Youcef Belaili : le parcours chaotique d'un génie du football algérien

Destin. Ce mercredi 15 décembre, en demi-finale de la Coupe arabe des nations de la FIFA , l'Algérie affronte le Qatar, pays organisateur. Un joueur algérien devrait être tout particulièrement surveillé : Youcef Belaïli, auteur samedi contre le Maroc d'un but d'anthologie dont les images ont fait le tour du monde. Youcef Belaïli, ailier gauche à la réputation sulfureuse, une carrière gâchée par une affaire de dopage a pourtant un talent tout simplement exceptionnel. Entretien avec le journaliste Patrick Juillard, spécialiste du football africain pour le site Foot365.

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Mohammed Youcef Belaili lors du match contre le Liban, le 4 décembre 2021 à Doha au Qatar.

© AP Photo/Darko Bandic
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TV5MONDE : Un quotidien français, Le Parisien, explique que "Youcef Belaïli est passé à côté d'une grande carrière". C'est une sentence douloureuse au vu du but colossal rentré ce samedi contre le Maroc. Vous partagez ce constat ? 

Patrick Juillard, journaliste : 
Je dirais qu'il est passé à côté d'une plus grande carrière, car on ne peut pas dire qu'elle soit totalement microscopique non plus.
Mais évidemment, on a tous en mémoire le coup d'arrêt dans sa carrière, cette suspension pour contrôle positif aux stupéfiants. Ça a coupé sa carrière en deux, mais il a toujours su surmonter ce type de coups durs.

Disons que finalement, il a fait une carrière un peu sous les radars, puisque il n'a fait qu'un passage en Europe, c'était à Angers, en France, après sa suspension et ça n'a pas du tout fonctionné. Il a eu un temps de jeu ridicule et il ne s'est jamais imposé, ne serait-ce que pour mettre le doute dans la tête de son entraîneur. Il est passé totalement à côté de la possibilité qu'il avait.

Je pense aussi qu'à cette époque là, il n'était pas au mieux physiquement, il revenait après une longue absence.
 

On ne peut pas dire non plus que sa carrière soit anonyme et ou qu'elle soit un échec. 

Patrick Juillard, journaliste.

Mais c'est un footballeur qui a une carrière si on regarde bien ; que ce soit avec l'Espérance de Tunis ou bien avec l'Algérie. C'est un joueur absolument clé dans tous les succès de ces deux équipes couvertes de victoire ! Donc, on ne peut pas dire non plus que sa carrière soit anonyme et ou qu'elle soit un échec. 

Je pense simplement qu'à une certaine époque, avec cette suspension et son échec à Angers, il a rapidement fait son deuil d'une carrière européenne. Son nom revenait régulièrement. Des rumeurs l'annonçaient à l'Olympique de Marseille, mais ça n'a jamais été suivi de la moindre offre concrète.

Attention à ne pas avoir une vision ethnocentrée ! Si on considère que l'Europe est le seul maître étalon, alors évidemment, Belaïli n'est rien. Mais en réalité, sa carrière est immense ! Sous d'autres cieux, en quelque sorte.

TV5MONDE : Cette affaire de dopage remonte à 2015. Il est contrôlé positif à la cocaïne. Après plusieurs jugements et appels, il aura finalement écopé de deux années de suspension. Vous parlez d'une carrière coupée en deux. Cela signifie qu'il y a eu un avant et un après ?

Patrick Juillard : Dans le style de jeu, il n'y a pas une rupture fondamentale, pas de rupture nette. Quand on pense à l'Algérie de Djamel Belmadi (sélectionneur de l'équipe nationale algérienne depuis 2018, NDLR), on pense à Riyad Mahrez. Mais Belaïli, en réalité, si l'on regarde les matchs et les statistiques, il est tout aussi décisif et primordial dans les succès de cette équipe.

Il est un peu le pendant de Mahrez côté gauche. Chacun occupe un côté et chacun a un jeu qui a tendance à rentrer vers l'axe pour se mettre en zone de finition et être décisif. Belaïli arrive à se hisser largement au niveau de Riyad Mahrez.
 

Belaïli est un joueur qui allie finesse, génie créatif, et puissance. 

Patrick Juillard, journaliste.

Pour ce qui est de son style de jeu, il y a le cliché du joueur maghrébin, gracieux, porté sur le dribble court, funambule du ballon... Mahrez a un peu de cela : très fin physiquement et qui donne l'impression de danser avec le ballon. Mais pour ce qui est de Belaïli, je trouve qu'il y a un mélange de justesse technique extrême et de  puissance. Dans la percussion, quand il est lancé et qu'il élimine un adversaire, il y a réellement une grande puissance.

Cette puissance, on la retrouve aussi dans sa frappe de balle. C'est un joueur qui est capable de frapper dans des positions où d'autres n'oseraient même pas faire un centre ! Il a un instinct du but assez incroyable, et on l'a vu ce samedi au Qatar !
C'est un joueur qui allie finesse, génie créatif, mais aussi puissance. 

Belaili et Gueye finale de la CAN 2019 AP

Youcef Belaïli et le sénégalais Idrissa Gana Gueye, à gauche, lors de la finale de la CAN 2019 en Egypte. L'Algérie l'emportera 1 à 0 contre le Sénégal.

© AP Photo/Amr Nabil

TV5MONDE : Pour vous, le but de samedi soir contre le Maroc résume son style de jeu ? 

Patrick Juillard : Oui, c'est un joueur d'instinct. Certains diront que c'est un joueur de fulgurances, mais pour moi, c'est plus que cela.

Ce n'est pas juste quelqu'un qui fait un ou deux beaux gestes et qui disparaît ensuite pendant vingt minutes. C'est quelqu'un qui est capable de répéter les efforts sur son côté et de faire un peu un travail de sape sur ses défenseurs. Donc, oui il y a du génie.
Il ne faut pas s'arrêter à la technique qui est exceptionnelle chez lui, mais il y a aussi de la puissance et du volume de jeu.

En quelques dates 

- Naissance à Oran (Algérie) le 14 mars 1992
- Juin 2012, il rejoint l'Espérance de Tunis.
- 2015, contrôle positif à la cocaïne. Il sera, au final suspendu deux ans.
- 2017, bref passage dans le championnat de France, à Angers.
- 2018, de retour à l'Espérance de Tunis, victoire en Ligue des Champions africains.
- 2020, il rejoint le Qatar SC.

Que sait-on de son parcours personnel ? Il est très lié à son parcours professionnel, puisque son père est très présent à chaque étape...

Il est Oranais et fier de l'être !
Oran, c'est l'une des plus grandes villes d'Algérie et c'est aussi, dans l'imaginaire collectif, une ville rebelle, un peu portée sur la fête par rapport à Alger.
On retrouve ce côté-là chez lui. Il y a un côté bon vivant aussi, mais il n'a pas les mauvais côtés du joueur fêtard qui arriverait en retard à l'entrainement cinq fois sur six.

Il est donc également extrêmement couvé par son père qui est aussi son agent et qui a fait de son fils un peu l'élément à travers lequel il se projette. C'est assez classique.
Samedi, quand il a marqué le but contre le Maroc, on a vu la vidéo de son père en larmes faire le tour des réseaux sociaux. Il y a quelque chose de très fort dans leur relation.

TV5MONDE : Projetons-nous dans l'avenir : est-ce qu'un but phénoménal comme celui de samedi peut attirer l'attention au point de, par exemple, lui rouvrir les portes d'un championnat européen ?

Patrick Juillard : Attirer l'attention, c'est possible, mais les recruteurs ne vont pas juger un joueur sur ce seul coup de génie.

Et puis, j'ai peur que ce soit un petit peu tard pour lui. C'est un joueur qui a presque la trentaine. Il a des casseroles qui font qu'il y a un risque si on l'embauche. Son affaire de dopage et son passage fantomatique à Angers ont laissé des traces.
 

Son club, c'est un peu l'équipe nationale algérienne.

Patrick Juillard, journaliste.

Je ne vois pas tellement un club miser une somme importante sur lui. D'autant que c'est un joueur qui est déjà bien payé dans un championnat, celui du Qatar, qui paye bien ses joueurs. Il n'irait pas signer pour un petit salaire.

Mais, vous savez, je pense qu'il est malgré tout heureux de sa carrière. Finalement, son club, c'est un peu l'équipe nationale algérienne. Il donne tout pour le maillot de l'Algérie, et il rend très bien la confiance que lui a tout de suite accordée Belmadi, le sélectionneur.

Youcef Belaili victoire ligue des champions avec Tunis 2018

Youcef Belaili (droite), avec Ayman Ben Mohamed le soir de la victoire de l'Espérance de Tunis en Ligue des champions de la CAF, le 9 novembre 2018.

© AP Photo/Hassene Dridi
 

TV5MONDE : L'avenir c'est aussi, très prochainement, la Coupe d'Afrique des nations (CAN) qui doit se dérouler à partir du 9 janvier 2022 au Cameroun...

Patrick Juillard : Et il sera titulaire sur le côté gauche, avec Riyad Mahrez côté droit. Et, en tant que tenants du titre, ils ont quelque chose à défendre ! En plus, ils sont à la poursuite d'un record d'invincibilité qu'ils pourraient battre s'ils vont loin à la CAN, bref ça fait beaucoup de carottes pour l'Algérie !

Bien-sûr il y a Mahrez, mais Belaïli, pour moi, c'est le facteur-X de l'équipe. C'est lui qui fait le plus la différence, il est le plus décisif sur la durée avec cette équipe. Je ne pense pas qu'on verra Mahrez mettre des buts de 40 mètres et quelques, en englobant le gardien, comme l'a fait Belaïli au Qatar samedi dernier.

Mahrez est exceptionnel ! Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, mais si on regarde attentivement les matchs de l'Algérie dans la répétition des efforts, je pense que Belaïli est un peu au dessus de Mahrez et je pense que l'Algérie a de la chance d'avoir deux joueurs comme ça !