Fil d'Ariane
La volonté du Camerounais Joël Embiid d'obtenir la naturalisation française, une information fournie par nos confrères de RMC, n’a pas manqué de relancer les polémiques sur ce sujet au sein des bleus. Malick Daho, ancien international ivoirien, ancien sélectionneur de la Côte d’Ivoire, journaliste-commentateur pour Canal+ et la Basketball Africa League évoque pour nous ces polémiques et les enjeux en France et en Afrique de cette actualité.
TV5MONDE : Nous avons appris ce lundi par nos confrères de RMC, que l’intérieur camerounais Joel Embiid avait engagé une procédure de naturalisation ; ce qui naturellement devrait le conduire à jouer pour l’équipe de France de basket. Rumeurs et polémiques en ce sens circulent depuis des années. Qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans « ce dossier » aujourd’hui ?
Malick Daho : Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, parce qu’il en avait déjà parlé il y a quatre ou cinq ans. A l’époque, cela avait fait un tollé, y compris au sein de l’équipe de France. Maintenant, mon postulat c’est que je serai tellement heureux qu’en tant qu’Africain et panafricaniste, que Joel Embiid et Pascal Siakam jouent pour l’équipe du Cameroun.
Pour moi jouer pour un pays avec lequel tu n'as pas d'attaches c'est dérangeant. L'équipe nationale c'est pas juste un challenge sportif.
— Evan Fournier (@EvanFourmizz) January 15, 2018
Maintenant, c’est un choix de vie, çest à dire un choix personnel. A partir de là, même si je ne suis pas d’accord avec ce choix-là, je le comprends et je l’accepte. C’est dommage qu’il ne puisse pas jouer pour les Lions indomptables, et qu’il puisse s’il est éligible, parce qu’il y a les règlements de la FIBA qu’il ne faut pas occulter, évoluer au sein des Bleus du basket.
TV5MONDE : Pourquoi est-ce que l’éventuelle venue de Joel Embiid au sein de l’équipe de France de basket – les exemples de ce type sont légion – crée des crispations ou des réactions comme celle d’Evan Fournier qui a déclaré sur Twitter que : « Pour moi, jouer pour un pays avec lequel tu n'as pas d'attaches, c'est dérangeant » ? Est-ce que les cadres de l’équipe de France craignent que cette superstar de la NBA ne leur fasse de l’ombre ?
Malick Daho : L’équipe de France, c’est une bande de potes. Aujourd’hui, même si Tony Parker ne joue plus, il a toujours son œil là-dedans. Boris Diaw est manager de cette équipe de France. C’est une bande de potes, des amis qui ont grandi ensemble, qui ont fait l’INSEP [L'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance à Paris, NDLR], et qui ont créé une forme de cercle, dans lequel il faut montrer patte blanche avant d’y entrer.
Aujourd’hui, avoir un Joel Embiid avec toute l’aura qu’il a, avec toute la célébrité, la popularité, avec la fortune aussi qu’il brasse, il ne faut pas se le cacher, il peut leur faire de l’ombre. C’est vrai qu’il y a Rudy Gobert. Mais Joel Embiid et Rudy Gobert, je ne les mettrai pas sur un pied d’égalité. Il peut donc y avoir une forme d’animosité qui pour moi serait un peu égoïste. Parce que si on regarde bien, l’équipe de France avec Joel Embiid, c’est une équipe capable de remporter la médaille d’or à Paris 2024.
TV5MONDE : Selon nos confrères du quotidien sportif français L’Equipe, Boris Diaw, le manager général de l’équipe de France de basket a déclaré : « Je sais qu'il a personnellement entamé des démarches de naturalisation et qu'il souhaiterait ensuite pouvoir jouer pour la France » Est-ce à dire que Boris Diaw comme certains cadres de l’équipe de France approuvent cette éventualité ?
Malick Daho : Quand il y a eu ces premières levées de bouclier il y a trois ou quatre ans, Boris Diaw était le seul qui avait un avis divergent ; parce que, durant toute sa carrière, il a toujours privilégié le collectif. Aujourd’hui en tant que dirigeant, il n’a pas changé d’un iota. Ce qui l’intéresse, c’est que l’équipe de France gagne. Et si Joel Embiid peut permettre à l’équipe de France, qui est quand même deux fois médaillée olympique, de devenir au moins une fois championne olympique, il doit se dire banco. Je comprends parfaitement Boris Diaw.
TV5MONDE : On connait votre attachement à la Côte d’Ivoire, votre pays natal, et au continent africain en général. L’équipe camerounaise de basket est-elle en mesure de faire jouer Joel Embiid et Pascal Siakam, avec toutes les garanties nécessaires, notamment en matière d’assurance ? Et à votre avis Joel Embiid – qui avait déclaré qu’il pourrait jouer pour le Cameroun - aurait-il dû privilégier sa fibre africaine ?
Malick Daho : Je vais prendre l’exemple de Gorgui Dieng – [depuis mars 2021, il évolue au sein des Hawks d’Atlanta, NDLR] – qui joue aussi en NBA. Quand il peut rejoindre l’équipe nationale du Sénégal, il n’hésite pas, quitte à payer les assurances de sa propre poche. Car nos fédérations n’ont pas les moyens aujourd’hui de payer ce genre d’assurance pour les joueurs NBA, parce que ça coûte excessivement cher. Gorgui Dieng fait cet effort personnel pour montrer son attachement à son pays. Et le Sénégal aussi y participe.
Maintenant, au niveau de la Fédération camerounaise de basket, je trouve qu’elle travaille bien, avec les moyens qui sont les siens. Et il faut rendre hommage à Samuel Tendong Nduku le président, et à Yves Tsala, qui est le président de la ligue régionale du centre. Ils se battent vraiment pour faire vivre le basket camerounais. Et aujourd’hui, il y a une équipe comme le FAP [Forces Armées et Police Basketball, NDLR], qui montre aujourd’hui le bon côté du basket camerounais. Et je pense si Joel Embiid a cette fibre patriotique, dont je ne doute pas, il aurait pu dire : « Moi je vais jouer pour le Cameroun, quel que soit le prix que ça coûte. Je peux prendre à ma charge tout ou partie de l’assurance, afin de venir jouer pour mon pays. »
Car, en venant jouer pour le Cameroun, il ne gagne rien, mais il apportera beaucoup. Je pense que ça c’est important, et ce sont des choses que j’encourage. Mais je pense que Joel Embid fait un choix de vie. Il pense peut-être à sa carrière, à son après-basket. Est-ce que c’est mieux pour lui de vivre en France et aux USA, plutôt qu’au Cameroun ? C’est un choix de vie, et à partir de là, ce choix-là, on peut le comprendre.
TV5MONDE : Est-ce que pour la jeunesse africaine, celle qui vit sur le continent notamment et qui a besoin de rêver, celle pour laquelle le sport peut constituer un vecteur d’ascension sociale, le choix de Joel Embiid peut-il être dommageable ?
Malick Daho : Personnellement, je n’accepte pas ce choix, même si je le comprends. Parce que Joel Embiid, il est devenu cette superstar du basket grâce à l’ailier camerounais Luc Richar Mbah a Moute, qui l’a découvert dans les rues de Yaoundé, et qui lui a permis d’être vu et connu. Il a bénéficié de l’aide de son aîné Luc, qui, en 2011, lui a permis de participer au Basketball without borders, un camp de la NBA organisé sur les autres continents. Joel Embiid s’est vu ensuite offrir une bourse d’études pour les USA. Je pense que l’image qu’on renvoie à notre continent n’est pas reluisante. Ce n’est pas une critique, mais un constat.
J'aimerais vraiment amener nos professionnels, nos stars, à ne jamais oublier d’où elles viennent. Si l’on ne sait pas où l’on va, ce n’est pas bien grave. Mais oublier d’où l’on vient, c’est quelque chose qui pour moi est difficile. Aujourd’hui, je parcours le monde, et donc l’Afrique, je vois nos réalités. C’est vrai, c’est difficile. Mais avec des exemples comme le sien, c’est-à-dire en faisant fi de nos difficultés, de notre manque d’organisation, y compris de « nos tares », si je puis m’exprimer ainsi, accepter de venir jouer pour le Cameroun, il enverrait un vrai exemple de patriotisme et de panafricanisme.