Fil d'Ariane
De Nina Simone à Beyoncé, en passant par Blondie ou Anne Sylvestre, une bande dessinée raconte la puissance de ces chanteuses, des femmes fortes, souvent torturées, et la portée de chansons qui ont marqué leur temps. Rencontre avec l'une des autrices de Music Queens, Rebecca Manzoni.
Du rock, des femmes, des bulles et une kyrielle de révolutions : voici le livre Music Queens, une histoire du Girl Power et de la musique pop en chansons.
Journaliste et productrice, la spécialiste de musique Rebecca Manzoni cosigne, avec Emilie Valenton et Leslie Plée, cette bande dessinée axée sur dix titres qui ont changé la donne. Chaque titre est raconté dans son contexte et le parcours de l'artiste. Des succès musicaux qui ont été non seulement des balises dans l'histoire du rock, mais qui ont aussi fait entrer les femmes dans une nouvelle ère.
Rebecca Manzoni : Ce sont des chansons qui racontent l'époque, qui racontent à quel point toutes ces femmes, toutes générations confondues, et tous registres musicaux confondus, ont fait bouger les lignes. A quel point, elles ont changé les regards sur les femmes qui ne sont pas sur le devant de la scène.
Unity, de Queen Latifah, est sorti il y a exactement trente ans. Or le thème de la chanson est toujours d'actualité... Tout comme les 9 autres que l'on trouve dans le livre.
On parle toujours du harcèlement de rue, mais la sororité est aussi un thème très contemporain. Tous les titres de la série racontent une féminité multiple et plusieurs angles différents. Avoir la silhouette, pas forcément mince, ou la sexualité que l'on choisit. Oui, tout cela est particulièrement d'actualité.
En 1974, Anne Sylvestre sort la chanson Non, tu n'as pas de nom. Il y est question du droit à avorter, alors que la loi ne le permet pas, encore...
Alors que l'avortement est passible de prison, avant même que la loi Veil ne soit votée, cette femme prend sa plume et sa guitare, avec poésie, pour parler du droit à chaque femme d'avoir un enfant ou non. Compte tenu des dernières dispositions prises aux Etats-Unis, la question reste très contemporaine. Comment des hommes peuvent décider de ce que devient le ventre les femmes ?
Beaucoup de gars et de filles sont nés de la cuisse de ces femmes-là.Rebecca Manzoni
Elle parle de nos ventres à toutes, avec une musique très douce, comme une berceuse, et avec poésie. C'est cela aussi la puissance d'une chanson : cela vous touche et vous impacte parfois sans que l'on y pense. Son texte est très explicite et frontal, mais beaucoup d'autres dans la série, que l'on fredonne sans y penser alors qu'elles n'en sont pas moins lourdes de sens par rapport aux droits des femmes.
L'évocation de Tina Turner, disparue il y a peu, par Beyoncé, est particulièrement émouvante. Les droits civiques, l'émancipation, les violences contre les femmes... L'une est la digne héritière de l'autre ?
C'est ce qu'il y a d'intéressant dans une série comme celle-ci : remonter une généalogie. Pas de Madonna sans Blondie, pas de Nirvana sans Patti Smith. Et sans Tina Turner, pas de Beyoncé. Beaucoup de gars et de filles sont nés de la cuisse de ces femmes-là. Tina Turner est une femme qui, en trouvant sa voix, s'est défait du joug de son salopard de mari, Ike.
À la fin de l'ouvrage, un QR code permet d'écouter les morceaux "même si la musique entre dans les oreilles rien qu'à la lecture !" sourit Rebecca Manzoni.