Tunisie - France, une première mondiale chargée d'enjeux
La Tunisie et la France s'affrontent pour la première fois en compétition officielle, mercredi à l'occasion de la troisième et dernière journée du groupe D du Mondial 2022. Décisif pour l'avenir des Aigles de Carthage, ce match aura une signification pour les dix Aigles de Carthage nés en France comme leurs adversaires.
La Tunisie et la France s'affrontent mercredi (16h) à l'occasion de la troisième et dernière journée du groupe D du Mondial 2022. Si pour les Bleus, déjà qualifiés, cette rencontre sera l'occasion de faire tourner l'effectif, en reposant certains cadres et offrant du temps de jeu aux « coiffeurs », l'enjeu est tout autre pour les Aigles de Carthage qui jouent leur avenir sur un match. Avec un point en deux journées, les coéquipiers de Youssef Msakni peuvent encore se qualifier en cas de victoire, et à condition que le résultat de la rencontre Australie-Danemark, qui se déroulera simultanément, leur soit favorable.
Pour la Tunisie, qui n'a jamais franchi le premier tour du Mondial lors de ses cinq précédentes participations, l'enjeu sportif est considérable. Mais pour dix des vingt-six joueurs de la liste, nés en France (le groupe en compte également un né en Allemagne et un autre au Danemark, ndlr), la pression du résultat se double d'un autre défi, d'ordre plus personnel voire intime : celui d'évoluer contre l'équipe de son pays natal. Si les deux équipes se sont déjà croisées trois fois en amical (en 2002, 2008 et 2010) depuis l'assouplissement de la réglementation FIFA sur les binationaux, c'est la première fois qu'elles le font dans le cadre d'un match de Coupe du monde, décisif pour la Tunisie qui plus est.
« Des matchs très particuliers »
Formé au PSG et passé par le Slavia Prague et l'Espérance de Tunis, Hocine Ragued a choisi très jeune de mener sa carrière internationale sous les couleurs de la Tunisie. Lui qui a affronté les Bleus évoque des matchs à part dans sa longue carrière. « C'est une sensation très particulière, raconte l’ancien milieu de terrain. Tu joues contre des personnes que tu connais très bien, qui parlent la même langue que toi. C'est le pays dans lequel tu as fait ton éducation, dont tu as pris l'habitude d'entendre l'hymne national. A partir du moment où tu décides de jouer pour l'équipe nationale tunisienne, il y a des choses qui changent, mais il y a des choses qui restent aussi. Quand tu es binational, tu es né en France et tu y as vécu toute ton enfance et ton adolescence, et ce sont des choses qui te marquent à vie. Tu as aussi beaucoup d'amis qui sont français. Tout cela fait de ces matchs des matchs très particuliers ! »
Vainqueur de la CAN 2004, Radhi Jaïdi voit lui la situation avec les yeux d'un Tunisien de souche. « Jouer contre son pays natal, cela va être "émotionnel" pour quelques-uns, surtout les plus jeunes. Mais c'est aussi un petit challenge pour ces joueurs qui ont choisi de joueur pour la Tunisie, qui reste le pays de leurs parents », estime le natif de Gabès. Devenu entraîneur, l'ancien défenseur conseille de « laisser ces émotions sur le côté » une fois entré sur le terrain : « Ce match-là est décisif, les joueurs doivent être très concentrés sur leur sujet. Cela doit leur faire plaisir de pouvoir jouer contre la France et de s'étalonner par rapport à cette équipe. » Le staff serait bien inspiré de faire de ce poids de l'histoire une force. « L'entraîneur peut jouer sur le fait que l'on n'a rien à perdre quand on joue contre une équipe comme la France, qui défend son titre », juge Radhi Jaïdi.
« Naturellement motivés contre la France »
Dans un stade d'Education City qui s'annonce majoritairement acquis à la cause des Tunisiens, le public peut influer sur la perception du contexte. « J'ai eu la chance d'en jouer deux, l’un à Paris et l'autre à Tunis. J'avais l'impression de recevoir l'équipe de France deux fois, se remémore Hocine Ragued. Quand on a joué au Stade de France, le stade était plein de Tunisiens, dont sûrement beaucoup de binationaux comme moi (la Marseillaise avait été sifflée, tout comme le jeune Bleu Hatem Ben Arfa, d'origine tunisienne, ndlr). Et en Tunisie, le stade était plein et nous poussait aussi. Deux sensations complètement différentes, avec beaucoup plus d'amis et de personnes connues à Saint-Denis, dans un stade que j'avais vu se construire, puisque je suis du 20eme arrondissement de Paris. Tu joues officiellement contre la France, mais en réalité tu joues contre une partie de toi-même, de ton enfance. »
Si la charge émotionnelle ne s'annonce pas simple à juguler, les bonnes prestations réussies par le passé contre l'équipe de France pourraient inspirer les Aigles de Carthage en quête d'un exploit historique. « La Tunisie a toujours réussi de belles performances contre la France. On est naturellement motivés quand on joue contre une telle équipe », plaide Radhi Jaïdi. L'ancien champion d'Afrique aura toujours dans un coin de sa mémoire l'amical disputé à l'été 2002 au stade de Radès. « J'en garde un souvenir très excitant puisque j'avais joué contre la France et fait match nul (1-1), avec l'équipe de Zidane, Desailly, Thuram etc. J'avais participé à la construction du but, et j'avais fait un tacle de cinq mètres à Zinédine Zidane... J'avais failli lui couper les jambes (rire). Cette énergie et cette motivation, j'espère que la Tunisie de 2022 l'utilisera aussi contre la France. » Tout un peuple signerait des deux mains pour que ces vertus soient au rendez-vous mercredi.