JO d'hiver : "À travers ces Jeux, la Chine ne parle pas au monde mais à son peuple"

Les Jeux Olympiques d'hiver de Pékin s’ouvriront le 4 février prochain dans un climat des plus tendus. Boycott diplomatique américain notamment, dénonciation des atteintes aux droits humains, impact environnemental désastreux, la compétition sportive n’a pas encore commencé qu’elle est déjà grandement décriée. Qu'escompte la Chine à l'issue des ces Jeux ? Comment comprendre la position du CIO qui se refuse à toute déclaration sur la Chine ? Précisions avec Patrick Clastres, professeur d’histoire du sport à l’Université de Lausanne au sein de la Faculté des sciences sociales et politiques (ISSUL).

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Un skieur s'entraine sur le half pipe des Jeux Olympiques de Pékin à Zhangjiakou, en Chine, le 27 janvier 2022. 
Un skieur s'entraine sur le half pipe des Jeux Olympiques de Pékin à Zhangjiakou, en Chine, le 27 janvier 2022. 
AP/ Jae C. Hong
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TV5MONDE : Certains acteurs politiques, comme le président français, avancent que le boycott diplomatique est un message faible envoyé aux autorités chinoises. Qu'en pensez-vous? 

Patrick Clastres, professeur d’histoire du sport à l’Université de Lausanne au sein de la Faculté des sciences sociales et politiques (ISSUL) : Pratiquer la chaise vide fait partie de l'arsenal diplomatique dans lequel s'inscrivent les rencontres sportives internationales. Quand un chef d'État dit que le boycott diplomatique ne sert à rien, cela permet en réalité de justifier sa position diplomatique. 

Le sport a fait son entrée dans le concert des nations depuis les années 30. C'est devenu un nouvel outil de la symbolique des diplomaties modernes, donc quand il y a des tensions, on envoie un signal diplomatique à l'adversaire. Ces JO de Pékin 2022 révèlent tout un système d'alliances, autant du côté des États-Unis que de la Chine. On y voit aussi tous les indécis, ceux qui sont soumis à l'économie chinoise.

Le boycott diplomatique permet aux États-Unis d'arrimer toutes les sociétés démocratiques au leadership américain.

Patrick Clastres, professeur d’histoire du sport à l’Université de Lausanne au sein de la Faculté des sciences sociales et politiques (ISSUL)

L'autre boycott le plus connu de l'Histoire, c'est celui des Jeux olympiques de Moscou en 1980 par les États-Unis qui voulaient en faire un outil de dénonciation du régime soviétique. Le but était de mobiliser l'opinion publique contre l'URSS et de retourner la population soviétique contre ses dirigeants. De ce point de vue, ça a d’ailleurs marché. 

Aujourd'hui, le boycott diplomatique permet aux États-Unis d'arrimer toutes les sociétés démocratiques au leadership américain, de la même manière que Washington a ciblé la Russie avec l'affaire de dopage en 2014. C'est un feuilleton qui dure encore.

Voir aussi : Faut-il boycotter les Jeux olympiques de Pékin et la Coupe du monde au Qatar ?

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TV5MONDE : Comment comprendre la position du CIO qui se refuse à toute déclaration sur la Chine ?

Patrick Clastres : Le CIO est dans son rôle. Son projet majeur, c'est la pérennisation des Jeux. Si vous prenez parti pour un camp, vous risquez d'être minoritaire et de créer l'organisation de "contre Jeux". C'est ce qui s'est produit avec les Soviétiques qui ont inventé les Spartakiades, avec une première édition en 1928. La crainte du CIO, c'était que ces Spartakiades qui n'existaient qu'en Russie soient étendus à l'ensemble du monde communiste. C'est pour cela qu'ils ont accéléré l'intégration de l'URSS au sein des Jeux olympiques en 1952 à Helsinki.

L'autre idée forte du CIO, c'est l'olympisation du monde, c’est à dire qu’on ne laisse aucun pays à l'écart du projet olympique. Or, si vous n'êtes plus neutre, vous laissez à l'écart des pays. Sauf que le CIO a choisi la Chine en 2017 pour 2022, et son choix ne peut qu'être interprété politiquement. La neutralité est aussi un choix politique. Ce choix de la Chine donne l'apparence que le CIO sert le régime chinois.

Si vous ne défendez pas les droits humains en tant qu'institution, vous contribuez à les relativiser.

Patrick Clastres

Cela a été d'autant plus souligné avec l'affaire Peng Shuai. Le CIO a bien voulu se prêter à une mascarade d'entretiens pendant lesquels les échanges avec la sportive ne pouvaient qu'avoir lieu par l'intermédiaire d'un interprète, alors que Peng Shuai parle parfaitement anglais après avoir évolué pendant 15 ans dans le circuit international. Par ailleurs, il n'a pas été proposé de la rencontrer à Lausanne mais seulement en Chine. 

Le problème c'est que si vous ne défendez pas les droits humains en tant qu'institution, vous contribuez à les relativiser. Cela relève pleinement de la tactique chinoise et de tous les pays qui sont les adversaires de la démocratie, ceux-là même qui disent que la démocratie et les droits humains sont des inventions de l'Occident. Le CIO devrait revendiquer une neutralité à l’exception des droits humains, qui ne devraient pas être l’objet d’une opinion politique. Les droits humains relèvent de la défense d'un universel.

Voir aussi : JO de Pékin : Yohan Goutt Gonçalves, unique représentant du Timor oriental

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En se mettant à l'écart de cette affirmation, le CIO fait le jeu des adversaires de la démocratie. Thomas Bach, le président actuel du CIO, est en quelque sorte la victime de ses prédécesseurs (qui avaient fait ce choix de la Chine pour les JO d’été et d’hiver), eux étaient dans une logique d'olympisation du monde.

TV5MONDE : Quelle est la différence d'enjeu pour la Chine entre 2008, où elle a accueilli pour la première fois les Jeux olympiques d'été et aujourd'hui ?

Patrick Clastres : En 2008, la Chine était dans la même situation que Tokyo en 1964 ou Séoul en 1988, elle possédait le statut de nouvelle puissance économique. Les Jeux servaient alors de vitrine et leur permettaient d'accéder au club des pays riches. En l'occurence, pour Séoul, c'était son intronisation dans l'OCDE qui était en jeu. En 2008, les Jeux pour la Chine sont comme une sorte de proclamation à l'échelle du monde de son arrivée dans le concert des grandes économies.

Aujourd'hui, on est plus dans une logique de domination du monde. La Chine a lancé les nouvelles routes de la soie, elle est à l'offensive en Afrique, elle a acheté le Pirée en Grèce et on voit les difficultés qu'ont les pays de l'Est à élever la voix contre le régime chinois.

Les Jeux d'hiver n'ont que peu d'impact dans les relations internationales notamment car ils concernent peu de pays : 300 athlètes contre 10 500 en moyenne pour les JO d'été.

Patrick Clastres

Ce sont les pays les plus dépendants de l'économie chinoise qui se rendent à Pékin. On peut aussi mettre dans cette catégorie la France ou la Suisse qui sont très timorés.

TV5MONDE : Les Jeux olympiques aujourd'hui sont-ils toujours une démonstration de force ?

Patrick Clastres : Bien sûr. Le modèle sportif est basé sur un principe d'équipes qui s'affrontent. C'est ni plus ni moins le reflet de l'état du monde à la fin du XIXe siècle. C'est d'ailleurs de cette manière que Pierre de Coubertin (NDLR : créateur des Jeux Olympiques) l'a pensé : comme un affrontement.

À la différence du soft power culturel qui diffuse un mode de vie via des produits, on est avec les Jeux olympiques dans le cadre d'un affrontement réel, physique, corporel, euphémisé par la règle sportive. Les Jeux olympiques, c'est comme une grande tragédie : un espace, un lieu, une action. Il y a des blessés, des vainqueurs, une hiérarchie de la puissance physique avec de la vitesse, de la puissance, de la précision…

Voir aussi : JO de Pékin : "si les athlètes ne sont pas en phase ils peuvent boycotter"

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Et tout cela est commenté par les journalistes depuis 1896 qui affirment  la supériorité sportive de leur propre pays sur le reste du monde. Dès 1996, on affirme donc la supériorité américaine. Et surtout, on peut intégrer visuellement la victoire des nations, ce qui entre dans les esprits de chacun. Les spectateurs voient, physiquement, les victoires et les supériorités s'affirmer par le biais de ces équipes nationales qui s'affrontent.

TV5MONDE : Entre les dénonciations internationales des atteintes aux droits humains, la critique environnementale en raison des créations des montagnes et l'usage à 100% de neige artificielle, la gestion du Covid : ces JO sont-ils les plus décriés de ces 20 dernières années? 

Patrick Clastres : Je ne dirais pas ça. Les Jeux d'hiver n'ont que peu d'impact dans les relations internationales notamment car ils concernent peu de pays : 3000 athlètes contre 10 500 en moyenne pour les JO d'été. Les pays concernés par les JO d’hiver sont des pays riches, pour la plupart occidentaux. La participation des autres pays relève de l'anecdotique.

Ce ne sont pas des Jeux qui marquent particulièrement les relations internationales sportives sauf que là, ça se passe en Chine. Mais les Jeux de Sotchi en Russie en 2014 ont été bien plus décriés, avant, pendant, et longtemps après à cause de l'affaire du dopage des athlètes russes. Cela a eu un effet boomerang pour la Russie et les a pleinement discrédités. 

Les dirigeants chinois veulent montrer à leur peuple qu'ils offrent les mêmes loisirs que l'Occident.

Patrick Clastres

TV5MONDE : Qu'escompte la Chine à l'issue des ces Jeux d'hiver ? 

Patrick Clastres : Faire la démonstration de sa modernité technologique, sportive, organisationnelle, économique et culturelle. Aujourd'hui, plus de 300 millions de Chinois font du ski, selon le discours officiel. Ils sont entrés de plain-pied dans cette modernité particulière des sports d'hiver réservés à un club de pays riches.

C'est une nouvelle démonstration qui n'est pas qu'économique mais culturelle. Sa récolte des médailles ne sera pas aussi évidente car la Chine n'est pas un grand pays de sports d'hiver mais ce sera nécessairement plus en terme numérique qu'à leur dernière participation. De toute manière, la Chine ne parle pas au monde à travers ces Jeux. Elle parle à son propre peuple, comme le font les dictatures quand elles organisent un « super événement » comme celui-ci. Le but est de consolider l'esprit national et le régime politique. Les dirigeants chinois veulent montrer à leur peuple qu'ils combinent loisirs de montagne et "harmonie sociale" à la différence du camp occidental qui est dénoncé comme le camp de l'égoïsme capitaliste.

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