Il y a trente ans, les Marseillais fêtaient la victoire de l’Olympique de Marseille en Ligue des Champions face au grand AC Milan (1-0). Un sacre historique, qui, jusqu'à aujourd'hui, fait la fierté des nombreux supporters africains du club. Récit d’une passion pour le club marseillais sur le continent.
Des supporters de l'OM à Dakar le jour de l'officialisation du Fan Club de Dakar en 2019.
Dakar, 26 mai 1993. Les yeux rivés devant son téléviseur, Serigne Sall Ndiaye explose de joie avec ses grands-frères. L'Olympique de Marseille (OM) vient de remporter la Ligue des Champions, après sa victoire face au AC Milan (1-0). “Mon grand-père était là. Il me disait : “pourquoi tout ce vacarme ? Vous n’êtes pas français.” Mais il ne pouvait pas comprendre, confie le supporter. Je me référais à mes grands frères. Ce jour-là, pour la première fois, j’ai vu l’un d’eux pleurer. Par sympathie, moi aussi, j’ai versé une larme.”
Une victoire historique, suivie à l'époque par des milliers de supporters du club depuis l'Afrique, et ce, malgré les difficultés à accéder à la diffusion de matchs des championnats européens dans certains pays. “Le week-end, on avait souvent qu'un seul match. Moi, j’écoutais le championnat de France chaque samedi sur RFI, la radio française, je ne manquais aucune édition", se souvient Petit Ba, aujourd’hui membre de l’OM Nation à Dakar et journaliste de la RTS, la radiotélévision publique sénégalaise. À l'époque, en 1993, il est dans sa ville natale à Nouadhibou, en Mauritanie. Le futur journaliste et jeune supporter attend le match de l'OM avec impatience.
On était plus dubitatif parce qu’on rencontrait le grand Milan AC avec toutes ses stars.
Petit Ba, membre de l’OM Nation à Dakar et journaliste de la Rts
Pour l'occasion, Petit Ba s’est réuni avec des jeunes de son âge, aussi fans du club marseillais.“On était plus dubitatif parce qu’on rencontrait le grand Milan AC avec toutes ses stars, confie le journaliste. Deux ans plus tôt, on avait perdu face à l’Étoile rouge de Belgrade (0-0, tab. 5-3), une équipe qui, sur le papier, n’est pas plus forte que Marseille.”
Ses inquiétudes se confirment en début de match. L’OM souffre face aux actions des stars l'AC Milan. Mais le gardien marseillais, Fabien Barthez, repousse tout. Et puis vient un corner qui n'en est pas un, arraché par le milieu offensif Abedi Pelé, un tir dans l’axe et la tête du défenseur Basile Boli. C’est le but historique, le seul et l’unique ce jour-là. “Je l’ai revu mille fois depuis, commente Elie Abijaoudi, président de l'OM Fan Club à Abidjan. Il n’y aurait pas dû avoir corner. J’ai vu des anecdotes disant que Basile Boli voulait sortir du match avant. Bernard Tapie (le président du club, n.d.l.r) serait intervenu pour lui dire de ne pas sortir, d'attendre la mi-temps. Et c’est juste avant la mi-temps qu’il a marqué le but."
"Basile Boli est un des premiers joueurs d’origine ivoirienne qui jouait à l’étranger, même s’il est français. Par la suite, les joueurs ivoiriens ont commencé à s'exporter.
Elie Abijaoudi, président du Fan club à Abidjan
Une fierté pour Elie, qui n'a que 14 ans à l'époque et s’est réuni avec ses camarades de l’école pour soutenir les stars du club. "Basile Boli est un des premiers joueurs d’origine ivoirienne qui jouait à l’étranger, même s’il est français. Par la suite, les joueurs ivoiriens ont commencé à s'exporter", rappelle le président du Fan club d’Abidjan.
Et puis, à l’attaque, il y a l’autre star, le Ghanéen Abedi Pelé. "Les Ivoiriens s'identifiaient à eux, détaille-t-il. L’attachement à l'OM de chacun est lié à une période dans l’histoire du club. Certains ont commencé à regarder l’OM à cause de Didier Drogba (2003-2004). Il y en a d’autres, c’était la période fin des années 90, avec la star Laurent Blanc (1997-1999)." D'autres encore s'identifient à la période où le Sénégalais Pape Diouf est président de l'Olympique de Marseille (2005-2009). Pour Elie, c’était l’OM de Basile Boli (1990-1994) et Abedi Pelé (1990-1993). L’OM aussi de son dirigeant de l'époque, Bernard Tapie.
Je ne sors jamais sans l’effigie de Bernard Tapie avec moi. Au Sénégal, on a l’habitude de porter des badges où il y a le marabout mais moi j’en ai fait un à l’effigie du boss “A jamais le boss”.
Serigne Ndiaye, président de l'OM Nation Fan Club à Dakar
Géré d’une main de fer, l'Olympique de Marseille de 1993 devient en quelques années l’équipe dominante du football français. Une réussite telle que certains supporters vouent encore un culte à son président de l'époque, à l’instar de Serigne Sall Ndiaye, aujourd’hui président du fan club de Dakar. “Je ne sors jamais sans Bernard Tapie avec moi. Au Sénégal, on a l’habitude de porter des badges où il y a le marabout mais moi j’en ai fait un à l’effigie du boss “ à jamais le boss”, décrit le supporter.
Le pendentif à l'effigie de Bernard Tapie porté par Serigne Ndiaye, président du fan club de l'OM à Dakar.
L’homme d’affaires et ancien patron de l’Olympique de Marseille est pourtant condamné en 1995 à de la prison ferme dans une affaire de corruption autour du match OM-Valencienne qui s'est déroulé quelques jours avant la finale de 1993. Marseille est rétrogradée en deuxième division. “On avait la sensation qu’ils voulaient casser l’OM au profit du Paris Saint-Germain, l’équipe de la capitale, qui n’arrive pas à avoir une équipe comme le Real Madrid. C’était politique, social. On s'identifiait à ce Marseille-là, de la Provence, et persécuté par l’aristocratie française”, confie Petit Ba à Dakar.
Une fois l’âge d’or du début des années 90 révolu, le club n'est plus au sommet. Mais la ferveur des supporters reste intacte. “Quand je vois les supporters des autres clubs, ils n’ont pas la même relation avec leur club. Souvent ils me demandent : 'vous ne gagnez rien, mais vous êtes heureux'”, rapporte Petit Ba.
C’est plus que religieux. Je connais des gens qui ne mangent pas si Marseille perd le week-end.
Petit Ba, membre de l’OM Nation à Dakar et journaliste de la RTS
C’est cette effervescence qui a gagné Serigne Sall Ndiaye quand il était encore adolescent. "Pour dire vrai, ce n’est même pas le football en soit qui m’intéressait, mais l’OM, se confie-t-il. Tu ne peux pas être fan de Marseille, sans être fan de ses supporters. A Dakar, les femmes disent qu’il faut trouver un mari qui supporte Marseille. Parce que, eux, ils ne se découragent jamais et ils ne trahissent jamais en amour”. Même constat pour le journaliste et supporter Petit Ba qui a toujours été fidèle à son club favori. “C’est plus que religieux, commente-t-il. Je connais des gens qui ne mangent pas si Marseille perd le week-end.”
Et ça l’OM l’a bien compris. Depuis quelques années, le programme OM Fan Clubs rassemble les supporters marseillais à l’étranger. Sénégal, Cameroun, Côte d’Ivoire, RDC... Ils sont largement représentés en Afrique francophone et anglophone. “Avec le Fan Club, on a commencé en 2018, se rappelle l’Ivoirien Elie Abijaoudi. Chaque personne qui connaissait des fans de l'OM, les rajoutait dans le groupe. On a réuni le nombre minimum de personnes qu’il fallait, une trentaine de personnes. On leur a envoyé la liste et le programme était lancé comme ça.” À Dakar, Serigne Sall Ndiaye comptabilise trois groupes Whatsapp réunissant près 1500 abonnés. “Il faut payer plus de 1000 francs pour pouvoir intégrer nos pages Whatsapp. Cela nous permet d’organiser des tournois de football, de faire du social entre supporters.”
L'équipe de football des supporters de l'OM Fan Club à Dakar.
Réunions dans des restaurants pour regarder les matchs, voyages à Marseille... Par ces actions, Serigne, Elie ou Petit n'ont de cesse de transmettre leur passion pour l'OM de l'autre côté de la Méditerranée pour que jamais ne s'éteigne l'engouement autour du club. En espérant un jour voir l'Olympique de Marseille initier une tournée africaine et reprendre la place qu'il mérite à leurs yeux sur l'échiquier mondial. "À jamais les premiers", comme ils scandaient cette fameuse journée du 26 mai 1993.