Raoul Savoy : « Maintenant, le Maroc doit aller chercher la CAN »

Sélectionneur de la Centrafrique, Raoul Savoy n’a pas perdu une miette de la Coupe du monde 2022 qui s’est achevée dimanche au Qatar. Le technicien hispano-suisse nous livre son analyse de la participation des cinq équipes africaines à cette édition riche en rebondissements.
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Pius Utomi Ekpei
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Le Maroc a réussi une performance historique en devenant la première équipe africaine à atteindre les demi-finales. Quelles sont selon vous les clés de cette réussite sans précédent ?
D'abord un groupe de joueurs qui vit bien ensemble. Le mérite en revient à Walid Regragui, qui a apaisé les tensions. Cette aventure a été possible parce que les 26 se sont bien entendus tout au long du tournoi. Il faut aussi de la réussite, de la chance, qu'ils ont su provoquer. Ils ont été relativement épargnés par les blessures, au moins pendant la première partie du tournoi. Sur le plan tactique, le coach et son staff ont fait un gros travail. L'équipe a joué sur ses qualités défensives et sa force collective, avec également une belle qualité technique quand elle avait le ballon. Le Maroc a perdu les deux derniers matchs, durant lesquels il a davantage eu le ballon.


Cette équipe devra-t-elle pour évoluer montrer une capacité à faire du jeu ?
Oui, c'est une piste pour l'avenir, en particulier dans les compétitions africaines, pour aller chercher cette CAN qui leur échappe depuis 1976. Quand vous prenez la direction de l'équipe moins de trois mois avant le Mondial, le plus simple est la mise en place d'un plan de jeu défensif. Mais au niveau africain, il faudra savoir faire autre chose. Car si ce n'est pas le cas, si le Maroc reste figé tactiquement, les techniciens dont je fais partie auront quelques idées pour leur créer des problèmes.Qui sont ses joueurs clés ?
Je citerais d'abord Yassine Bounou, évidemment. Sans un grand gardien, vous n'obtenez peut-être pas ces résultats sur la longueur. La défense centrale a également fait une bonne compétition, en particulier Romain Saïss. Les deux latéraux, notamment Achraf Hakimi, ont été des éléments clés. Au milieu, j'ai beaucoup aimé Azzedine Ounahi. Ses sorties de balle contre le Portugal, en deuxième mi-temps, m'ont impressionné. Mais c'est avant tout un collectif, un bloc, donc il faudrait pratiquement citer tout le monde, staff compris !Le Sénégal a réussi à sortir des poules, mais n'a pas fait illusion par la suite en s'inclinant lourdement contre l'Angleterre en huitièmes de finale. Quel bilan en tirer, au-delà de la question de l'absence de Sadio Mané ?
Il ne faut pas tout ramener à Sadio Mané, même si sa présence aurait certainement amené un petit plus dans les moments chauds. C'est une équipe solide, régulière, avec une grosse discipline et un groupe qui vit très bien et a emmagasiné beaucoup d'expérience. Mais il lui manque parfois un petit quelque chose, un peu de folie. A la CAN, leur premier tour est très poussif, contre l'Egypte en barrages ils peuvent passer à la trappe. Je trouve que le Sénégal n'a pas encore endossé vraiment le costume de grand d'Afrique. Quand c'est le moment de passer l'épaule, ils ne la passent pas. Contre l'Angleterre, en huitièmes de finale, ils se sont effondrés, comme dépassés par l'événement.

De la folie, le Ghana en a parfois, mais l'équipe est apparue trop déséquilibrée et jeune...
Oui, on a assisté à une forme de changement de génération pendant le tournoi, avec les frères Ayew qui sortaient doucement de l'équipe, et la jeune génération qui prenait la place. Ils ont raté leur match décisif contre l'Uruguay. Pendant cette rencontre, ils ne donnaient pas l'impression de tous poursuivre le même objectif. La démission d'Otto Addo, qui lâche cette équipe prometteuse pour s'occuper des jeunes du Borussia Dortmund, n'est pas anodine. Le parcours est frustrant : je les voyais faire un match brillant contre l'Uruguay, et ils sont passés à côté. Cela m'a déçu et énervé. Je pensais qu'ils pouvaient faire beaucoup mieux.

Le Cameroun a alterné le bon et le moins bon. Comment le noter ?
Le Cameroun a un immense potentiel. Cette équipe jouit d’une réputation de force et inspire la peur à ses adversaires. On sent toujours un énorme respect pour ce qu'ils sont les premiers au Mondial à avoir fait en atteignant les quarts de finale en 1990. Les pionniers ont toujours ce petit plus. Mais ils n'utilisent pas cette force à bon escient, et commettent toujours des erreurs en début de compétition. On croit à chaque fois qu'ils auront appris et les erreurs se reproduisent. Après leur match perdu contre la Suisse, ils ont fait beaucoup de corrections. Contre la Serbie, ils commencent encore mal mais finissent fort. Et contre le Brésil, ils finissent par gagner mais reprennent néanmoins l'avion.

Le manque d'expérience de Rigobert Song en tant qu'entraîneur n'est-il pas en cause ?
Rigobert Song n'a pas un parcours de coach aussi rempli que celui de Walid Regragui ou d'Aliou Cissé. Song a beaucoup d'expérience en tant que joueur mais cela ne suffit pas. Et puis, il a pâti d'une mauvaise préparation : un coach expérimenté n'aurait pas validé les choix d'adversaires effectués avant le Mondial. Alors oui, lui et son staff ont bien rectifié en cours de compétition, mais je pense qu'ils avaient la place de se qualifier et de faire aussi bien que le Sénégal. Là aussi, c'est frustrant.

Comme le Cameroun, la Tunisie a terminé sur une victoire de prestige, contre le futur finaliste français même s'il présentait ce jour-là une équipe sans queue ni tête. Qu'avez-vous pensé de ce parcours paradoxal ?
La Tunisie est l'équipe africaine sur laquelle je fondais le moins d'espoirs avant le tournoi. C'est une équipe régulière, qui est toujours placée mais nous a rarement transcendés dans le jeu. J'ai eu l'impression qu'elle avaient inscrit ce match contre la France comme objectif prioritaire, un peu à l'image de la Suisse qui avait coché sa rencontre face à la Serbie, chère aux joueurs d'origine albano-kosovare. Ils ont répondu présent contre la France mais ont un peu oublié l'Australie avant... En tant que sélectionneur, j'apprécie les équipes qui comme la Tunisie font confiance aux joueurs locaux. Mais il leur manque quelques éléments qui s'exportent au haut niveau en Europe.