Pour la deuxième année consécutive, le mouvement HF Ile de France organise les journées du Matrimoine, un moyen de revaloriser et de réinterpréter l’héritage des femmes artistes et intellectuelles d’hier.
A cette occasion, nous avons rencontré la présidente de HF, Aline Cesar, et découvert un des parcours urbains proposés : les « Panthéonnes » et les autres.
Tout sauf une visite touristique. Une occasion de redécouvrir l’Histoire des femmes dont les noms habillent certains monuments et lieux de Paris et de connaître celles qui ont été oubliées. C’est ainsi que l’ont pourrait présenter les parcours urbains proposés par HF. « Ce sont des prétextes pour réfléchir et poser un autre regard sur le présent. Nous voulons amener à la réflexion » nous explique Edith Vallée, la conceptrice des parcours, et notre guide pour la visite.
Petite mise au point avant le départ : « Le parcours est envisagé comme un Master matrimoine avec comme matières : Physique Chimie, Gestion, Histoire, Littérature et Droit » nous explique la guide et conceptrice des parcours. Tant de disciplines qui seront explorées à travers les lieux et les femmes que nous allons (re)découvrir.
La mémoire s’est emparée de l'image de Marie Curie et l’a déformée
Aline Cesar, présidente de HF
Notre visite débute par une présentation de Marie Curie, qui détruit les clichés habituels : « Elle est vue comme une icône, une femme qui aurait sacrifié sa vie à la science. La mémoire s’est emparée de son image et l’a déformée. C’était une personne sûre d’elle, confiante et qui menait une vie en dehors de son laboratoire, son existence ne se résumait pas à la science ».
Notre guide aborde ensuite le méconnu «
effet Matilda », qui décrit les «
femmes spoilées de leurs découvertes par des hommes et au delà de la propension culturelle des femmes à taire leurs succès ». Une propension culturelle dont est en partie responsable l’éducation différenciée des enfants selon leurs sexes. Sur ces mots, Edith Vallée nous propose de découvrir l’histoire d’une femme formée par son père à la gestion de la ville, au Vème siècle.
Après quelques minutes de marche, nous voilà devant la façade de l’église Saint-Etienne du Mont, ornée par la statue de Geneviève, patronne (ou matrone ?) de Paris. Mais ne dit-on pas « Sainte Geneviève ? ». « Nous préférons l’appeler Geneviève… C’est volontaire. La représentation qui a été faite d’elle voudrait nous faire croire qu’elle est moins femme que sainte. » nous explique Edith Vallée.
Geneviève n’est jamais représentée comme le maître de guerre charismatique qu’elle était
Edith Vallée, conceptrice des parcours du Matrimoine
Représenter les femmes comme des icônes ou des saintes empêche l’identification. Il est donc plus difficile de les prendre en exemple, de les identifier comme des modèles féminins. « On ne peut pas réduire sa vie à un sacrifice pour Dieu. Selon la tradition, lors du siège de Paris en 451, grâce à sa force de caractère, Geneviève, qui n’a que 28 ans, convainc les habitants de la ville de ne pas abandonner face aux Huns. Mais elle n’est jamais représentée comme le maître de guerre charismatique qu’elle était… »
Un peu plus tard, nous nous arrêtons devant la bibliothèque Marguerite Durand. C’est l’occasion d’inclure une performance artistique à la visite. La centaine de bustes qui décorent le hall d’entrée ne représentent que des hommes. « Quelle femme voudriez vous y voir ? Jeanne d’Arc ? » demande Edith Vallée. Christelle Evita, une des artistes qui accompagnent la visite, récite alors un slam. Elle interroge : « Si Jeanne s’était appelée Jean ? ». Avec beaucoup de charisme et un texte écrit pour l’occasion, l’artiste interpelle le public et se demande si Jean aurait également été décrit comme étant puceau, s’il aurait été brûlé et si l’Histoire aurait retenu de lui ses qualités guerrières plutôt que sa fin tragique.
De nombreux artistes participent aux parcours urbains: musiciennes, autrices, chanteuses ou comédiennes. La visite revêt ainsi un caractère peu scolaire, participatif et forcement plus agréable et facile à suivre qu’une excursion touristique classique.
Une autre histoire du Panthéon avec les "Panthéonnes"
Nous voilà maintenant devant le Panthéon. Notre guide nous éclaire sur ce lieu éminemment masculin, jusque dans la formule sur son fronton : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Première question : « Selon vous, que pourrions nous écrire à la place des ces mots ? Aux grandes femmes la matrie reconnaissante ? » Elle propose ensuite une Histoire du Panthéon et des femmes. Elles sont quatre, dont trois Panthéonnes. Deux fresques à l’entrée du bâtiment ont pour thèmes la vie de Jeanne d’Arc et celle de Geneviève. Après avoir fait leur entrée en tant que saintes, c’est en tant qu’épouse qu’une femme y est inhumée pour la première fois en 1907, en la personne de Sophie Bartelot.
Sous le Panthéon, ma rage
Christelle Evita, slameuse
« Sous le Panthéon, ma rage » récite Christelle Evita, contestant la sous représentation des femmes et listant quelques noms de personnalités féminines, qui auraient mérité d’y avoir leur place.
Après la devise du Panthéon, c’est au tour de celle de la France d’être déconstruite. Nous nous retournons et nous retrouvons face à la faculté de Droit. « Liberté, Egalité, Fraternité » trois mots inscrits dans le marbre de la façade, qui laissent penser à Edith vallée que les révolutionnaires ont oublié les femmes. « Aujourd’hui, relisons la devise selon une chronologie féministe : Sororité, Indépendance, Parité entre femmes et hommes ».
La visite est terminée, mais une interrogation demeure. La première édition des Journées du matrimoine, en 2015, avait attiré hommes et femmes en nombre. Comment ce succès peut-il être expliqué, alors que le féminisme n’a pas forcément bonne presse dans notre société ? « Les journées du matrimoine ne font pas peur. C’est féministe mais nous nous intéressons aux femmes décédées, c’est moins effrayant. certaines de leurs revendications restent très actuelles. En 1871, durant la Commune Paris, les femmes réclamaient déjà un travail égal un salaire égal entre hommes et femmes. En 2016, on est encore payées 23% de moins que les hommes » explique Marie Guerini, coordinatrice de l’opération matrimoine.
L’art a un impact réel sur la société. Il construit les stéréotypes
Alice Cesar, présidente de HF Ile de France
3 questions à Aline Cesar, présidente de HF Ile de France.
Pourquoi s’être intéressée à la question des femmes dans la culture et l’art ?
Aline Cesar: Il y a un vrai problème. Nous avons collaboré avec le Ministère du droit des femmes, pour le plan de mobilisation «
Sexisme, pas notre genre ! ». Et dans le clip de lancement, les parisiens sont interrogés : «
Combien de femmes ont reçu la palme d’or au festival de Cannes depuis sa création, en 1948 ? » Les réponses sont très éloignées de la réalité. En réalité, seule Jane Campion en a été récompensée. Sans constat chiffré, on a l’impression que ce problème de la représentation et de la place des femmes dans la culture est déjà réglé. Il faut compter pour s’informer.
Pourtant, l’art a un impact réel sur la société. Il construit les stéréotypes.
Parlez nous des femmes sur la scène artistique et culturelle française actuelle.
A. C. : Il y a un phénomène d’évaporation. Les femmes représentent 60% des élèves en écoles d’art. Quelques années plus tard, elles ont disparu. Il y a un vrai plafond de verre dans le monde de l’art : les femmes n’accèdent qu’à très peu de postes à responsabilités. On peut aussi parler de parois de verre, elles sont plus enfermées dans leur carrière que les hommes. Si elles n’ont pas fait les études qui correspondent parfaitement au poste auxquelles elles aspirent, elles se sentent illégitimes.
Nous avons travaillé avec une trentaine de théâtres pour insérer plus de mixité dans leur programmation et leurs équipes lors des
Saisons Egalité hommes femmes. Certains n’ont pas voulu collaborer, nous rétorquant qu’ils souhaitaient mettre en valeur les meilleurs, pour leurs qualités et non parce qu’ils appartenaient à une minorité. Mais nous ne sommes pas une minorité ! Geneviève Fraisse disait «
L’égalité ne pousse pas comme l’herbe verte ». C’est pareil pour le talent, il faut l’encourager.
Quelles autres actions avez vous prévu de mener ?
A. C. : L’association va également lancer une Saison Egalité dans la musique actuelle (à différencier de la musique classique). Dans ce milieu, les artistes n’ont pas la légitimité accordée par l’obtention d’un diplôme. Tout s’organise dans un milieu très masculin, la nuit, dans une ambiance alcoolisée… Le harcèlement Y est également très présent.