On dit de la prostitution que c'est le plus vieux métier du monde, un commerce au sens biblique, régulier, en quelque sorte,
ses problèmes de petits entrepreneurs ... Une "profession", exercée par des femmes et des hommes, mais dans des proportions disproportionnées, et ce mot prostituée que l'on devrait presque toujours accorder au féminin. Une industrie en fait, à laquelle aucun pays n'échappe et qui aurait rapporté en 2010
plus de 187 milliards de dollars - l'équivalent du PIB de la Roumanie, plus que celui de la Nouvelle Zélande -, surtout aux mafieux, aux proxénètes, aux Etats, et le moins possible aux "professionnelles"... Et voici qu'un nouveau mouvement se fait jour pour tenter d'enrayer la progression exponentielle de cette exploitation, avec tâtonnements et hésitations sur les moyens pour y parvenir.
En la matière, les convictions sont difficiles à se faire, tant les histoires et cultures diffèrent d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre, et tant les conditions de vie des prostituées vont d'un extrême à l'autre, du rare choix des call girls de haut vol, jusqu'aux "abatteuses" des routes nationales ou des hôtels de passe...
Que choisir ? La pénalisation des clients comme en Suède ? Ou bien l'encadrement extrême comme en Suisse ou dès janvier 2013, les prostituées zurichoises devront prendre un ticket payant à un horodateur pour faire le trottoir ?
Najat Valaud Belkacem, la ministre française des Droits des femmes, en quête de solutions, s'est rendue en novembre 2012 à Stockholm afin de se faire une idée plus précise d'un pays qui pénalise les clients. Elle en est revenue tout de même avec une certitude, celle de ne pas rouvrir les maisons closes.
Trois approches ont été expérimentées un peu partout dans le monde : la prohibition, l'abolitionisme ou la voie réglementaire.
Le prohibitionnisme tend à l’interdiction totale de la prostitution et à sanctionner tous les partenaires de l'acte de vente/consommation sexuelle (le client, la prostituée, le proxénète). Les tenants de cette pénalisation,
comme l'Etat suédois depuis 1999, se fondent sur un présupposé : la marchandisation des corps ne peut être un commerce comme un autre et il convient d'autre d'imposer le respect de la dignité des personnes, même contre leur gré. Cette voie est défendue par des féministes, des hommes ou femmes d'églises et des croyants, ou par des partis de gauche. Elle est combattue par les tenants du libre échange, du libéralisme économique ou social, des "libertins" (des hommes essentiellement), mais aussi
par certaines prostituées(très minoritaires), au nom du libre choix et du droit à disposer comme on veut de son corps.
Le précédent du "lancer de nains"
En France, ce droit, sacro-saint selon certains esprits ultra-libéraux, a tout de même été sérieusement écorné dans un autre domaine, au nom du respect de la dignité humaine, sans que cela ne choque personne. En 1995, le Conseil d'Etat a en effet définitivement interdit
le lancer de nains comme spectacle populaire, en donnant raison au maire de Morsang sur Orge, qui avait proscrit par arrêté municipal de telles exhibitions sur sa commune. Certains nains protestèrent parce qu'ils étaient ainsi privés de revenus, tirés de cette activité à laquelle ils avaient librement consenti.
Peut-on faire le bonheur des autres, malgré eux ?
Les autorités suédoises sont persuadées du bien fondé de leur politique. La législation de ce pays punit depuis plus de dix ans l'achat de "tout type de services sexuels". Dans le royaume scandinave, premier pays européen à avoir criminalisé la demande et non l'offre de prostitution, les amendes sont lourdes, proportionnelles au salaire du client. Les peines de prison peuvent atteindre six mois. Depuis ces dispositions, la prostitution aurait diminué de moitié, et entre 1999 et 2008, les clients de prostituées seraient passés de 13,8% à 7,8%, et les professionnelles, de 2500 à 1250. Les détracteurs de ce dispositif estiment que
la prostitution s'est déplacée vers Internet et l'anonymat, au risque de fragiliser un peu plus les "professionnelles".
A l'opposé de la prohibition, accourent les tenants de la réglementation et de la reconnaissance du métier, au nom d'une évidence selon eux : on ne pourra jamais éradiquer la prostitution, au nom de la psychanalyse, de la misère sexuelle, des pulsions masculines ou du libertinage et donc mieux vaux l'autoriser, l'encadrer, la considérer comme du patinage artistique par exemple ou de la pâtisserie... Il faudrait donc rouvrir les maisons closes, les clandés et autres bordels, avec visites médicales, contrôles fiscaux et encartement syndical, selon ces croisés anti moralistes qui en France se rangent derrière le nouveau philosophe
Pascal Bruckner (client épisodique) : "Il s'agit d'une volonté totalitaire de punir le client sous couvert de protéger les prostitué(e)s. Or, on sait au contraire que ce type de mesure a pour conséquence de multiplier la clandestinité. (.../...) Je m'oppose à cette "croisade morale" : l'Etat n'a pas à dicter la conduite des gens. Le problème de la prostitution, c'est la misère économique. Certaines personnes, des hommes comme des femmes, préfèrent embrasser cette profession plutôt que de travailler à la caisse d'un magasin, c'est leur choix."
En route vers les supermarchés du sexe
Certains pays ont fait ce choix. Ainsi, dès 2013, les travailleuses du sexe zurichoises (Suisse) devront "s'enregistrer" auprès des autorités et s’acquitter d’une taxe de 5 francs suisses (4 euros 15) par nuit de travail. Et des automates d’un genre nouveau fleuriront dans certaines rues de Zurich, destinés aux prostituées, qui devront tirer un ticket par nuit pour pouvoir stationner – et travailler – dans les zones qui leur sont réservées. Les "salons" seront également plus sévèrement contrôlés et devront disposer d’une patente dès que trois femmes et plus y travaillent. Toutes les travailleuses du sexe, quelle que soit leur nationalité, auront besoin d’une autorisation communale, qui atteste qu’elles sont majeures et assurées contre la maladie. Elles devront entrer leur numéro d’enregistrement dans l’automate pour pouvoir payer leur place.
Puis, en août 2013, la ville de Zurich ouvrira
le premier « drive-in » de Suisse, sur un terrain en périphérie à Altstetten. Le dispositif, destiné aux clients en voiture, prévoit des alcôves d’un genre particulier, des box séparés par de hautes palissades qui condamnent la porte du conducteur. Si elle est menacée, la femme peut sortir et actionner un bouton d’alarme. Les autorités espèrent pouvoir ainsi décharger le centre-ville d’une partie de la prostitution de rue. Est-ce là le summum de l'immoralisme ? Ou du capitalisme bien ordonné ?
Faut-il préférer une troisième voie ?
Les abolitionnistes, en référence à l'abolition de l'esclavage,
proposent de ne pas réglementer du tout : ni en pénalisant les clients ou les prostituées et leurs proxénètes, ni en normalisant et en élevant les prostituées au rang de travailleuses ordinaires. On continue dans cet espace de non droit, à se servir des lois existantes en matière d'agressions sexuelles, de viols ou d'esclavagisme.
Les partisans de cette démarche se veulent empiriques, tout en refusant le puritanisme. S'ils espèrent que la prostitution sera un jour anéantie, au même titre que l'ordre social dominant, ils pensent qu'on en est encore loin et que cette voie du ni-ni permet de ne pas stigmatiser les prostituées tout en les protégeant grâce à l'arsenal législatif existant déjà.