. « Le football local est partagé entre les neuf îles, avec un championnat coupé entre nord et sud. » Si cet éclatement ne favorise pas la structuration des choses, le football local pâtit également d'un déficit d'investissement. « Faute de moyens, les clubs capverdiens doivent laisser leurs bons joueurs partir au Portugal à 15, 16 ou 17 ans. Cela reste le premier chemin vers le professionnalisme. » Pour l’heure, le Cap-Vert profite de ses talents en Coupe d’Afrique. La base devra se structurer pour en recueillir aussi les fruits.