Nombreux sont ceux, en Inde, à se vanter de combien le pays se porte bien, en avançant le fait que les femmes occupent souvent des positions clés tant dans les entreprises, les banques, les universités, les postes à responsabilités et que la haute fonction publique. Même s’il y a une part de vérité dans ce constat, le dernier recensement de l’Inde dresse un portrait bien plus sombre et alarmant du statut du « beau sexe » dans la plus grande démocratie du monde et la deuxième nation la plus peuplée.
L'Inde souffre d'un déficit de 15 millions de filles.
On assiste à une crise majeure de filles manquantes. Le dernier recensement montre que pour 1000 garçons âgés de 6 ans, on compte 914 filles du même âge, soit une baisse de 13 filles depuis le recensement de 2001. Dans un pays où l’accès à des sanitaires ou à de l’eau potable propre est compliqué pour une part importante de la population, la possibilité de décider illégalement du sexe du fœtus semble relativement facile.
Les petites Indiennes sont devenues les proies des profits croissants des industries spécialisées dans les ultrasons, ainsi que des médecins pratiquant le foeticide sans scrupules. Ce ratio sexuel des enfants est symbolique du statut des femmes dans le pays.
A Mumbai, la capitale commerciale de l’Inde, ce rapport descend même jusqu’à 874 filles pour 1000 garçons, un des plus bas du pays. Dans le district de Jhajjar, au nord de l’Etat du Haryana, il est de seulement 774 filles pour 1000 garçons – le ratio moyen de l’Etat est de 830 filles, par rapport aux 861 enregistrées en 2001, ce qui a eu pour conséquence que de nombreuses familles ont « importé » des épouses d’autres Etats. Une nouvelle forme de trafic de femmes a alors vu le jour.
Une indienne brandit une banderole, lors d’une manifestation à Banglore, en 2002.
Echec de la loi
Une législation a été adoptée en 1994 – l’Acte sur les techniques de diagnostic pré-conception et pré-natal (un acte de prohibition de sélection sexuelle, ou PNDT) – mais n’a pas été suffisante pour dissuader les parents potentiels et les médecins. Une affaire d’intérêt public a même été déposé en 2000 par des organisations non gouvernementales, soulignant l’échec du gouvernement à faire appliquer la loi.
En 2001, soit 7 ans après la publication de la loi, la Cour Suprême a sommé les gouvernements des différents Etats à prendre les mesures nécessaires pour qu’elle soit appliquée, en mentionnant tout spécialement le Punjab, Delhi, le Bihar, le Rajasthan, le Gujarat, le Haryana, l’Uttar Pradesh, le Maharashtra et le Bengale Occidental.
On estime qu’en Inde, ce sont près de 15 millions de filles qui ont été tout bonnement supprimées – dont on n’a pas autorisé la naissance – au cours de la décennie passée. Les Indiens peuvent se réconforter en se disant que sur la même période, le déficit est de 25 millions de filles manquante en Chine, où la politique de l’enfant unique est devenue une politique du fils unique.
En plus de cela, en Inde, les filles sont souvent privées d’éducation. On leur donne moins à manger, et on les met rapidement au travail, soit à s’occuper de leurs jeunes frères et sœurs, soit aux champs avec leurs mères, soit encore en tant que domestiques, où elles sont souvent l’objet de violences physiques, et parfois d’abus sexuels de la part de leurs employeurs. Les femmes appartenant à la caste des Dalit (les « intouchables »), surtout quand elles viennent de villages pauvres, sont parmi les plus vulnérables.
A propos de Vaiju Naravane
Correspondante à Paris pour l'Europe du quotidien national The Hindu, dont le siège est à Madras. Vaiju Naravane est installée en France depuis 1980 et a aussi travaillé pour les journaux The Times of India et The Hindustan Time.