Fil d'Ariane
Quelles sont les causes du faible taux de représentation des femmes dans les médias?
«En premier lieu, il y a les vieux réflexes et la routine professionnelle des journalistes qui mobilisent toujours le même réseau, explique Marie-Christine Lipani, chercheuse et sociologue des médias à l’Université de Bordeaux-Montaigne. Et ce phénomène est renforcé par la vitesse de travail qui s’accélère dans les rédactions.»
La journaliste Joëlle Kuntz a dirigé les pages «Opinion» du Temps entre 1998 et 2011. Elle détaille le processus de sélection des articles: «On ne choisissait pas des hommes ou des femmes mais surtout des idées parmi la production intellectuelle du moment. Mais on se sentait aussi très concerné par la question de l’équilibre des genres sans réussir à la résoudre car il n’y avait pas autant de femmes que d’hommes visibles dans la politique et à l’université.»
L’ancienne journaliste du Temps publiait à la fois des articles envoyés spontanément au journal et d’autres qu’elle suscitait. «Je passais beaucoup de temps dans les clubs de femmes entre autres, à des soirées, à lire énormément pour recueillir toutes les nouvelles idées pertinentes, témoigne Joëlle Küntz. Je demandais à des femmes d’écrire mais ce n’était pas toujours facile pour elles de prendre volontairement la plume, pour dire ce qu’elles pensent. Elles avaient aussi très peu de temps entre leur travail et la vie de famille».
Le Temps a été jusqu’à aujourd’hui aussi mauvais que les autres médias. Mais la nouvelle génération de journalistes trouve cela insupportable
Stéphane Benoît-Godet, rédacteur en chef
Selon Marie-Christine Lipani, ce rôle pro-actif des journalistes est crucial pour l’égalité des sexes dans les médias: «Les mots et les images ont une importance, dit-elle. Les médias ont un rôle déterminant dans la répartition des pouvoirs pour tous les secteurs de la société. Ils sont des prescripteurs des nouvelles normes et de représentations. Tant qu’ils renvoient une image non valorisante des femmes, on continuera de donner aux petites filles et aux petits garçons une image biaisée.»
Et l’excuse de ne pas avoir trouvé d’expertes féminines à interviewer ne tient plus selon la chercheuse française car «les femmes ont pénétré tous les corps de métiers même ceux où l’entre-soi masculin était très fort comme en politique ou dans l’armée.» Des initiatives se multiplient aussi pour aider au travail de recherche de nouvelles voix telles que la plateforme française expertes.eu ou l’annuaire suisse lancé ce lundi sur le site du Temps (voir ci-dessous).
«Le Temps a été jusqu’à aujourd’hui aussi mauvais que les autres médias, commente Stéphane Benoît-Godet, rédacteur en chef du quotidien de Suisse Romande. On a du mal à repérer les femmes crédibles. Mais la nouvelle génération de journalistes trouvent cela insupportable et des bonnes pratiques commencent à se mettre en place. On doit fixer des règles et des quotas.» Toutes les personnes interrogées sont optimistes: «Les initiatives citées et l’éducation des jeunes générations auront leur effet, conclut Marie-Christine Lipani. Ce n’est qu’une question de temps.»
Article original paru sur le site du Temps
Outre la fabrication de ce numéro exceptionnel, le Temps a proposé à ses invitées de donner des conseils, en vidéo : "Education des garçons et des filles, plafond de verre, égalité au travail... Les conseils musclés de six de nos invitées pour #LeTempsDesFemmes"
Autre cadeau accompagnant ce numéro exceptionnel, une base de données d'expertes qui ne permettra plus de dire dans les rédactions suisses : on n'a pas trouvé de femme pour parler de tel ou tel sujet...
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