17 janvier 1975 - 17 janvier 2015 : vigilance pour le droit à l'avortement en France

Le 17 janvier 1975, le droit à l'avortement devenait une réalité en France après des années d'un combat très dur entre les partisans et les adversaires de l'interruption volontaire de grossesse. Pourtant quarante ans après la loi Veil, rien ne semble définitivement acquis, comme en témoignent les tentatives de régressions en Espagne et les difficultés à exercer ce droit en France, en Italie ou encore au Canada. Ce 17 janvier 2015, venues de toute l'Europe et d'ailleurs, elles et ils avaient décidé de marcher pour rappeler ce droit fondamental des femmes à disposer de leur corps.
 
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17 janvier 1975 - 17 janvier 2015 : vigilance pour le droit à l'avortement en France
40 ans de droit à l'avortement, le moment n'est pas de baisser les bras, disent ces manifestantes lors de la marche anniversaire du 17 janvier 2015 à Paris - Photo Sylvie Braibant
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Code de la santé publique : Article L2212-1 (Modifié par LOI n°2014-873 du 4 août 2014 - art. 24)
    
"La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin l'interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu'avant la fin de la douzième semaine de grossesse."

Ces deux phrases entrées dans l'histoire française le 17 janvier 1975, ont été écrites (mais aussi réécrites) après d'âpres batailles. Les Françaises les doivent à Simone Veil, au terme de deux mois d'éprouvants débats au Parlement, ponctuées de tombereaux d'injures. Les féministes du Mouvement de libération des femmes (MLF) avaient préparé le terrain, relayés par des manifestations, des plaidoiries en procès et des appels de célébrités. La victoire emportée, il fallut encore obtenir la prise en charge pécuniaire et surmonter les restes de moralisme qui imprégnaient les entretiens préalables à l'intervention médicale elle même. Mais personne ne pouvait imaginer alors qu'il faudrait un jour redescendre dans les rues de Paris, de Madrid, de Rome, du Texas, ou de Montréal pour sauvegarder cette liberté acquise de haute lutte.

Un "ultime recours" devenu un droit


Quarante ans après ce 17 janvier 1975, la date fait figure de symbole, autant pour le gouvernement français que pour les associations féministes, décidés l'un comme les autres à se mobiliser pour empêcher les régressions qui menacent.

Ce qui voilà 40 ans avait été présenté comme un ultime recours accordé à des femmes en détresse (selon les termes mêmes de Simone Veil), est aujourd'hui devenu un droit. Cependant, comme le souligne une étude de l'INED (Institut national d'études démographiques), moins de femmes, sans doute parce que mieux informées des moyens de contraceptions, avortent chaque année. "On compte en 2011 près de 210 000 interruptions volontaires de grossesse (IVG), ce qui correspond à 0,53 IVG par femme au cours de la vie. Après avoir diminué de 1975 à 1995, le recours à l’IVG a légèrement augmenté avant de se stabiliser à la fin des années 2000. L’âge moyen à l’IVG est stable, à 27,5 ans. La part des IVG répétées augmente régulièrement. Un tiers des femmes (33 %) ont recours au moins une fois à l’IVG au cours de leur vie, dont 10 % deux fois et 4 % trois fois ou davantage. Avec l’augmentation de la part des IVG médicamenteuses, la durée moyenne de grossesse lors de l’IVG diminue  : 6,4  semaines de grossesse en 2011, contre 7,1 en 2002. "

La ministre de la Santé Marisol Touraine a profité de l'anniversaire pour annoncer une amélioration de l'accès à l'IVG : depuis 2013, l'avortement est intégralement remboursé par la Sécurité sociale. Désormais les actes associés, tels les échographies et examens biologiques le seront aussi. Parmi les autres mesures, l'information sera renforcée, via un numéro national unique d'appel pour répondre aux questions sur la sexualité, la contraception ou l'IVG, et un portail web sera dédié à ces questions, afin de lutter contre les organisations anti-avortement très actives, et agressives, sur Internet. Lorsque l'on entre les mots IVG ou avortement dans les moteurs de recherche on ligne, parmi les premiers résultats remontent des sites, qui sous couvert d'information, infligent des discours moralisateurs et dissuasifs.

Par ailleurs une procédure d'urgence sera mise en place pour les IVG entre 10 et 12 semaines de grossesse et les sages femmes pourraient officier en cas d'IVG médicamenteuse.
 

Sautez, dansez, bougez pour l'IVG et envoyez-nous vos photo ! #Bougezpourlivg pic.twitter.com/yRUe8KTjcp

— Bougez pour l'IVG ! (@Bougezpourlivg) 16 Janvier 2015



En finir avec la culpabilisation des femmes

Mais des insatisfactions perdurent comme le pointe le Haut Conseil à l’égalité femmes/hommes (HCEfh) en particulier dans le choix des mots, et le statut des femmes en demande d'avortement face à l'institution médicale. La loi telle qu'elle avait été rédigée en 1975 énonçait, dans une intention quelque peu paternaliste : "La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l'interruption de sa grossesse", remplacée depuis par "la femme qui ne souhaite pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin de l'interrompre". Mais la clause de conscience permettant aux médecins de refuser de pratiquer une IVG subsiste. Et dans le même sens, le deuxième entretien préalable à l'intervention n'a toujours pas été supprimé. Inutile de rappeler éternellement aux femmes qu'avorter n'est ni une partie de plaisir, ni un moyen de contraception comme un autre : elles le savent toutes très bien...

Rien n'est jamais acquis...

Dans son dernier roman "Dix-sept ans", qui sort bien à propos en ce mois de janvier 2015 (Ed Grasset), Colombe Schneck raconte son avortement, dont le souvenir la hante jusqu'aujourd'hui. Dans un entretien accordé à un quotidien français, la journaliste et écrivaine raconte la genèse de cet aveu difficile mais rappelle que "Le droit à l’avortement a été menacé en Espagne et aux Etats-Unis. En France, c’est difficile d’avorter aujourd’hui. Rien n’est jamais acquis pour les femmes. J’ai aussi eu envie d’écrire Dix-sept ans après avoir lu une interview qu'Annie Ernaux avait donnée à L’Humanité l’an dernier, sur l’avortement clandestin qu’elle avait subi en 1964. Elle dit que si les femmes ne disent pas qu’elles ont avorté, elles prennent le risque que ce droit disparaisse."

"Est-ce si impensable d’imaginer le retour vers l’avortement clandestin?? J'ai toujours été persuadée que rien n'était jamais gagné pour les femmes", lançait alors l'auteure des Armoires vides ou de La Place, et autres oeuvres magistrales, qui était également revenue sur un avortement, clandestin celui-là, qu'elle avait vécu en 1964, dans L'Evénement (Gallimard, 2000).


Le HCEfh préconise également de mieux accompagner les migrantes, comme cela se fait par exemple en Suisse.

Ces demandes toujours en suspens ajoutées aux fermetures d'établissements publics pratiquant les avortements, expliquent la mobilisation vigilante de ce 17 janvier 2015, avec une manifestation nationale (à 14h30 à Paris, place de la Bastille) et une journée "Bougez pour l'IVG" (accompagnée du mot dièse #bougezpourlIVG sur les réseaux sociaux) organisée également dans la capitale française par des associations féministes (Féministes en mouvements, Osez le féminisme, etc).

 
 

Une marche anniversaire à Paris, joyeuse, combattive, et très diverse

Photos Sylvie Braibant
De la place de la Bastille à celle de l'Opéra, ce samedi 17 janvier 2015 quelques milliers de femmes et d'hommes avaient tenu à marcher pour se féliciter du droit à l'avortement obtenu voilà 40 ans, mais aussi pour rappeler que rien n'est acquis...