Liz Gomis, journaliste et réalisatrice, figure parmi les 100 femmes de Culture 2022. Une récompense qui salue son engagement pour la défense de la culture et de ses racines africaines. Elle mène sa mission au sein de multiples activités, à commencer par la revue qu'elle a fondée, Off To, qui nous donne à voir une capitale du continent.
Son ton est à son image, sans filtre. Et c'est justement pour ôter tout filtre occidental, que Liz Gomis, journaliste et réalisatrice, a fondé la revue
Off To, dont l'objectif est de retracer les subtilités du continent africain en allant à la découverte de ses métropoles.
Un héritage féministe
Aujourd'hui âgée de 42 ans, née près de Paris de parents bissau-ghanéens, Liz Gomis a grandi aux Mureaux dans les Yvelines, dans les années 1990. Elle poursuit un parcours atypique, de la cité de banlieue parisienne en reportage à bord de l'avion présidentiel français. Le féminisme au coeur, elle tient à rendre hommage à sa mère, Emilie Gomis, débarquée du Sénégal où elle vivait, féministe à sa manière, une battante à qui elle
"doit beaucoup", comme elle le raconte dans son podcast
"Sur la vie de ma mère", sur Arteradio.com. Aujourd'hui, elle enfile une nouvelle casquette au sein de la Maison des Mondes africains.
Choisie pour incarner l'une des 100 femmes de Culture 2022, elle nous a confié ses premières impressions.
Terriennes : Faire partie des 100 Femmes de culture 2022, ça fait quoi ? Liz Gomis : Cela fait toujours plaisir, je ne sais pas si ça valide vraiment tout un parcours, car à 42 ans ça fait un bon moment maintenant que je chemine ! Mais c'est important, parce que ça marque un moment, parmi tout ces petits moments qui sonnent comme des petites charnières que l'on passe. En voila une de plus.
Si j'ai commencé le journalisme, c'est grâce à une femme. Je ne me destinais pas du tout à cette voie. Et c'est cette femme qui m'a mis le pied à l'étrier.
Liz Gomis
Dans son discours d'ouverture de la cérémonie 100 Femmes de Culture, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak a rappelé que c'est grâce à des femmes qu'elle a pu réaliser son parcours, pouvez-vous en dire autant ? Ce sont des paroles qui ont fortement résonné en moi, car si j'ai commencé le journalisme, c'est grâce à une femme. Je ne me destinais pas du tout à cette voie. Et c'est cette femme qui m'a mis le pied à l'étrier, puis une fois arrivée à Radio Nova, elles sont nombreuses à m'avoir soutenue, je pourrais en citer une dizaine et je tiens à leur dire merci aujourd'hui.
Les femmes africaines dans le monde de la culture, vous trouvez qu'on les voit assez ?Je vais être très honnête, je me suis fait la réflexion en arrivant à cette cérémonie... Et puis, en regardant les éditions précédentes, je pense qu'on n'est pas visible de manière officielle, et pourtant on existe bel et bien. On est à la manoeuvre dans de nombreux projets, petits comme grands. Simplement, on manque de visibilité. Mais cela fait partie d'un ensemble plus global. Ici on parle de culture bien sûr, mais c'est aussi le cas dans pas mal de disciplines.
Voilà pourquoi je me bats, pour ouvrir les secteurs de la culture . Il faut que toutes ces filières se démocratisent (...) pour qu'il y ait, au bout du compte, des industries culturelles et créatives qui ressemblent plus à la société française.
Liz Gomis
C'est plus compliqué quand on est une femme noire ? La réponse est oui ! On est invisible pour la majeure partie de la population. Et si jamais, on a le malheur d'évoquer ce sujet-là, on nous répond, "Ah mais vous vous positionnez comme des victimes, mais la France ce n'est pas ça !" L'idée, ce n'est pas de dire que nous sommes dans une société raciste, mais qu'on a le droit d'exister, de parler, et c'est ce qu'on fait. De toute façon, nous parlerons et nous existerons, mais pour le faire de manière officielle, c'est encore très compliqué, ça pose encore des problèmes parce qu'on a pris l'habitude de parler à notre place.
Aujourd'hui, on est la première génération d'immigrés. J'ai des neveux et des nièces très jeunes, et ce n'est pas possible que ce modèle continue comme ça. C'est normal et naturel aujourd'hui qu'ils me voient à la télé ou fonder un magazine. Voilà pourquoi je me bats : pour ouvrir les secteurs de la culture, il faut que toutes ces filières se démocratisent. Lorsque, moi, j'ai fait une école d'audiovisuel, on pouvait nous compter sur les doigts de la main. Il faut y aller plus à fond pour qu'il y ait, au bout du compte, des industries culturelles et créatives qui ressemblent plus à la société française.
Vous avez réalisé un podcast sur votre mère, que lui devez-vous ? Elle a tout fait. Et surtout, elle a fait le plus gros, c'est-à-dire tout un parcours de migration depuis la Guinée-Bissau jusqu'ici en France. Je ne dirais pas qu'elle s'est sacrifiée, mais elle a travaillé dur pour nous offrir le choix. Ce que ma mère m'a apporté, c'est justement d'avoir le choix, le choix d'une carrière, d'aimer qui j'ai envie d'aimer, d'être celle que j'ai envie d'être. je lui dois ça, une colonne vertébrale et surtout le choix.
C'est une féministe à sa manière ? Elle est féministe sans le savoir. Ce podcast est né comme ça. Je voyais plein d'ouvrages, des manuels pour être "une bonne féministe". En discutant avec le directeur d'Arte radio, je lui explique qu'il est hors de question pour moi d'acheter un tel manuel, car pour moi, mon premier exemple de féminisme, il est à la maison ! C'est parti de cette conversation. Il m'a alors demandé de faire un podcast sur l'histoire de ma mère et de raconter comment elle m'a inculqué les valeurs féministes sans même poser le mot.
Le fait de travailler, pour elle, c'était déjà un acte fort !À son époque, en effet, le simple fait de travailler n'était pas forcément bien vu. Les pères se devaient d'être en charge de cette femme qu'ils avaient fait venir du Sénégal ou de la Guinée-Bissau. C'est mal vu vis-à-vis de la famille de ne pas être en capacité de prendre soin de sa famille. Mais ici, les réalités sont totalement différentes de ce qui peut exister là-bas.
Elle s'est dit que travailler c'était le sésame pour être plus libre et avoir une famille plus à l'aise, et pour exister. Lorsque j'ai réalisé ce podcast, je suis retournée dans le premier appartement qu'elle occupait en arrivant ici. Il n'y avait pas de salle de bains, pas de cuisine, pas de frigo. Et elle y restait des journées entières, donc évidemment sa première pensée, c'était 'il faut que je sorte de là' ! Pour elle, c'était la clé de l'autonomie et de la liberté.
Vous avez fondé la revue Off To. Vous-même, comment vous appliquez votre féminisme ? Les équipes changent : à chaque numéro, j'invite une rédactrice en chef associée, locale, qui sera mes yeux sur le terrain, et on travaille ensemble. Et c'est vrai que, dès le début, j'ai cherché une femme, sans même m'en rendre compte, naturellement. Peut-être que c'est aussi parce qu'au début de ma carrière, ce sont des femmes qui ont pavé ma voie.