Fil d'Ariane
Cela aurait pu être un bel anniversaire, joyeux, pour cette 40ème édition de la Journée internationale des droits des femmes érigée par les Nations Unies en 1975, officialisée en 1977. Mais en ces temps de régression généralisée, d'un bout à l'autre de la planète, du Nord au Sud, d'Est en Ouest, elles n'ont pas fini de marcher les Terriennes. Après le succès mondial de la Women's march du 21 janvier 2017, une nouvelle étape devrait être franchie ce 8 mars 2017 avec un appel à la grève des femmes, tout autour de la terre, de quelques secondes, minutes ou d'une journée entière.
A retrouver dans Terriennes :
> Le 8 mars, une journée internationale des droits des femmes, mais pour quoi faire ?
On nous dit et on nous le répète : les femmes travaillent, de plus en plus nombreuses, et cela sous toutes les latitudes. Et pourtant, il n'est pas certain que la montée en puissance des femmes dans l'emploi s'accompagnent de droits supplémentaires. Il est même plutôt certain que ce soit l'inverse. En témoigne encore cette intervention d'un eurodéputé d'extrême droite, bien dans ses bottes, qui explique sans honte les raisons de rémunérer moins bien les femmes : "parce qu'elles sont moins intelligentes que les hommes !" CQFD
Les femmes gagnent en moyenne 23% de moins que les hommes à l'échelle mondiale (26% en France, sic), nous rappelle l'Union européenne. Au rythme actuel, il faudra 70 ans pour résorber les écarts, estime l'Organisation internationale du travail - OIT.
Les sujets de fâcherie ne manquent pas, tant la planète semble tourner à l'envers, avec des hommes ultra majoritairement toujours aux commandes, dans tous les secteurs - politique, économique, universitaire, sportif, culturel, etc -, malgré les lois, malgré les incitations, malgré les sanctions. Un seul exemple pour s'en convaincre ? Sur la quinzaine de candidats déclarés à la présidentielle française d'avril 2017, deux femmes seulement, Marine Le Pen et Nathalie Arthaud, l'une à l'extrême droite, l'autre à l'extrême gauche.
Des deux côtés de l'océan atlantique, les partis populistes séduisent de plus en plus des hommes effrayés d'être dépossédés de leurs prérogatives mais aussi des femmes attirées par les sirènes d'une vie tranquille et illusoire au foyer. Les grandes conquêtes féminines (et féministes) du 20ème siècle - droit de vote, droit d'être élue, droit au compte bancaire séparé de son mari, droit à l'avortement, droit de conduire, etc -, n'ont jamais autant semblé fragiles, surtout depuis l'avènement d'un machiste misogyne à la Maison Blanche, en novembre 2016, en la personne de Donald Trump, dont l'une des premières mesures a été de s'attaquer à l'interruption volontaire de grossesse.
Tandis que les violences faites aux femmes, conjugales ou "gratuites" ne reculent pas, loin de là : en Espagne, en Amérique latine, en Asie, etc, les féminicides explosent, et les masculinistes font des émules au Canada, en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs.
A retrouver dans Terriennes
> Donald Trump, le sexisme et le machisme en bandoulière
> Le président Donald Trump et ses 18 guerriers blancs en croisade contre le droit à l'avortement
Les attaques contre le droit des femmes à disposer de leur corps se multiplient partout, sur tous les continents. En moins de deux semaines, à la veille de ce 8 mars 2017, on apprend qu'en Russie, la très puissante église orthodoxe s'érige contre ce droit adopté dès la révolution d'octobre 1917 sous l'impulsion de la pionnière Alexandra Kollontaï ; que la justice urugayenne interdit à une femme d'avorter à la demande du père ; que le Guatemala ordonne l'expulsion de ses eaux côtières d'un navire hôpital pour permettre aux Guatémaltèques d'avorter ; qu'en Croatie les ultra-conservateurs catholiques ont tenté de rendre le droit à l'avortement inconstitutionnel ; ou encore que l'Angola persiste à punir, par une nouvelle loi, comme aux temps de la colonisation les interruptions volontaires de grossesse de "peines maximales de trois ans de prison pour les femmes (qui les subissent) et de quatre ans pour ceux qui les effectuent"...
Nous voulons contribuer au développement d'un nouveau mouvement féministe plus large en aidant à la mobilisation pour une grève internationale le 8 mars
Angela Davis, Rasmea Yousef Odeh, Nancy Fraser, etc
Mais les femmes ne sont plus aussi dociles. Et le succès de la marche mondiale du 21 janvier 2017 leur a donné des ailes. De la #WomensMarch, elles ont donc décidé de passer à la #WomensStrike, mot d'ordre construit sur le modèle argentin #NiUnaMenos, qui se répand et se décline dans toutes les langues, sur les réseaux sociaux. "Nous sommes en colère mais pas impuissantes", dit Barbara Nowacka, femme politique polonaise et représentante du comité "Sauvons les femmes", lauréate du prix Simonde de Beauvoir 2017. "Les droits des femmes sont plus que jamais en danger, mais ils sont davantage discutés", poursuit celle qui espère voir ce 8 mars des milliers de compatriotes en grève.
Dès le 6 février, un groupe de féministes sans frontières, parmi lesquelles des icônes du féminisme universitaire américain, telles Angela Davis, Rasmea Yousef Odeh ou encore Nancy Fraser lançaient un appel à la grève universelle, publié par plusieurs grands quotidiens :
"Les marches féminines massives du 21 janvier marquent le début d'une nouvelle vague du combat féministe. Mais quel sera précisément son objectif ? À notre avis, il ne suffit pas de s'opposer à Trump et à ses politiques agressivement misogynes, homophobes, transphobes et racistes. Nous devons également cibler les attaques néolibérales en cours contre la protection sociale et les droits du travail.
Alors que la flagrante misogynie de Trump a été le facteur déclenchant de la réponse massive du 21 janvier, l'attaque contre les femmes (mais aussi contre tous les travailleurs) avait depuis longtemps précédé son investiture. Les conditions de vie des femmes, en particulier celles des femmes de couleur et des travailleuses, des chômeuses ou des migrantes, se sont régulièrement détériorées au cours des 30 dernières années - merci à la finance mondialisée et aux multinationales.
(.../...)
Le genre de féminisme que nous recherchons est déjà à l'oeuvre à l'échelle internationale, dans les luttes à travers le monde : de la grève des femmes en Pologne contre l'interdiction de l'avortement aux grèves et marches des femmes en Amérique latine contre la violence masculine ; depuis la vaste manifestation de novembre 2016 en Italie jusqu'aux protestations et à la grève des femmes pour la défense des droits reproductifs en Corée du Sud ou en Irlande.
Ce qui est frappant à propos de ces mobilisations, c'est que plusieurs d'entre elles combinent les luttes contre la violence masculine avec celles contre la précarisation du travail et l'inégalité salariale, tout en s'opposant aux politiques homophones et xénophobes. Ensemble, elles annoncent un nouveau mouvement féministe international avec un programme élargi: à la fois antiraciste, anti-impérialiste, anti-hétérosexiste et anti-néolibéral.
Nous voulons contribuer au développement de ce nouveau mouvement féministe plus large en aidant à la mobilisation pour une grève internationale le 8 mars.
(.../...)"
Appel entendu, comme on le voit, en Turquie, en Italie, ou encore au Chili
#Turkey #HDP Women deputies will participate in the #GlobalWomenStrike on the 8th of March#NiUnaMenos #womenstrike @Hevallo @NiUnaMenos_ pic.twitter.com/u83GhlpxLC
— Anna Irma Battino (@AnnaIrmaBattino) 2 mars 2017
Together we are stronger. Join our strike the 8th of March.#LottoMarzo #NonUnaDiMeno #ADayWithoutAWoman #Womenstrike#MujeresEnHuelga pic.twitter.com/e1aLXGuqIB
— LaMalafemmina (@LaMalafemmina) 1 mars 2017
Tandis que d'autres se préparent en vidéo à suivre le mouvement, parce que "la grève est la seule arme de celles et ceux qui travaillent". Mais "c'est aussi en tant que femmes que nous devons cesser le travail, parce que sinon, nous restons invisibles" disent ces femmes, mères célibataires, retraitées, enseignantes, migrantes, chômeuses, etc, du Royaume Uni.
Les organisatrices de ce mot d'ordre international sont, aussi, bien conscientes qu'il n'est pas facile à suivre. Alors, à celles qui seraient empêchées, elles suggèrent de juste "porter du rouge en signe de solidarité" ou encore de recoiffer leur tête des fameux bonnets "pussy hat" tricotés à la hâte pour la marche du 21 janvier.
Les syndicats ou associations françaises qui appellent à se joindre au mouvement ont elles aussi choisi des actions plus modestes pour être mieux suivies : arrêter le travail à 15h40, c'est à dire au moment où les femmes, à travail et compétences égales ne sont plus payées chaque jour, tandis que leurs compagnons le sont jusqu'à 18 h ; manifester à Paris le 8 mars, à 17h30, à la sortie des bureaux, sur les grands boulevards là où se trouvent les grands magasins si réputés de Paris, employeurs d'une main d'oeuvre presque exclusivement féminine ; faire circuler sur les réseaux sociaux toutes ces revendications d'égalité sous le mot dièse #8mars15h40.
Faire grève, Marianna Traustadottir, dirigeante de la Confédération islandaise du Travail (ASI) sait bien ce que cela signifie, mais aussi ce que cela peut entraîner comme changements fondamentaux, surtout si toutes les femmes s'y mettent.
Conviée à Paris le 28 février 2017 par une trentaine d'organisations féministes, elle est revenue sur cet épisode encore unique jusqu'aujourd'hui, lorsque ce 24 octobre 1975, l'immense majorité des Islandaises stoppèrent le travail (pour la plupart dans des conserveries de poisson), mais aussi toutes leurs tâches domestiques et éducatives.
Ce pays se trouva alors paralysé, et "les hommes ouvrirent les yeux". La syndicaliste se souvient de cet électrochoc salutaire et "maintenant c'est tous les cinq ans environ que nous descendons dans la rue ce jour là. Et aujourd'hui nous nous démultiplions grâce aux réseaux sociaux. Le résultat c'est que nous avons un nouveau gouvernement en Islande et que le ministère du travail s'appelle aussi celui de l'égalité des droits"
A retrouver dans Terriennes :
> Octobre 1975, le jour où les Islandaises se mirent en grève
De beaucoup plus loin, le Forum d'Asie Pacifique pour les femmes, le développement et le droit (APWLD), se rappelle une autre histoire. Celles des Françaises qui défièrent, les premières, le roi Louis XVI retranché à Versailles, lançant l'inexorable révolution française de 1789.
The women’s march to Versailles in protest to the famine contributed to the end of monarchy in France. #IWD2017 #GlobalStrike #WomenStrike pic.twitter.com/t8xNl48upX
— APWLD (@apwld) 2 mars 2017
Et on devrait se souvenir aussi des Communardes, femmes de Paris protégeant, le 18 mars 1871, les Canons de Montmartre que le gouvernement voulait faire enlever, alors que les Parisiens considéraient qu'ils étaient à eux. Ces femmes n'avaient alors rien à perdre et tout à gagner. Elles plongèrent dans "leur" révolution, arrêtant le travail, manifestant, jusque sur les barricades avant d'être renvoyées à des abysses d'oppression. Et d'oubli.
Espérons que ce 8 mars 2017 évitera ce sombre et éternel recommencement. #yaduboulot
A retrouver dans Terriennes :
> 1er mai 1871, quand les Communardes “avaient la folie en tête“
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter @braibant1