Riyad Mahrez : l’ascension folle du "déjoueur" de pronostics

À 30 ans, Riyad Mahrez est un joueur clé du Manchester City de Pep Guardiola et de la sélection algérienne de Djamel Belmadi. Capitaine de l’Algérie et auréolé du titre suprême sur le continent africain, en 2019, il rêve désormais de réaliser un doublé historique avec les Fennecs, au Cameroun. Retour sur le parcours cabossé et atypique d’un joueur devenu une des grandes stars du football africain.

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Mahrez CAN
Riyad Mahrez tient le trophée après la victoire, en finale de la Coupe d'Afrique des Nations, entre l'Algérie et le Sénégal au stade international du Caire, en Égypte, le vendredi 19 juillet 2019.
AP Photo/Amr Nabil
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"Avec mon père on allait tous les ans là bas. Quand tu arrives au bled, tu sens que cela fait partie de toi", se souvient Riyad Mahrez au micro de Canal Plus, la chaîne française.
Chaque été, le petit Riyad, natif de Sarcelles, ville ouvrière de la région parisienne, faisait chaque été avec son père le voyage en voiture et en bateau vers l'Algérie, berceau de sa famille, comme des dizaines de milliers de familles issues de l'immigration.

Son attachement à l'Algérie se forge à ce moment. Il justifiera plus tard son choix en faveur de la sélection algérienne. "Le maillot de l'Algérie c'est celui de mon pays", aime t-il répéter. Le joueur a pourtant tapé la première fois dans un ballon en France et non en Algérie.

C’est plus précisément dans son quartier des Sablons, à Sarcelles, dans le Val-d’Oise, en région parisienne, que le petit Riyad découvre le football. Comme beaucoup de jeunes de banlieue, à travers la France, c’est d’abord dans un "city", ces terrains, souvent bétonnés, où l’on s’affronte, par équipes de cinq, qu'il marque ses premiers buts.

Un enfant de Sarcelles

Très tôt, il intègre l’équipe de l'AAS Sarcelles. Il se distingue très vite par son toucher de balle et sa technique, à l’image de beaucoup de jeunes des quartiers en Ile-de-France. D’ailleurs, malgré son talent évident, personne, à l’époque, n’imagine que ce petit, très frêle physiquement, jouera, quelques années plus tard, un rôle majeur, dans un des meilleurs clubs européens.

"Riyad avait treize, quatorze ans ans quand il arrivé à l'AAS Sarcelles. C'était un joueur basique, quelconque, qui n'était pas en équipe "une"", confiait, il y a quelques années, Nzete Ate, ancien manager général du club, à SoFoot.

Quand tu arrives au bled tu sens que cela fait partie de toi.
Riyad Mahrez au micro de Canal Plus.

Le premier à y avoir cru, c’est Riyad Mahrez, lui-même. Selon ses amis et ex-coéquipiers, c’est sa passion pour le football et sa force de caractère, qui ont fait la différence. 

"Sa réussite, il ne la doit qu'à lui-même. Il avait une confiance en lui inébranlable, même en cas de coup dur. Certaines personnes peuvent penser que c'est de l'arrogance mais ce n'est pas le cas", explique Mohamed Coulibaly, le directeur de l'AAS Sarcelles, qui a connu Riyad en équipe de benjamins (moins de 12 ans). 

Il n’avait, à l’époque, pas peur de l’affirmer : "Je vais y arriver, je ne sais pas comment mais je vais jouer la Coupe du Monde au Brésil". Ses éducateurs rétorquaient: "Tu n'arrives même pas à jouer à Sarcelles!", relate Mohamed Coulibaly à l’AFP.

Une détermination, qui le transcende, notamment après le décès de son père, en 2006. Alors qu’il n’est âgé que de quinze ans, cette perte tragique est un bouleversement pour lui. Sa foi s’intensifie (Riyad Mahrez est musulman). Il devient plus mûr, sérieux et responsable. il se jure de réussir, pour son père. 

Premiers pas dans le monde professionnel

Riyad, qui, contrairement à l’écrasante majorité des footballeurs professionnels, n’a pas connu de centre de formation, rêve d’une chose : un contrat dans une équipe professionnelle.

Après l’avoir vu s’étoffer physiquement et avoir fait des prouesses chez les U19 (moins de 19 ans ) mais aussi chez les seniors, Nzete Ate, conscient que Riyad a quelque chose de différent, décide en 2009 de faire jouer son carnet d'adresses pour lui donner un coup de pouce. 

Il appelle un ami à Quimper. Coup de chance, le club, qui évolue en CFA (quatrième division) , cherche un joueur avec son profil : explosif, technique et percutant. 
Riyad quitte le cocon familial et sa cité de Sarcelles pour le Finistère. Il y évolue, une saison, avant de rejoindre Le Havre.
 

RIYAD MAHREZ
Riyad Mahrez ici contre Tottenham en 2016 a fait ses armes avec Leicester City dans le championnat anglais.
AP/Alastair Grant

Le club Normand évolue alors en Ligue 2 et lui fait signer son premier  contrat professionnel. Il joue avec l'équipe réserve, en 2011. Sa progression n’est pas linéaire, mais il finit par s’imposer et se révèle, si bien qu’il attire des convoitises. Il est snobé par Vincent Labrune, alors président de l’Olympique de Marseille. C’estle club de  Leicester, club de la ville ouvrière du centre de l'Angleterre, les Midlands qui se montre le plus concret dans son offre.

Des débuts hésitants en Angleterre

Après quatre années au Havre où il finit par rejoindre l'équipe première, Riyad Mahrez part donc tenter l'aventure anglaise avec Leicester. Le club joue alors en Championship (deuxième division anglaise). Au départ, il est hésitant. Il sollicite 
l'avis de ses amis à Sarcelles et finit par y aller. 

En janvier 2014, âgé de 22 ans, il s’engage pour trois saisons avec le club anglais. Décisif lorsqu’il entre en jeu, il doit ronger son frein et attendre un match face à Charlton, en mars, pour voir son entraîneur le titulariser.

Il termine la saison avec 3 buts en 19 matchs, et remporte le titre de champion de la deuxième division anglaise, avec les Foxes.  Ces statistiques sont loin d’être impressionnantes mais elles ne l’empêchent pas de disputer la Coupe du monde 2014 avec la sélection algérienne. 

L’Algérie, choix du coeur

Car oui, malgré sa nationalité française et sa formation, en France, Riyad Mahrez qui avait le choix entre les sélections de la France, du Maroc (sa mère est Marocaine) et de l’Algérie, a finalement opté pour le pays de son père. En mai 2014, il est convoqué pour la première fois par Vahid Halilhodžić (désormais sélectionneur du Maroc). Le 31 mai 2014, Riyad Mahrez honore sa première sélection avec l'Algérie face à l'Arménie lors d'un match amical.

En août dernier, dans l’émission de télévision française "Clique", présentée par Mouloud Achour, il explique et assume, avec vigueur, son choix. Il y évoque donc ses souvenirs lorsqu'il était jeune et passait ses vacances en Algérie :"C'est là où j'ai reçu les plus grandes valeurs. Tu ressens directement ce contact".

Ce choix, il l’a fait par "attachement pour l’Algérie" mais aussi, par devoir "de mémoire" et pour son père. "Ça m'a toujours suivi. Mon père n'est plus là maintenant, mais je sais qu'il est heureux", précise-t-il à Mouloud Achour.

En Algérie, il est considéré comme une star incontournable. Néanmoins, à l'image de son parcours, il a aussi connu des bas, notamment, en mai 2021, après avoir écrit et posté un tweet sur la Palestine, qui lui a valu les foudres de certains Algériens.

Des dizaines de twittos lui ont reproché d'avoir soutenu la Palestine, quand la solidarité, pour eux, aurait dû d’abord s’exprimer envers les détenus du Hirak, vaste mouvement populaire de contestation du pouvoir. Cet épisode n'entachera pas durablement l'attachement que les Algériens lui portent.

Franco-algérien, il sait qu'il doit son statut de star au football anglais. C'est le football anglais de clubs qui a fait de lui cette étoile du football mondial.

(Re)lire : "CAN 2021 au Cameroun : qui sont les favoris pour le titre ?"

Lors de la saison 2014-2015, Riyad Mahrez découvre donc les joutes de la Premier League, championnat le plus médiatique d’Europe. Le joueur est certes international algérien mais il vit des premiers mois difficiles parmi l’élite du football anglais. Il n’est pas un titulaire indiscutable et son club figure parmi les derniers au classement.

Après son retour de la Coupe d'Afrique 2015, il doit attendre le 2 mai 2015 pour faire enfin partie du onze de départ. Au match suivant, il inscrit le premier doublé de sa carrière, face à Southampton. Leicester réussit à se maintenir en Premier League, avec une 14ème place, mais la saison de Riyad est loin d’être satisfaisante.

Saison 2015-2016 : l’envol de Riyad Mahrez

Mahrez envol
Riyad Mahrez de Leicester célèbre son but marqué lors du match entre Leicester City et Swansea City au King Power Stadium de Leicester, en Angleterre, le 24 avril 2016.
AP Photo/Rui Vieira

À l'été 2015, Leicester City décide de mettre fin au contrat de Nigel Pearson, remplacé par l’expérimenté entraîneur italien, Claudio Ranieri. Celui-ci décide de confier les clés du jeu de son équipe à Riyad Mahrez, rejoint à Leicester par N’golo Kanté, en provenance du Stade Malherbe Caen. Celui qui est désormais international français, joueur majeur de Chelsea et un des meilleurs milieux "box to box" (milieu capable de se projeter autant vers l'attaque que vers la défense de son but)  du monde, était, à ce moment-là, inconnu du grand public.

Riyad Mahrez commence fort, dès la première journée de Premier League, en inscrivant deux buts face à Sunderland. Il est d’ailleurs élu homme du match. Cette prestation ne restera pas sans suite. Chaque weekend, il illumine les terrains du championnat anglais. Ses dribbles déroutants déstabilisent les meilleurs défenseurs de l’élite du football anglais. Mais au-delà de la beauté des gestes, l’international algérien est efficace.

Il inscrit 17 buts et délivre 10 passes décisives en 37 matchs. Ces statistiques impressionnantes lui permettent de porter son équipe, promue une saison plus tôt, vers un titre historique. Contre toute attente, c’est bien le Leicester City de Mahrez, mais aussi de Kanté et Vardy, qui remporte le championnat. 

À titre individuel, le 24 avril 2016, il se voit remettre le titre de meilleur joueur de Premier League pour sa saison. Il devient le premier joueur africain à recevoir ce titre grâce à ses performances exceptionnelles. Les supporters des Foxes lui délivrent également la distinction de meilleur joueur du club, sur la saison. 

Sa réussite, il ne la doit qu'à lui-même. Il avait une confiance inébranlable, même en cas de coup dur
Mohamed Coulibaly, directeur de l'AAS Sarcelles

Contrairement à N'Golo Kanté, qui quitte le club pour rejoindre Chelsea, le 17 août 2016, Riyad Mahrez décide de prolonger son contrat jusqu'en juin 2020 avec Leicester. 

Il y découvre la plus grande des compétitions de clubs, la Ligue des champions et soigne ses statistiques, notamment durant la saison 2017-2018. Mais pour lui, c’est la saison de trop. Il manifeste son désir de quitter Leicester, notamment pour l’AS Roma qui veut l’enrôler. Mais les Foxes réclament environ 55 millions d’euros, pour laisser filer leur pépite. Les négociations échouent et il jouera donc, cette dernière saison avec Leicester, en étant performant, malgré ses envies de départ. 

Manchester City : une nouvelle dimension

Après 4 ans et demi à Leicester City, un titre de Premier League historique en 2016, et 48 buts inscrits en 179 matchs, Mahrez fait ses adieux au club de Leicester et signe en faveur du Manchester City de Pep Guardiola. Comme chez les Foxes, il prend son temps pour émerger. Sa première saison est difficile. Son avenir au club est menacé. C’est Pep Guardiola, son entraîneur, qui confiera, après un match de coupe face à Newport County : "Cela m’attriste car il s’entraîne formidablement bien. C’est un joueur incroyablement talentueux, mais en ce moment, on a cinq attaquants. On est contents de lui, mais malheureusement, je ne suis pas gentil avec lui. En fait, je ne peux pas lui donner les minutes qu’il mérite, et j’en suis désolé. Je n’ai aucun doute sur ses qualités. Tout ce qu’il a à faire, c’est de continuer, de ne pas trop se plaindre, d’avancer et de se battre, encore et encore". 

Guardiola Mahrez
Pep Guardiola, à droite, encourage Riyad Mahrez, lors du match de football entre Manchester City et Leicester City, en Angleterre, le samedi 21 décembre 2019.
AP Photo/Rui Vieira)

La saison suivante est celle de l’ascension. Après avoir soulevé le trophée de la CAN 2019, en tant que capitaine, Riyad Mahrez revient avec un tout autre état d’esprit et un autre statut. Il s’impose sur le côté droit du club mancunien. Il se distingue, notamment, l’an dernier, en Ligue des champions, avec des matchs références, face au Paris Saint-Germain, en demi-finale de Ligue des champions. Le 29 novembre dernier, il a été classé à la 20ème position du Ballon d’or 2021.

Malgré sa réussite, celui que l’on appelait Riyad et qu’on nomme désormais Mahrez, n’a pas changé. En Premier League, en Ligue des champions ou en sélection, il reste le même. Ses dribbles, ses crochets, ses feintes rappellent ceux que l’on peut voir sur les terrains de football à 5 contre 5, les mêmes qu’il réalisait à Sarcelles. 

Il résume si bien la philosophie de son entraîneur, Pep Guardiola, qui consiste à faire du football un sport d’intelligence tactique, de placements et d’évitements, plus qu’un sport de contact.

La gloire ne lui fait pas oublier le quartier d’où il vient. À Sarcelles, un stade porte d’ailleurs son nom. Il reste près des siens, de sa famille et de ses racines algériennes. Contrairement à beaucoup de footballeurs, qui en oublient la passion lorsqu’ils se professionnalisent, Riyad est un amoureux du ballon rond, un showman, dont Mahrez dévoile les prestations, chaque weekend, sur les pelouses anglaises.