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Coup d'envoi de la 69e édition de la CSW, l'une des plus incertaines de l'histoire ? Dans un contexte de recul des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, et face à des mouvances ultra-conservatrices extrêmement bien organisées et financées, les activistes rassemblées au sein de l'Alliance Féministe Francophone sont à New York pour faire entendre leur voix.
L'égalité des sexes est essentielle pour atteindre les 17 objectifs mondiaux de développement durable.
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L'Arabie saoudite à la Commission des droits des femmes de l'ONU : stupeur et tremblements
"Au lieu d'intégrer l'égalité des droits, nous assistons à l'intégration de la misogynie. Ensemble, restons fermes pour faire des droits, de l'égalité et de l'autonomisation une réalité pour toutes les femmes et les filles, pour tout le monde et partout", a lancé Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations Unies du haut de la tribune.
La Commission de la condition de la femme (CSW) se tient chaque année au siège de l'ONU à New York. Principal organe intergouvernemental mondial dédié exclusivement à la promotion de l’égalité des sexes et de l'autonomisation des femmes, elle a été créée en 1946 par une résolution du Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC). Son secrétariat est assuré par ONU Femmes, l’agence des Nations unies consacrée à l’égalité de genre et à l’autonomisation des femmes.
À cinq ans de l’échéance des Objectifs de développement durable pour 2030, ce rendez vous a pour but de dresser "une évaluation des défis actuels qui affectent la mise en œuvre du programme d’action et la réalisation de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes".
Des avancées ont été réalisées en matière de droits des femmes et des filles et d'égalité de genre, mais leur progression demeure lente.
Au rythme actuel, il faudrait 300 ans pour atteindre une égalité réelle à l'échelle mondiale.
Toutes les 10 minutes, une femme est assassinée par un membre de sa propre famille. Environ 736 millions de femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire intime ou de violences sexuelles de la part d’une autre personne à un moment donné de leur vie.
Si rien n’est fait, une fille née aujourd’hui devra attendre d’avoir 39 ans pour que le nombre de femmes occupant un siège au parlement soit égal à celui des hommes. Cent treize pays n’ont jamais eu de femme cheffe d'État.
Depuis 20 ans, les disparités entre femmes et hommes en matière de participation au marché du travail restent inchangées.
Près de 10 % des femmes et des filles dans le monde continuent à vivre dans l'extrême pauvreté : 158,3 millions de femmes et de filles supplémentaires pourraient basculer dans la pauvreté d’ici 2050.
En l’espace d’un an seulement, la proportion de femmes tuées à la guerre a doublé en 2022.
(Source ONU Femmes)
(Re)lire Il faudra 300 ans avant d'atteindre l'égalité de genre, selon ONU Femmes
Aujourd'hui, on ne peut que constater la force de frappe des mouvements anti-droits, qui disposent de financements massifs et sont très organisés. Avec le début du second mandat de Donald Trump, un palier a été franchi dans la virulence de leurs attaques contre les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+. La situation est aggravée par les coupes majeures de l’aide publique au développement dans de nombreux Etats européens.
C’est dans ce contexte qu'une vingtaine de militantes de la nouvelle Alliance Féministe Francophone (AFF) sont présentes à New York pour participer à la commission sur le statut des femmes. Coordonnée par Equipop, le Fonds pour les Femmes en Méditerranée (FFMed) et la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH), cette alliance réunit des militantes féministes francophones du monde entier. Son objectif est de renforcer leur participation aux espaces “multilatéraux”, c’est-à-dire les processus de négociation et de décision internationaux, comme nous l'a expliqué depuis New York, Lucie Daniel, responsable plaidoyer chez Equipop.
Terriennes : quels sont les enjeux de cette CSW69 ?
Lucie Daniel : cette commission doit marquer les 30 ans de la conférence de Beijing, une conférence onusienne extrêmement importante qui a marqué un tournant pour les droits des femmes à l'international. C'est notamment à cette occasion que les États de l'ONU avaient reconnu que les femmes étaient maîtresses de leur sexualité, par exemple. Des termes quand même assez forts qu'on peine à retrouver ces dernières années dans les espaces multilatéraux. À l'issue de cette commission, les États sont censés adopter une déclaration politique. Cette déclaration politique doit dresser un état des lieux des progrès au regard des engagements d'il y a 30 ans, afin de réfléchir à la façon d'avancer pour la communauté internationale.
Cette commission est le premier rdv depuis l'arrivée de Trump II, un contexte bien particulier concernant les droits des femmes ...
Ça pourrait être le moment pour l'administration Trump II d'utiliser cette CSW comme une sorte de tribune pour donner à voir l'ambition de son agenda anti-genre et anti-femmes. L'administration Trump ne semble pas cacher ses intentions, puisqu'on a vu dès les premiers décrets sa volonté de saboter un certain nombre de conventions internationales sur les droits des femmes, en allant chasser tout ce qui relèverait du vocabulaire autour des questions de genre.
On a aussi vu très vite que Donald Trump avait annoncé la volonté des États-Unis de rejoindre à nouveau la déclaration du Consensus de Genève. Ce texte, sous couvert de vouloir défendre la famille est en fait un texte anti-droit à l'avortement, donc un texte anti-choix avec une vision très étriquée, patriarcale de la famille. Lucie Daniel, Equipop
Donald Trump a aussi annoncé la volonté des États-Unis de rejoindre à nouveau la déclaration du Consensus de Genève. Ce texte, sous couvert de vouloir défendre la famille est en fait un texte anti-droit à l'avortement, donc un texte anti-choix avec une vision très étriquée, patriarcale de la famille. C'est un texte qui avait été proposé par la première administration Trump avec un certain nombre d'autres États, dont Biden était sorti. Et là, une des premières actions de Donald Trump, c'est de remettre cette déclaration sur la table. C'est une déclaration qui a été faite en dehors du cadre de l'ONU, mais ça reste un élément de communication inquiétant. Donc on connaît ses intentions. On avait vu déjà faire la première administration Trump, et là on sait que la ligne va être encore plus dure.
L'enjeu c'est vraiment pour des pays comme la France, comme l'Espagne qui revendiquent des diplomaties féministes, de resserrer les rangs autour de cet agenda pour les droits des femmes et l'égalité de genre. Lucie Daniel
Et il n'y a pas que les Etats-Unis qui marquent un retour en arrière en matière de droits des femmes ...
On est aussi dans un contexte où un certain nombre de pays reculent, notamment des pays qui sont traditionnellement engagés sur ces questions dans la voie de la diplomatie féministe. On voit en Europe des pays comme les Pays-Bas, l'Allemagne qui connaissent des baisses budgétaires importantes et où l'extrême droite monte. L'enjeu c'est vraiment pour des pays comme la France, comme l'Espagne qui revendiquent des diplomaties féministes, de resserrer les rangs autour de cet agenda pour les droits des femmes et l'égalité de genre. Et puis aussi de renforcer des alliances avec d'autres pays. Je pense par exemple au Mexique ou à la Colombie qui eux souhaitent poursuivre sur la voie des diplomaties féministes.
L'idée, c'est vraiment en créant cette alliance, de faire mouvement, de créer des solidarités transnationales francophones pour pouvoir résister face à ces mouvements anti-droits et pour faire entendre ces voix féministes francophones. Lucie Daniel
Présente à cette CSW69, l'Alliance féministe francophone qui a été lancée à l'occasion du sommet de la francophonie. Qu'est-ce qu'on peut en attendre justement ? Pourquoi doit-il y avoir aussi un front francophone féministe ?
Cette alliance est née d'un constat, celui d'abord de la nécessité d'occuper tous les espaces multilatéraux pour résister face aux mouvements anti-droits et pour y défendre un agenda progressiste et une vision du monde féministe. On s'est fait la réflexion que les mouvements féministes francophones rencontraient des obstacles spécifiques qui les empêchaient de participer pleinement aux espaces et aux processus multilatéraux. Ce sont des mouvements féministes qui ont tendance à être moins financés que d'autres, donc à avoir moins d'espace pour se coordonner, créer des réseaux. Et puis ce sont des mouvements qui également, par définition, se heurtent parfois à une barrière linguistique dans des espaces souvent dominés par l'anglais.
L'idée, c'est vraiment en créant cette alliance, de faire mouvement, de créer des solidarités transnationales francophones pour pouvoir résister face à ces mouvements anti-droits et pour faire entendre ces voix féministes francophones qui existent, qui sont nombreuses et pour lesquelles on manque de ressources pour que leurs voix puissent vraiment porter.
S'il y a une priorité qu'il faudrait défendre à cette commission, quelle serait-elle ?
Il y a ce qui se joue dans ce texte, et puis il y a aussi ce qui se joue tout autour, puisque la commission sur le statut des femmes, c'est aussi 15 jours d'événements, de prises de parole, et de démonstrations. Je n'ai pas envie de dire démonstrations de force, parce que sinon on va retomber dans un lexique masculiniste qui n'est pas celui qu'on souhaite en ce moment. Mais il y a cette idée quand même de prendre des positions, de les verbaliser, de réaffirmer certaines choses, de clarifier des valeurs.
Après, en termes de priorité, il y a le texte qui va être adopté, de ses éléments de langage. Tout en sachant par exemple que le droit à l'avortement en tant que tel, c'est toujours très compliqué de le voir apparaître dans ce type de texte. Mais c'est de la diplomatie, donc les prises de parole sont importantes. Donc l'objectif est de faire changer un peu le récit sur les questions de droits des femmes, ou en tout cas, faire en sorte qu'il ne bascule pas complètement du côté de récits conservateurs, anti-genre.
Enfin, il y a la question du financement des associations féministes. C'est aussi à ce niveau-là que ça se joue, puisqu'on sait qu'aujourd'hui, les mouvements anti-droits sont beaucoup plus financés que les mouvements qui défendent la démocratie, les droits des femmes dans le monde.
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