Début février 2014, un forum d'un nouveau genre s'est tenu à Cocody, un quartier huppé de la capitale économique ivoirienne : ses participants sont tous des femmes, à une exception près. L'heure est aux conseils de beauté, à la splendeur africaine. Les Nappy, un mélange de « naturel » et de « happy », de « Babi », un surnom d'Abidjan, se veulent une édition 2.0 des réunions entre filles. Les convocations se font
via Facebook dans un endroit public, une fois tous les deux mois environ. L'on y échange ses trucs et astuces, ses petits secrets, ses inconforts capillaires. Des stands vendent des produits ethniques, traditionnels, naturels... Des ateliers pratiques sont organisés, à l'ombre d'une tonnelle.
« Comment fais-tu pour savoir si tes cheveux sont hydratés ? » demande une jeune participante à Bibi Gagno, une juriste américano-ivoirienne de 29 ans, dont la très longue chevelure, non coupée depuis cinq ans, est savamment enroulée au sommet de son crâne. « Et bien... quand ils sont durs et secs, ça veut dire qu'ils ne le sont pas du tout », lui répond-elle, sérieuse. Avant de proposer ses propres produits cosmétiques, à base de « beurre de karité, d'huile de coco et de jojoba », aux vertus curatives.
La discussion peut sembler lunaire vue d'ailleurs. Elle revêt pourtant un intérêt crucial en Côte d'Ivoire, où le cheveu disparaît à l'adolescence derrière des rajouts et perruques, fréquemment changés. Du coup, les femmes africaines « ne savent pas s'occuper », de « leurs cheveux crépus », qu'elles ont « des problèmes » à « sublimer », observe Miriam Diaby, l'une des fondatrices des Nappy de Babi. « La société n'aime pas les cheveux afros qui débordent de partout ».
« Black is beautiful »
Si « black is beautiful » fut le cri de ralliement des américain(e)s noir(e)s dans les années 1960, repris au Sénégal à l'occasion d'une campagne contre les ravages du blanchiment de la peau, les Africaines doivent encore s'émanciper du modèle de beauté blanche dominant, même si des mouvements de réappropriation essaiment un peu partout , estiment les Nappy. « Quand je suis arrivée à Abidjan (après une jeunesse passée aux États-Unis et quelques années en Europe), j'ai remarqué, et ça m'a marquée, que toutes les pubs montraient des femmes au teint clair avec les cheveux longs et lisses. Pourtant, ici les femmes ont le teint noir chocolat », observe Bibi Gagno, qui a créé un site,
omgiloveyourhair.com (pour OMG – Oh my God, oh mon Dieu – J'aime tes cheveux.com). La peau claire, notamment grâce aux produits de dépigmentation, cancérigènes, est « synonyme de réussite », regrette la néo-businesswoman.
Aller à l'encontre de la tendance dominante provoque des réactions inattendues. « Quand ils voient vos cheveux naturels, ils vous regardent comme si vous étiez une paria, comme s'il y avait un souci, alors que ça devrait être normal », s'étonne Liliana Lambert, métisse européenne de 27 ans, d'origine ivoirienne, à la chevelure fournie encerclée de fleurs.
Seul Nappy-boy présent à la rencontre, Ange-Dady Akre-Loba, styliste de 28 ans à la coupe mi-long, plaide également pour la lutte contre la pensée unique capillaire. « Ici, à partir de cinq centimètres, c'est trop long. Le fait même de ne pas se coiffer, de ne pas avoir les cheveux très ras, c'est considéré comme avoir (...) trop de cheveux. On va dire que, pour beaucoup, j'ai un peu trop de cheveux », ironise-t-il.
Les hommes moins conformistes doivent ainsi « rester discrets », constate Ange-Dady, qui explique avoir pu se laisser pousser les cheveux à la faveur de la violente crise postélectorale ayant secoué son pays en 2010-2011. Depuis lors, le Nappy-boy, qui dit « ne pas vraiment se préoccuper du regard » d'autrui, vit sa différence sereinement.