Fil d'Ariane
TERRIENNES - La mobilisation pour faire la lumière sur la disparition de Julia Chuñil Cutricura au Chili se poursuit. Grande défenseure du climat et pour les droits indigènes, la septuagénaire a disparu depuis le 8 novembre 2024. Mariela Santana, l'une des avocates de sa famille, dénonce "une enquête biaisée" et "des méthodes qui rappellent les heures sombres de la dictature".
Le visage de Julia Chuñil peint sur la façade d'une boutique au Chili. La cheffe mapuche a disparu depuis le 8 novembre 2024.
Plus de huit mois après la disparition de Julia Chuñil dans le sud chilien, sa famille est toujours sans nouvelles. Que s'est-il passé le 8 novembre 2024 ? A-t-elle été victime d'un enlèvement, d'une "disparition forcée", d'un accident ? Est-elle encore en vie ? Ou sinon pourquoi aucun corps n'a été retrouvé ? Autant de questions qui restent sans réponse à ce jour.
Julia Chuñil est une défenseure de l’environnement chilienne et une figure emblématique de la lutte pour la protection des terres indigènes. Elle a été la cible de menaces répétées de la part de puissants propriétaires fonciers de la région, qui cherchent à s’approprier les terres que la militante et sa communauté protègent avec détermination.
Malgré plusieurs mobilisations, dans la rue et sur les réseaux sociaux, l'enquête n'avance pas.
Et Julia Chuñil n’est malheureusement pas un cas isolé. Le Chili déplore plusieurs autres disparitions non élucidées. Associations et fondations pour la défense des droits autochtones dénoncent une stratégie de plus en plus violente et discriminatoire contre les défenseurs du territoire dans le Wallmapu (la terre du peuple mapuche, ndlr) et au Chili, renforçant l’urgence d’une véritable politique de protection, comme le mentionne lors de notre entretien Mariela Santana, avocate de la famille Chuñil.
Lire notre article "Où est Julia Chuñil?": la mobilisation pour retrouver la cheffe indigène disparue au Chili continue
Mariela Santana est l'avocate de Javier Troncoso -fils de Chuñil et Secrétaire exécutive de CODEPU (Corporación de Promoción y Defensa de los Derechos del Pueblo-Association pour la promotion et la défense des droits du peuple).
Terriennes : où en est aujourd’hui de l’enquête sur la disparition de Julia Chuñil ?
Mariela Santana : Nous avons rencontré un mur. Que s’est-il passé ? Cette enquête a été transmise d’un procureur à l’autre et jusqu’à ce jour nous avons 4 procureurs différents qui ont en mains cette affaire et chaque fois qu’il assume, l’enquête commence de nouveau et de mauvaise manière.
C’est une enquête marquée par de nombreux préjugés. Pourquoi ? Parce qu’elle n’a pas été conduite dans le cadre des droits de l’homme, ni selon les protocoles applicables aux défenseurs des droits humains, qui exigent une autre approche d’investigation et la participation active de la famille à chaque étape. Ici, au contraire, la famille a été désignée comme coupable dès le départ.
En plus de cela, les principes directeurs pour la recherche des personnes disparues ne sont pas appliqués. Et ces principes sont énoncés dans un traité international qui a été ratifié par le Chili, donc il l’oblige. Mais la qualification de disparition forcée n’a pas non plus été appliquée au moment de la disparition de Mme Chuñil.
Quels obstacles majeurs avez-vous rencontrés dans la quête de vérité et dans le suivi de l’enquête judiciaire ?
Depuis le premier jour, l’enquête a eu de mauvaises approches. L’enquête a été conduite avec un « biais de confirmation » : cela signifie que les enquêteurs se sont enfermés dans une hypothèse dès le début : la responsabilité de la famille.
Les enquêteurs se sont focalisés sur cette seule direction et ils ont orienté tout leur travail pour chercher des éléments qui allaient dans ce sens, sans vraiment prendre en compte d’autres pistes, comme les menaces et le harcèlement dont a été victime Julia. Mariela Santana, avocate de la famille Chuñil
Les enquêteurs se sont focalisés sur cette seule direction et ils ont orienté tout leur travail pour chercher des éléments qui allaient dans ce sens, sans vraiment prendre en compte d’autres pistes, comme les menaces et le harcèlement dont a été victime Julia de la part de Monstard, l’homme d’affaires de l’entreprise forestière.
Ainsi, l’hypothèse d’un conflit foncier a été écartée d’emblée, même si cette possibilité existe bel et bien. Ce traitement s’inscrit dans un contexte plus large de stigmatisation historique des Mapuches.
Vous avez déposé un recours d’amparo (protection) au nom des enfants de Julia Chuñil, qui subissent eux aussi du harcèlement et une stigmatisation de la part du parquet. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette démarche et la situation qu’ils traversent aujourd’hui ?
Le 30 janvier de cette année, un immense contingent de police est arrivé à la maison de Jeanette, la fille de Julia Chuñil, avec des armes lourdes. Il y avait des gens du Groupe d’Opérations Policières Spéciales (GOPE), qui est une unité spécialisée de la police chilienne, qui exécute des opérations policières à haut risque sur tout le territoire, en plus du Service d'enquêtes de la police chilienne, de deux grosses voitures avec les procureurs à l’intérieur.
Aucune trace de cet épisode ne figure dans le dossier : l’action a été effacée. Ce type de méthodes rappelle les heures sombres de la dictature. Mariela Santana
La maison de Jeanette, a été perquisitionnée. Lors de cette opération, elle a été retenue à l’intérieur d’un camion en présence du procureur et d’un officier de police, qui l’ont intimidée afin qu’elle modifie sa déclaration et s’accuse du meurtre de sa propre mère.
C’est extrêmement grave. D’autant plus qu’aucune trace de cet épisode ne figure dans le dossier : l’action a été effacée. Ce type de méthodes rappelle les heures sombres de la dictature. Le recours a été rejeté. Maintenant nous avons fait appel, nous sommes têtues. Nous allons continuer notre lutte.
Face à cette situation et au peu d’engagement apparent des autorités dans l’enquête, qu’espérez-vous encore aujourd’hui pour la suite de cette affaire ?
L’idée est de ne pas détourner l’attention, car nous essayons maintenant de rétablir le droit. Que les choses soient faites correctement. Que l’on fasse de bonnes recherches.
Si à l’issue de cette enquête on conclut que c’était un accident, cela en dira long sur l’enquête. Nous attendons que le parquet rectifie son enquête, car les procureurs ont eu tort d’enquêter avec le biais de confirmation que j’ai évoqué antérieurement.
Cela doit changer à l’avenir, parce que la famille s'est mise à disposition pour collaborer dans l’enquête et il ne convient pas qu’ils soient appréhendés à d’innombrables occasions, soient stigmatisés comme les auteurs de cette disparition dans des circonstances qui sont plus que suffisamment motivées pour penser qu’il y a d’autres intérêts en jeu.
Nous pensons que l’approche culturelle, la vision du monde mapuche doit être prise en compte. L’approche peut prendre en compte les caractéristiques de la communauté et de la façon dont Mme Julia se comportait par rapport à son attachement à la terre.
Elle connaissait parfaitement son environnement et n’était pas une personne exposant sa sécurité inutilement. Elle résidait avec sa fille dans une maison située au pied de la colline, tandis qu’un abri situé plus haut servait uniquement de refuge en cas de mauvais temps, notamment lorsqu’elle faisait paître ses animaux.
Sa disparition s’est produite dans des circonstances particulièrement inhabituelles et préoccupantes. Nous exigeons qu’une enquête rigoureuse soit menée afin que toute la lumière soit faite.
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