Fil d'Ariane
Dans les jours sombres qui ont suivi le putsch militaire en Birmanie, ce sont des vêtements de femmes qui ont tenté de faire barrage aux militaires. Ces fameuses "longyi" ou "hatmein". Porté en étendard ou suspendu, ce pagne traditionnel a envahi les rues de la capitale afin d'éloigner les soldats. Selon une croyance birmane, les hommes ne doivent pas s'en approcher car s'ils passent dessous, ils perdent leur prestige voire leur virilité.
Elles composaient 60% des cortèges lors des manifestations. Trois mois après le coup d'état, ce sont encore les femmes qui sont à l'oeuvre pour résister à la dictature imposée par le nouveau régime militaire. "Depuis le début, les femmes sont en première ligne des contestations contre le coup d’État qui a renversé le gouvernement civil dirigé par l’emblématique Aung San Suu Kyi dès le début", rapporte Wah Khu Shee, directrice du Réseau karen de soutien à la paix (Karen Peace Support Network) et membre de l’organisation de femmes karens (Karen Women’s Organization), deux organisations liées à l’ethnie karen sur le site equaltimes.org.
La révolution des femmes : Que signifie le coup d’État pour l’égalité hommes-femmes en Birmanie ?
— Equal Times (@equaltimes) May 7, 2021
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Certaines de ces manifestantes ont illustré cette lutte. La première a été Mya Thwe Thwe Khine. Cette jeune femme de 20 ans est devenue un symbole après sa mort le 19 février. Début mars, une autre jeune manifestante, Ma Kyal Sin, 19 ans, était abattue lors d’une manifestation à Mandalay, dans le nord du pays. Ou encore, comme le montre ce reportage, cette religieuse, soeur Anne Rose, tentant de discuter avec les soldats pour leur demander de baisser les armes dans une ville du nord du pays.
Parmi les manifestantes de la première heure, certaines ont tout abandonné pour poursuivre la lutte. Voici les témoignages de trois combattantes, sur les listes noires des militaires; recueillis par l'AFP. Elles racontent leur vie quotidienne et leur lutte depuis le coup d’État, entre colère et espérance. Leur identité a été changée pour des raisons de sécurité.
"Ils ont assassiné mon futur". Ma Hninsi, 55 ans, a beaucoup perdu depuis le passage en force des généraux: sa revue littéraire, son train de vie et son cercle d'amis.
Détenue politique pendant six ans sous la précédente dictature militaire dans la tristement célèbre prison d'Insein de Rangoun, son monde s'est de nouveau "effondré" au matin du 1er février."Une immense confusion régnait car les communications étaient coupées. Les rues étaient vides, seuls des partisans de l'armée paradaient".
Rapidement, la résistance s'organise. L'écrivaine manifeste tous les jours dans la capitale économique. "Il y avait beaucoup de monde, des femmes, des enfants. Les gens étaient en colère, mais l'ambiance était pacifiste. On chantait, on dansait". Et puis, "un jour, les militaires ont commencé à tirer. On a compris qu'ils n'avaient plus rien à perdre". Le 27 mars, "journée des forces armées", ils mettent en scène leur toute-puissance et tuent une centaine de personnes à travers le pays. Près du domicile de Ma Hninsi, des étudiants sont encerclés. "J'ai profité d'une accalmie pour en cacher cinq dans ma voiture et les évacuer. A quelques minutes près, on tombait sur une patrouille". Depuis, elle se cache, écrit et médite "pour évacuer le stress".
Concert de casseroles, peinture rouge sang déversée en hommage aux victimes, veillées aux bougies, des actions éclairs sont organisées entre voisins. Elle collecte aussi de l'argent pour soutenir les grévistes qui paralysent des secteurs entiers de l'économie. "La solidarité est énorme (...). Nous allons gagner, ce n'est pas un rêve, c'est une certitude".
#Birmanie: Trois #femmes dans la résistance
— Jean Rossignol (@jeanrossignol) May 10, 2021
"La solidarité est énorme (...). Nous allons gagner, ce n'est pas un rêve, c'est une certitude".
Htoi Zin aide les nouveaux arrivants à s'installer dans l'État Kachin (*) tenu par des opposantshttps://t.co/KxMJcNlkIz pic.twitter.com/2AvHj0fI0n
Htoi Zin a toujours vécu dans l'Etat Kachin, dans le nord du pays, près de la frontière chinoise.
Ces trois derniers mois, de nombreux opposants à la junte, qui ont fui les violences des villes, ont trouvé refuge dans ce territoire contrôlé en partie par une faction rebelle, l'Armée pour l'indépendance kachin (KIA). Depuis cette région isolée, la résistance politique s'organise.
Htoi Zin aide les nouveaux arrivants à s'installer. "Ils ont voyagé pendant plusieurs jours pour éviter les contrôles de sécurité. Beaucoup sont déprimés, ils ont tout perdu, ont été parfois témoins d'atrocités". Elle leur fournit un toit, de la nourriture et des cartes sim chinoises pour contourner les coupures internet, aidée par des dons en ligne de Birmanie mais aussi des Etats-Unis, du Japon ou de Singapour. "Quelques dizaines de dollars, mais cela peut monter jusqu'à 1.000. Je les échange contre du cash chez des commerçants".
L'arrivée de cet afflux de réfugiés rend difficile la vie quotidienne. "Il faut trouver des vêtements, des médicaments pour tout le monde". Les prix ont flambé depuis le putsch et l'intensification des affrontements entre l'armée et la KIA. "20 kilos de riz coûtent 30 dollars contre 19 avant (...). On ne va bientôt plus pouvoir y arriver".
"Je suis trop âgée pour prendre les armes, mais je soutiens à 100% les insurgés".
Le 1er mars, recherchée par les militaires, Nan Poe, une activiste de 53 ans, quitte sa maison de Rangoun, "par la porte de derrière, sans avoir le temps de mettre des chaussures" et gagne dans l'est du pays un territoire rebelle Karen qui accueille aussi de nombreux opposants à la junte. Un mois plus tard, la faction Union nationale karen (KNU) s'empare d'une base militaire et l'armée riposte par des raids aériens.
Pendant une semaine, Nan Poe reste cachée dans la jungle, aidée par des villageois qui l'aident à se nourrir. Elle franchit la frontière thaïlandaise voisine, mais au bout de trois jours est renvoyée par les autorités. Elle préfère désormais rester en Birmanie, "résister aux côtés des jeunes Karen". A flancs de colline, elle creuse des trous qu'elle recouvre de sacs de sable et de bois, des abris de fortune pour protéger des frappes aériennes. "A l'aube, dès qu'on entend les avions, on court y mettre les enfants. Je leur dis d'être courageux que la victoire sera de notre côté".