Le football tunisien vit une crise institutionnelle depuis le placement en détention du président de la Fédération, Wadii Jarii, le 26 octobre dernier. Alors que la CAN se profile à l’horizon, le staff des Aigles de Carthage se trouve dans l’expectative quant à une éventuelle sortie de crise. Décryptage.
À un peu plus de deux mois de la CAN, la Tunisie ne sait pas où elle va. Depuis le 26 octobre, le président de la Fédération tunisienne de football (FTF), Wadii Jarii (photo), dort en prison. Le dirigeant a été arrêté dans le cadre d'une enquête pour corruption présumée. « Une plainte a été déposée par le ministère de la Jeunesse et des Sports concernant l'illégalité d'un contrat conclu entre la Fédération et un directeur technique. Le dossier est lié à de la corruption financière au sein de la Fédération », indique alors Chokri Hamda, porte-parole dudit ministère, sur les ondes d'IFM.
L'affaire concerne le contrat signé avec l'ancien directeur technique de la FTF, Sghaier Zouita. L'engagement en question ne serait pas conforme à la législation en vigueur. « Le directeur technique doit être nommé par décret et non par contrat. La Fédération n'a pas respecté la loi tunisienne, poursuit Chokri Hamda. Le juge d'instruction a décidé de placer le président de la Fédération en détention. Il comparaîtra devant le juge d'instruction. Nous avons déposé plusieurs plaintes. »
Le staff des Aigles de Carthage s’inquiète
En poste depuis 2012, réélu deux fois depuis, Wadii Jarii entendait briguer un quatrième mandat en 2024. Le pourra-t-il ? Avant que ne soit tranchée cette question, le dirigeant aussi puissant que clivant a vu sa garde rapprochée monter au créneau, tandis que ses avocats gardaient un silence prudent. Mohamed Wassef Jlaiel, vice-président de la FTF, a assuré que son président avait déjà été interrogé par le passé sur les mêmes dossiers, soulignant que « des preuves de son innocence avaient été présentées aux autorités judiciaires et de sécurité. » Pour un autre représentant de l'instance, « la loi en vertu de laquelle le président a été suspendu est devenue nulle et non avenue, ce qui signifie que le ministère s'est appuyé sur un texte caduc. »
Près de deux semaines plus tard, aucune avancée notable n'est à relever, et l'inquiétude grandit dans l'entourage de l'équipe nationale tunisienne. « Nous sommes à moins de deux mois et demi de la CAN, nous devrions travailler sur la préparation de la compétition. Or, nous sommes dans le flou », déclare à TV5 Monde une source proche du staff des Aigles de Carthage, versés dans le groupe E avec pour adversaires le Mali, l'Afrique du Sud et la Namibie.
Wadii Jarii, ambitieux et controversé
Personnage très controversé, dirigeant à la communication souvent discutable, Wadii Jarii a vu son avenir s'assombrir depuis le coup de force du 25 juillet 2021, suite auquel le président Kais Saïed s'est emparé de tous les leviers du pouvoir. Nommé dans la foulée par le chef de l'Etat, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Kamel Deguiche, ne manque pas une occasion d'exprimer ses désaccords avec Jarii, auquel sont prêtées des ambitions politiques.
« Wadii Jarii a pris en main une Fédération qui était en gros déficit. Une décennie après, c'est une institution redressée, qui ne dépend que d'elle-même. La contribution de l'État tunisien à la FTF ne dépasse pas les 3% aujourd'hui. Cela dérange beaucoup de gens dans le pays. Certains redoutent que Jarii vise plus haut que la présidence de la FTF », poursuit notre source, qui dénonce l’influence occulte de Tarek Bouchamaoui, ex-homme fort de la Tunisie dans les instances continentales.
Quelle sortie de crise ?
Élu en 2021 au comité exécutif de la Confédération africaine de football, en bons termes avec les hauts dirigeants du football mondial, en particulier avec le premier d'entre eux, Gianni Infantino, Wadii Jarii a déjà joué cette carte et agité la menace de l'ingérence politique, combattue par la FIFA et exposant les pays concernés à une suspension. Avant la Coupe du monde 2022, Zurich y était allé d'une lettre de mise en garde à ce sujet. Depuis le 26 octobre, la FIFA a envoyé un courrier pour obtenir plus d’explications de la part du ministère de la Jeunesse et des Sports. Ce dernier écarte toute idée d’ingérence, et souligne le caractère « financier » des présentes plaintes contre Wadii Jarii.
Englué depuis deux ans dans un litige avec le club du Croissant Sportif Chebbien (qui avait vu le Tribunal arbitral du sport lui donner raison en septembre 2022), Wadii Jarii résistera-t-il à cette opération mains propres engagée par le président Saïed contre les dirigeants sportifs ? La justice tranchera à son rythme, bien souvent plus lent que l'enchaînement des grandes compétitions sportives. Et en attendant ce verdict, le sélectionneur Jalel Kadri et son staff vont devoir entamer, comme si de rien n'était, leur campagne des éliminatoires de la Coupe du monde 2026, contre deux adversaires modestes, Sao Tomé et Principe et le Malawi, les 17 et 21 novembre prochains.