25 ans après la déclaration de Pékin, peut-on parler de nouvelle ère pour les filles ?

Jamais autant de filles dans le monde n'ont été à l'école. Une bonne nouvelle à regarder de près car si le nombre de filles non scolarisées a chuté de 79 millions en vingt ans, 12 millions sont mariées de force et 4 millions risquent de subir des mutilations génitales... Vingt-cinq ans après la déclaration de Pékin pour la promotion des droits des femmes et des filles, le point sur les conclusions du nouveau rapport de l'Unicef, d'ONU-Femmes et de l'ONG Plan International.

 
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filles unicef
24 février 2019 au Bangladesh, filles penchées leurs cours au camp de réfugiés 18 de Kutupalong.
© UNICEF/UN0284179/LeMoyne
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Paru le 4 mars, quelques jours avant la Journée internationale des droits des femmes, le rapport intitulé A New Era for Girls : Taking stock on 25 years of progress (Une nouvelle ère pour les filles : retour sur 25 ans de progrès), dresse le bilan de la condition féminine depuis la quatrième conférence mondiale sur les femmes, en 1995 - celle qui avait marqué un tournant dans la lutte contre les inégalités entre les sexes et débouché sur la déclaration de Pékin pour la promotion des droits des femmes et des filles.

Rappels à l'ordre

"Il est essentiel que nous rappelions les gouvernements à leurs devoirs vis-à-vis de cette déclaration historique et, à cet égard, le présent rapport dresse l’état de la condition féminine dans le monde 25 ans plus tard", déclare la directrice générale de Plan International, Anne‑Birgitte Albrectsen, dans le communiqué accompagnant le rapport. Phumzile Mlambo-Ngcuka, elle, directrice d’ONU-Femmes, y souligne que si des progrès ont été faits, le bilan laisse à désirer : "Nous entendons de plus en plus de filles revendiquer leurs droits et nous demander des comptes. Mais le monde n’a pas été à la hauteur de leurs attentes quant à la gestion responsable de la planète, à l’éradication de la violence et à leurs espoirs d’indépendance économique"
 

79 millions de filles en plus à l'école 

Les progrès les plus notables concernent l'éducation des filles et des adolescentes. Ces 20 dernières années, le nombre de déscolarisées a reculé de 79 millions dans le monde, explique le rapport, qui a été publié la veille de la 64e Commission de la condition de la femme des Nations unies. Et pourtant, laccès à l’éducation ne suffit pas, insiste la directrice générale du Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef), Henrietta Fore, dans le rapport : "Nous devons également faire évoluer les comportements et les attitudes envers les filles. L’égalité réelle ne sera atteinte que lorsque les filles ne seront plus exposées à la violence, qu’elles seront libres d’exercer leurs droits et qu’elles pourront bénéficier de chances égales". 

De fait, les barrages subsistent à l'accès des filles à l'école qui, dans de nombreux pays, passe encore par les hommes : "Une fille qui veut faire des études n'aura pas de problème à le faire, du moment que sa famille a les moyens, si elle est soutenue par son père et qu'elle ne compromet pas la réputation de sa mère en se comportant comme une fille "mal éduquée" - autrement dit si elle "reste à sa place". Et ce aussi vis-à-vis de ses frères : l'espace des garçons et des filles à la maison n'est pas le même, par exemple, et une fille ne joue pas dehors, précise Aissata Assane Igodoe, une jeune chercheuse nigérienne, autrice d'une thèse intitulée Scolarisation des filles et genre : influence des rapports sociaux de sexe sur la scolarisation des filles au Niger.

Mariées trop jeunes

Subsistent aussi les barrages classiques à la scolarisation des filles : dans les zones rurales, beaucoup ne prendront jamais le chemin de la classe ; idem pour les enfants de nomades et les enfants handicapés. Nombre de jeunes filles, aussi, disparaissent purement et simplement du système scolaire à la fin de la primaire, mariées très jeunes contre leur gré.Selon le rapport,  12 millions sont mariées alors qu'elles ne sont que des enfants. Et les filles âgées de 15 à 19 ans sont tout aussi susceptibles de justifier le fait de battre sa femme que les garçons du même âge...

La violence, omniprésente

Filles et adolescentes sont "partout confrontées à des risques de violence - en ligne, à l'école, à la maison et au sein de leur communauté -, des violences dont elles gardent des séquelles physiques, psychologiques et sociales", dénonce le rapport des organisations internationales. Il précise que 13 millions de jeunes filles âgées de 15 à 19 ans, soit une sur vingt, ont subi un viol, "l'une des formes d'abus sexuel les plus brutales que l'on puisse endurer". En 2016, 70 % des victimes de traite identifiées dans le monde étaient des femmes ou des filles, pour la plupart à des fins d’exploitation sexuelle.

15 ans enceinte
Djibouti, centre de santé de Norassoba.Fanta Traore, 15 ans, enceinte de 4 mois.
© UNICEF/UN0264209/Brembati

Les mutilations génitales féminines (MGF) font également partie des pratiques qui "continuent de déstabiliser et de ruiner la vie et le potentiel de millions de petites filles", selon le rapport, qui précise que chaque année, 4 millions d'entre elles font face au risque de mutilation génitale.

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Discrimination, invisibilisation

Les filles, et surtout les adolescentes, souffrent de discriminations en raison de leur âge et de leur genre, déclare Anne‑Birgitte Albrectsen : "Elles continuent d’être mises à l’écart dans leurs communautés et au sein des espaces de décision, et demeurent largement invisibles dans les politiques publiques." Or l’autonomisation des adolescentes est triplement bénéfique sur le plan sociétal : pour les jeunes filles d’aujourd’hui, pour les adultes qu’elles deviendront et pour la génération d’enfants qui suivra,"  poursuit-elle, se faisant l'écho de la campagne du Fonds des Nations unies pour la population :

La directrice d’ONU-Femmes, Phumzile Mlambo-Ngcuka, souligne une réalité universelle, même si elle est plus lourde de conséquenses dans les régions du monde les moins favorisées : "Tant que les femmes et les filles consacreront trois fois plus de temps et d’énergie que les hommes à s’occuper du foyer, l’égalité des chances permettant aux jeunes filles de terminer leurs études et de trouver un bon travail dans un cadre sûr demeurera hors de portée."

contraception inde
Une infirmière explique à une jeune femme l'utilisation de la pilule contraceptive en 2004 au centre de santé d'Engueila health center, à Djibouti.
© UNICEF/UNI12226/Pirozzi

Santé et hygiène de vie

Le rapport fait état de nouvelles tendances qui grève le potentiel des filles en affectant leur hygiène de vie. La mondialisation a effacé les régimes traditionnels au profit d'une alimentation mauvaise pour la santé. Alliée à l'universalisation d'un marketing agressif ciblant les enfants, la hausse de la consommation d’aliments transformés et de boissons édulcorées a provoqué le doublement, ou presque, du surpoids chez les filles âgées de 5 à 19 ans : entre 1995 et 2016, il est passé de 9 % à 17 % et l’on compte aujourd’hui près de deux fois plus de jeunes filles en surpoids (155 millions) qu’en 1995 (75 millions).

Les jeunes filles restent également très exposées aux infections sexuellement transmissibles, dont le VIH, avec lequel vivent aujourd’hui 970 000 adolescentes âgées de 10 à 19 ans, contre 740 000 en 1995. Les filles de cette tranche d’âge continuent d’ailleurs de représenter environ 3 nouvelles infections sur 4 chez les adolescents dans le monde.

Parallèlement se sont développées les préoccupations liées aux troubles psychologiques, en partie causés par l’usage excessif des technologies numériques. Selon le rapport, le suicide est à l’heure actuelle la deuxième cause de mortalité chez les adolescentes de 15 à 19 ans, derrière les pathologies maternelles. 

Les gouvernements du monde se sont engagés vis-à-vis des femmes et des filles, mais ils n’ont que partiellement tenu leur promesse.
Henrietta Fore

Face à ce bilan en demi-teinte, le rapport des organisations internationale formule de nouvelles recommandations pour les décennies à venir. Des recommandations portant sur les moyens financiers dans les domaines comme les violences liées au genre ou l’acquisition de compétences utiles. D'autres, aussi, préconisant des mesures en faveur d'un mouvement de génération à même de mettre fin aux violences liées au genre, au mariage des enfants, aux mutilations génitales féminines... Plus globalement, tout est à faire pour que les filles apprennent à puiser en elle et dans leur entourage l'audace et l'ambition pour que leurs voix portent et pour faire valoir leurs points de vue et leurs idées dans les échanges.

Parce qu'il y a vingt-cinq ans, "les gouvernements du monde se sont engagés vis-à-vis des femmes et des filles, mais ils n’ont que partiellement tenu leur promesse. Bien que la communauté internationale ait trouvé la volonté politique d’envoyer massivement les filles à l’école, elle a lamentablement échoué à leur apporter les compétences et l’aide nécessaires pour qu’elles puissent décider de leur propre avenir, mais aussi vivre de manière sûre et digne",  souligne Henrietta Fore.