La vie des hommes ne tient qu'à un fil. La vie des sportifs est multiple. Comme des funambules, ils avancent entre deux rives à chaque compétition. Pas après pas, ils tracent leur route, en sachant que tout peut s'arrêter à tout instant. Pour ne pas avoir peur, chacun développe ses petites manies, ses petits trucs pour rester en équilibre. Il y a dans le sport cette dramaturgie naturelle du vainqueur et du vaincu. Tout se joue à la corde. D'un côté ou d'un autre. Lorsque l'équilibre est proche de rompre, parfois des signes indicibles murmurent que tout reste possible. Encore faut-il ne jamais désarmer.
En avançant ce matin sur la piste du Grand Palais pour sa première rencontre en 32ème de finale, l'escrimeuse française Auriane Mallo-Breton a les certitudes de son rang de 6ème mondiale. L'épée est son arme. Et si le stress de la compétition ne l'étreint pas, elle a la conviction que l'Ukrainienne Bezhura, 42è mondiale, est au bout de sa lame.
Sur la ligne, comme une danseuse de corde, la Française est désarticulée. Les rayons des lumières du Grand Palais crépitent comme des flashs. Menée 5-0, l'instant olympique vacille. Le propre des championnes et des champions est de ne jamais céder à l'émotion, mais de chercher des solutions. Aveuglée, Auriane Mallo-Breton demande la pose d'une bande de scotch sur le haut de son masque, comme une casquette. Il y a dans ce choix, un acte presque mystique. "Que la lumière soit ! Et la lumière fut". Cette occlusion est une sortie des ténèbres.
La psychologie des sportifs regorge de secrets que la raison ne peut expliquer. Touche après touche, l'épéiste française se débat, revient à 10-13. Sur la piste, la peur respire. Etouffante. Sur le fil de la survie, Auriane Mallo-Breton campe sur ses appuis, 13 partout. Tout se joue à quitte ou double. Une touche au paradis ou en enfer. La vie des tireuses se joue à la mort subite. Auriane Mallo-Breton, vice-championne d'Europe depuis juin dernier, est toujours vivante. Victoire 14-13.
Ne dit-on pas que l'espoir fait vivre ? Il inspire. Le tour suivant n'est pas un long fleuve tranquille, mais le succès est au bout de l'épée contre l'américaine Anne Cébula (15-13). Chemin faisant, toujours en équilibre sur sa ligne, Auriane Mallo-Breton est tout proche de s'effacer en 1/4 de finale contre Vlada Kharkova. À nouveau malmenée et menée 10-7 contre une autre ukrainienne, là encore la française s'en sort (15-10). Comment est-ce possible d'infliger un + 8 à une adversaire, lorsque celle-ci se voyait franchir la ligne d'arrivée ? La peur de perdre galvanise les uns et pétrifie les autres. L'art du combat ! En demi-finale, la funambule Auriane Mallo-Breton est aérienne. Intraitable. La Hongroise Eszter Muhari ne fait pas un pli (15-9). La finale est là. La médaille d'or est éblouissante.
Lorsqu'elle descend les marches du Grand Palais à la conquête du titre, Auriane Mallo-Breton a le sourire. Sa journée n'a été qu'un ascenseur émotionnel avec des hauts, des bas, toujours en survie. Face à elle, la numéro 1 mondiale, l'épéiste de Hong-Kong, Man Wai Vivian Kong affiche une assurance non feinte. Son accession en finale n'a été qu'une formalité.
En conquérante, en survivante, Auriane Mallo-Breton joue le tout pour le tout : 4-0, 10-7, 10-9. À 1mn48 de la fin, 10 partout. 11 partout. Tout se joue sur le fil. Les secondes s'égrènent 3, 2, 1, 0. La médaille se joue à la mort subite. À ce petit jeu d'à la vie à l'or ... Auriane Mallo-Breton repart en argent.