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« Traiter le meurtre conjugal et les violences sexuelles comme un problème de société et non seulement comme des faits divers » en adoptant « un traitement journalistique le plus juste possible ». Cet appel est lancé par le collectif de femmes journalistes françaises Prenons la Une à leurs confrères et consoeurs, initiative parmi d'autres à la veille de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, chaque 25 novembre. Charte signée par TV5MONDE aux côtés de France Télévisions, Libération, Mediapart, France Médias Monde (FRANCE 24 et RFI), France Inter, France Info, L'Humanité, ELLE, Causette, Les Nouvelles NEWS, NEON et Alternatives économiques.
Le collectif de "Prenons la Une", créé en janvier 2014, travaille à « une juste représentation des femmes dans les médias et à l'égalité professionnelle dans les rédactions. » En vue de la journée de sensibilisation sur les violences faites aux femmes du 25 novembre, les membres de ce collectif ont fait un constat. Les médias ne traitent pas toujours avec assez de justesse ces faits de société graves.
En France, 1 femme sur 7 victime de viols et/ou agressions sexuelles au cours de sa vie
Quelle est la fréquence des viols et autres agressions sexuelles en France aujourd’hui ? Dans quels contextes et à quels âges se produisent-ils ? Une enquête "Violences et rapports de genre" (Virage) a été réalisée en 2015 par l'Ined (Institut national des études démographiques) auprès d'un échantillon représentatif de 27.268 personnes (15.556 femmes et 11.712 hommes) de 20 à 69 ans.
Au terme de cette investigation, une femme sur sept (14,5%) et un homme sur 25 (3,9%) déclarent avoir subi au moins une forme de violence sexuelle au cours de leur vie, selon une enquête publiée mercredi par l'Ined (Institut national d'études.
Avec cette confirmation : c’est au sein de l’espace privé, c’est-à-dire dans les relations avec la famille, les proches, les conjoints et ex-conjoints, y compris les petits amis, que se produisent l’essentiel des viols et des tentatives de viol. Aucun milieu social n’est épargné.
Et une autre étude révèle qu'en 2015 en France, 122 femmes et 22 hommes ont été tués par leur conjoint ou ex-conjoint officiels, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Et en moyenne, 223 000 femmes sont victimes de violences physiques et sexuelles de leur conjoint ou d'un proche chaque année.
Le collectif a ainsi décidé de publier une charte ou plutôt des « outils à usage des journalistes » proposant des mots plus précis ou plus respectueux des victimes à utiliser dans les médias. L’une des porte-parole du collectif, Laure Daussy, journaliste nous explique leur démarche.
Le terme"crime passionnel" minimise l’acte de l’agresseur
Laure Daussy, journaliste
TV5MONDE : Pourquoi avez-vous décidé de publier cette charte et de tenir un colloque sur le sujet ?
Laure Daussy : Cela part d’un constat dans les médias. Je voyais régulièrement écrit que le meurtre d'une femme dans un cadre conjugal était indiqué comme un « crime passionnel ». Mais ce terme minimise l’acte de l’agresseur. On considère qu’il est mué par la passion, l’amour…qu’il n’a pas pu s’empêcher de commettre ce meurtre. C’est tellement employé, que l’on accepte de voir ce terme dans les titres de journaux, sans l’interroger.
Parfois les journalistes n’emploient pas seulement les bons termes mais ils en rigolent. Je me souviens d’un titre de presse régionale : « Le boxeur cocu met sa femme K.O. » illustré d’une photo représentant deux gants de boxe. Le journaliste que j’avais interviewé au moment de la publication m’avait répondu : « j’écris pour être lu ». Il n’avait pas conscience de l’impact que cela pouvait avoir sur les victimes.
Il faut que les femmes soient respectées et traitées de manière dignes, pas instrumentalisées pour faire le bon mot.
Laure Daussy, collectif Prenons la Une.
C’est pour ça qu’avec le collectif Prenons la Une nous nous engageons. C’est important de bien traiter les violences faites aux femmes parce que ce sont des personnes en état de fragilité, des victimes. Si on traite ce sujet de manière désinvolte ou avec les mauvais termes, on nourrit ces violences et on risque de rendre les victimes plus fragiles encore.
Ces femmes ont déjà très peur d’aller porter plainte (seules 14% d’entre elles acceptent de porter plainte, ndlr). On a une responsabilité en tant que journaliste. On doit être le plus juste possible sans prendre le parti de l’agresseur. C’est pourtant ce qui se dégage, parfois, dans la façon dont l’information est traitée. En écrivant ainsi « crime passionnel », on porte déjà un jugement, on dit que ce n’est pas la faute de l’agresseur, qu’il a été emporté par sa passion, …
Il faut que les femmes soient respectées et traitées de manière dignes, pas instrumentalisées pour faire le bon mot.
Que recommandez-vous ?
On a élaboré cette charte (voir en fin d'article ) que l’on a appelée « outils à l’usage des journalistes ». C’est dans le même esprit que ce qu’a fait l’Association des Journalistes LGBT (AJL, en publiant un guide à destination des journalistes pour traiter des thématiques LGBT avec « justesse et dans le respect des personnes », ndlr).
On explique ainsi pourquoi il ne faut pas employer le terme de « crime passionnel » mais plutôt « meurtre conjugal » ou « meurtre par le partenaire intime ».
Nous proposons aussi de ne pas employer le terme de « victime présumée » qui minimise son statut de victime, met en doute sa parole, pour privilégier « victime déclarée » ou « accusatrice ». Ces femmes ne doivent pas être méprisées mais être traitées avec respect.
L’autre point important dans notre charte, c’est de toujours mettre ces faits en perspective afin de rappeler que ce ne sont pas des faits isolés. On demande de rappeler le nombre de femmes tuées ou violentées chaque année par leur compagnon. Et d’ajouter dans chaque article le numéro d'appel français pour les violences faites aux femmes : le 3919.
Cette charte a-t-elle déjà été signée par des médias ?
On a sollicité Ouest France par exemple. Ils n’ont pas encore signé mais cela les a interpellés. Et nous étions contentes de voir qu’il y avait une prise de conscience chez eux qui entraînait une réflexion en interne. Ils vont peut-être intégrer dans leur propre charte certaines de nos propositions.
Franceinfo, France Inter, L’Humanité, Elle, .. font partie des premiers signataires et nous attendons encore d’autres réponses !
D'autres initiatives en France et ailleurs sont lancées à l'occasion de ce 25 novembre, érigé par les Nations Unies en "Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes". En voici quelques unes, toutes remarquables.
Les Nations Unies, comme en 2015, invitent les citoyennes et citoyens du monde du 25 novembre au 10 décembre, pour la Journée des droits de l'homme, à « 16 jours d'activisme contre la violence sexiste », pour sensibiliser le public et mobiliser les gens partout dans le monde afin d’apporter des changements. Cette année, la campagne de « Tous UNiS pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes » vous invite à « Oranger le monde », couleur désignée par la campagne pour symboliser un avenir meilleur sans violence. Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU Femmes adresse un message à celles et ceux qui se mobiliseront .
Le prix d’un refus de changement est inacceptable
Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU Femmes
"Nous croyons à un monde où les femmes et les filles peuvent s’épanouir et se réaliser en paix aux côtés des hommes et des garçons, en partageant et en tirant profit de sociétés qui valorisent leurs compétences et reconnaissent leur leadership. Nous œuvrons pour la réalisation de cet objectif : la violence à l’égard des femmes et des filles a un impact dévastateur sur les individus et la société.
Les femmes et les filles victimes de violence perdent leur dignité et vivent dans la peur et la douleur. Dans les cas extrêmes, elles y laissent leur vie. La violence réduit considérablement les libertés auxquelles nous pouvons toutes et tous prétendre : le droit d’être en sécurité chez soi, le droit de marcher dans la rue sans être agressé, le droit d’aller à l’école, de travailler, de se rendre au marché ou de regarder un film. Nous devrions être en droit de nous attendre à ce que les auteurs de tels actes soient punis, que justice soit faite et qu’un soutien psychologique et des soins pour les blessures soient prodigués.
Et pourtant, dans de nombreux pays, les lois sont toujours inadaptées, les forces de police sont passives et les abris, les soins de santé et le soutien psychologique ne sont pas disponibles. La justice pénale est inaccessible, onéreuse et montre un parti pris pour les agresseurs au détriment des femmes. Changer ces éléments a un coût, mais le refus du changement a un prix qui est inacceptable.
Les expertes et experts sont unanimes : les avantages que présente l’éradication de la violence à l’égard des femmes et des filles dépassent de loin les investissements nécessaires à son élimination."
L’Union Française de l’ong SOROPTIMIST propose une diffusion en avant première partout en France (dans environ 90 villes ), et simultanée, du film indien « Chanda, une mère indienne ». Derrière le magnifique Taj Mahal se trouvent des habitations vétustes où vivent Chanda et sa fille Appu. Chanda est une femme de ménage. Elle rêve que sa fille fasse des études pour avoir une vie meilleure. Mais lorsque Appu lui annonce qu'elle veut quitter l'école pour devenir aussi femme de ménage, Chanda prend la décision surprenante de retourner à l'école dans la classe de sa fille, pour la convaincre de poursuivre ses études. L'Inde est depuis des années éclaboussée par des actes de barbarie contre les femmes, un sujet dont le cinéma de Bollywood s'est emparé avec force.
La ville de Genève en Suisse a lancé en amont du 25 novembre une campagne « Ca veut dire non ». Des affiches réalisées par un groupe de jeunes femmes ont collées dans les rues de Genève depuis le 14 et jusqu’au au 30 novembre 2016. Les créatrices des affiches et réalisatrices de vidéos où les agressions sont inversées, menées par des femmes contre des hommes afin de mieux frapper les esprits, expliquent : « Dans des cas de relations sexuelles, vous DEVEZ être capable de faire la différence entre une fille consentante, dans le désir et l’envie. Et une fille qui ne réagit pas, quitte son corps dès le début de l’enfer et tente de s’évader à travers ses pensées pour supporter l’insupportable».
Deux anciennes victimes, Amélie Martin et Pauline Hamon, lancent aussi sur les réseaux sociaux le mot dièse#brisonslesilence. Le #25novembre2016, elles publieront sur une page dédiée de Facebook des témoignages de femmes victimes, (environ 80) qu’elles ont recueillis. "Anciennes victimes de violences conjugales, nous avons décidé de lever l'omerta sur ce qui se passe encore en France à notre époque. (…/…)
Depuis le début de l'année 2016, au moins 98 femmes ont perdu la vie. Cela démontre malheureusement qu'il existe un réel manque de moyens. Cela nous ouvre les yeux sur les défaillances en matière de protection des victimes qu' elles franchissent le pas de porter plainte ou non. C'est la raison pour laquelle nous tirons la sonnette d'alarme. Mais jusqu'à quand allons nous nous taire alors que ce fléau continue de perdurer ?
Nous demandons :
- L'ouverture de structures d accueil d urgence sécurisées sur tout le territoire français
- Des comparutions immédiates systématiques pour les hommes violents en cas de dépôt de plaintes - L'application réelle des mesures d'éloignements
- Une formation approfondie et obligatoire des professionnels intervenant auprès des victimes (police, gendarmerie, magistrats, services sociaux, services médicaux et paramédicaux )."
N'hésitez pas à nous faire part, en commentaires de cet article, de tout autre événement imaginé à l'occasion de ce #25novembre2016...
Suivez sur twitter les auteures de cet article Lea baron et Sylvie Braibant