Le football, enjeu d’image et levier d’influence pour la monarchie saoudienne

Karim Benzema signe à Al-Ittihad, Cristiano Ronaldo chez Al Nasr...  En quelques mois deux Ballons d'or ont rejoint la Saudi Pro League. Critiquée pour des atteintes aux droits humains, la monarchie saoudienne est déterminée à utiliser le football pour améliorer son image à l'international et auprès de la population du royaume. Et ce n'est qu'un début. Le pouvoir saoudien dispose de pétrodollars à foison pour satisfaire ses ambitions. Analyse.

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RONALDO AL NASR

Des conducteurs saoudiens sur une autroute de Riyadh, la capitale saoudienne, passent une affiche disant "Bienvenu Ronaldo".  

AP Photo/Amr Nabil
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C'est un nouveau Ballon d'or qui rejoint le championnat de football d'Arabie saoudite. À 35 ans, Karim Benzema vient donc de signer pour trois saisons à Al-Ittihad, club basé à Jeddah.  Montant du contrat : 200 millions d'euros. Il rejoint dans le championnat saoudien son ancien cooéquipier au Real Madrid Cristiano Ronaldo qui a lui avait obtenu un contrat à 500 millions d'euros en signant à Al Nasr durant l'hiver dernier. Lionel Messi, déjà ambassadeur touristique pour le pays, devrait rejoindre le championnat. Jean-Baptiste Guéguan consultant en géopolitique du sport n'est pas étonné par ces ambitions sportives saoudienne. 

Le pouvoir saoudien a compris que le football est un levier de puissance, un enjeu d'image pour le pays.

Jean-Baptiste Guéguan, consultant en géopolitique du sport

"Si Lionel Messi vient jouer en Arabie Saoudite dans les prochaines semaines. Le championnat saoudien pourrait compter dans ses rangs trois des quatre derniers ballons d'or. Ce sont des joueurs qui sont certes sur la fin de leurs carrière mais qui sont loin d'être finis et qui pourraient être pris par des grands clubs européens. Karim Benzema est le Ballon d'or. Il est encore titulaire dans son club. Sa signature chez Al-Ittihad est un tournant", estime Jean-Baptiste Guégan, consultant en géopolitique du sport et co-auteur de "Qatar, dominer par le sport". Depuis de nombreuses années selon Jean-Baptiste Guégan, le championnat saoudien avait déjà commencé à attirer des joueurs comme Bafitemis Gomis en 2018. 

Plus de 70% des Saoudiens ont moins de 35 ans. Mohammed Ben Salmane a besoin de cette jeunesse comme base politique de son régime. Le football permet de construire un narratif positif auprès de cette jeunesse.

Jean-Baptiste Guéguan consultant en géopolitique du sport

"Le pouvoir saoudien a compris que le sport est un levier de puissance, un enjeu d'image pour le pays", estime Jean-Baptiste Guégan. Cet enjeu d'image pour le pouvoir a une dimension internationale mais aussi une dimension propre à la société saoudienne selon ce spécialiste de géopolitique du sport. "Mohammed Ben Salmane, le prince héritier, dirige de fait le pays. Il est jeune et il veut parler aux jeunes. Plus de 70% des Saoudiens ont moins de 35 ans. Mohammed Ben Salmane a besoin de cette jeunesse comme base politique de son régime. Le sport et plus particulièrement le football. Le football permet de construire une image, un narratif positif auprès de cette jeunesse", décrit Jean-Baptiste Guégan.

Benzema
Tir de Karim Benzema depuis le point de penalty, lors du match de football de la Liga espagnole entre le Real Madrid et Osasuna, au stade Santiago Bernabeu de Madrid, en Espagne, le dimanche 2 octobre 2022.
© AP Photo/Manu Fernandez

"'MBS' parle le langage de cette jeunesse. Il a leur code. Il aime le football comme ces jeunes. Il y a aussi un enjeu de santé. L'idée est de mettre les jeunes saoudiens au sport. Le pays est confronté à une explosion de l'obésité", explique le consultant en géopolitique du sport.

"Le pouvoir veut donc développer un championnat compétitif, capable d'accueillir des stars du ballon rond. Les Saoudiens ont comme les Qataris et les Emiratis investi dans des clubs étrangers. L'Arabie saoudite contrôle l'actionnariat de Newcastle en Premier League, mais contrairement à leurs voisins, ils ont le bassin de population suffisant pour pouvoir développer un championnat national. Il y a une vraie culture du football en Arabie saoudite", explique Jean-Baptiste Guégan. 

Les questions des droits LGBT, des droits humains, de la place des femmes dans le royaume sont de fait supplantées par la présence du football.

Jean-Baptiste Guégan, consultant en géopolitique du sport

L'enjeu est également un enjeu d'image sur la scène internationale. "Les Saoudiens ont dépensé sur le contrat de Ronaldo 500 millions d'euros. Est-ce que cela coûte cher ? Je ne pense pas. Les retombées pour l'image du pays sont planétaires", estime le spécialiste en géopolitique du sport. L'arrivée de Ronaldo ou de Benzema permet de construire un narratif autour de l'Arabie saoudite sans évoquer pour le grand public les sujets qui fâchent selon le géopolitologue du sport.

"Les questions des droits LGBT, des droits humains, de la place des femmes sont de fait supplantées par la présence du football", explique Jean-Baptiste Guégan. Le prince héritier veut donc changer l'image du royaume, qui incarne pour beaucoup celle d'un pays très conservateur. "Le football s'insère dans une stratégie de changement d'image avec la Formule 1 en Arabie saoudite mais aussi avec d'autres projets comme "Neom", insiste Jean-Baptiste Guégan. Neom est un projet de ville nouvelle futuriste de la province de Tabuk, dans le Nord-Ouest du royaume d'Arabie saoudite. 

D'où vient l'argent ? 

Les ambitions saoudiennes semblent sans limite. Une liste de "plus de dix" stars du ballon rond a ainsi été établie en vue de leur recrutement par des clubs saoudiens avec Lionel Messi et Luka Modric en tête d'affiche, a affirmé  à l'AFP une source proche des négociations avec Karim Benzema avant sa signature. Des joueurs comme l'ancien gardien international français Hugo Lloris mais également N'Golo Kanté seraient sur les tablettes des recruteurs saoudiens.

L'objectif de la Ligue saoudienne est de doubler les recettes qu'elle génère pour atteindre les 8 milliards de riyals (environ deux milliards d'euros) à l'horizon 2030. "La Saudi Pro League sera soutenue dans son ambition de devenir l'un des dix plus grands championnats au monde", rapportait lundi 5 juin l'agence officielle de presse saoudienne SPA.

Le championnat va également changer de format, passant dès la saison prochaine de 16 à 18 clubs, qui seront autorisés à aligner chacun huit joueurs étrangers.

Mais d'où vient l'argent nécessaire à tout investissement ?  "La volonté de créer un championnat attractif vient du prince, Mohammed Ben Salmane. Mais ils ne veulent pas que les clubs de la Saudi Pro League apparaissent comme des clubs-Etat. Ils veulent y associer des entreprises. C'est ainsi que Aramco, la compagnie pétrolière du pays est la propriétaire de quatre clubs. Aramco a désormais le statut d'entreprise privée. La compagnie est ainsi cotée en bourse mais l'actionnariat reste majoritairement public. L'Etat est en fait derrière ces acquisitions de joueurs", décrit Jean-Baptiste Guégan. Les clubs n'auraient pas totalement la main également sur les négociations sur l'arrivée de ces joueurs

Objectif Coupe du monde 2030 ?

Le fonds souverain saoudien (PIF), un des plus riches au monde, est également à la manœuvre pour attirer les stars du ballon rond, selon l'AFP. Il est prévu que les joueurs soient répartis entre cinq formations : Al-Hilal, Al-Nassr, Al-Shabab, Al-Ittihad et Al-Ahly.

"L'objectif est de mettre en place une ligue très forte et compétitive et d'élever le niveau des clubs saoudiens", a résumé ainsi un responsable du gouvernement saoudien. L'Arabie saoudite est une probable candidate pour co-organiser la Coupe du monde de football en 2030 ou 2034, peut-être avec l'Egypte et la Grèce.