Fil d'Ariane
Le nouveau gouvernement polonais se dit prêt à libéraliser l'avortement dans ce pays devenu l'un des plus restrictifs d'Europe sous les mandats précédents. Il a déjà approuvé un projet de loi autorisant l'accès libre à la pilule abortive.
Manifestation contre la loi sur l'avortement en Pologne à Varsovie, Pologne, le 14 juin 2023. La mobilisation a eu lieu dans des dizaines de villes polonaises sous le slogan "Arrêtez de nous tuer". Elle a été déclenchée par le décès d'une femme, de septicémie, au cinquième mois de grossesse.
La Pologne reste l'un des pays où le droit à l'IVG compte parmi les plus restrictifs d'Europe. Mais depuis les élections d'octobre 2023, le nouveau gouvernement polonais a déjà approuvé un projet de loi ouvrant l'accès libre à l'IVG médicamenteuse et le nouveau Premier ministre Donald Tusk a annoncé que, conformément à ses promesses électorales, son parti centriste, la Coalition civique (KO), est "prêt à déposer" un texte autorisant "l'avortement légal et sécurisé jusqu'à la 12e semaine de la grossesse".
Aucune date n'a été fixée pour le vote du Parlement sur ces deux propositions, mais les groupes de défense des droits des femmes ont appelé les députés à agir vite. "Nous sommes conscients que le chemin législatif visant à mettre en œuvre la demande sociale d'un avortement légal, sûr et gratuit ne fait que commencer", a déclaré Agnieszka Czerederecka, de l'organisation à but non lucratif Women's Strike.
"Il était temps", réagit Antonina Lewandowska, du groupe de défense des droits des femmes Federa, citée par l'agence de presse polonaise PAP, qui qualifie cette annonce de "première étape d'un très long marathon".
En Pologne, pays de forte tradition catholique, l'IVG n'est autorisée qu'en cas de viol ou d'inceste, ou lorsque la vie de la mère est en danger. En 2020, la Cour constitutionnelle s'est rangée du côté du gouvernement populiste-nationaliste de l'époque en déclarant les interruptions de grossesse pour malformation foetale "inconstitutionnelles".
En décembre 2023, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la Pologne pour "violation du droit au respect de la vie privée" après qu'une jeune femme a été empêchée d'accéder à un avortement fondé sur "l'existence d'anomalies fœtales".
La Gauche, parti membre de la coalition gouvernementale victorieuse des élections d'octobre dernier, a déposé depuis au Parlement, en son propre nom, deux propositions législatives visant premièrement à dépénaliser l'assistance à l'avortement et deuxièmement à libéraliser l'avortement en Pologne.
Un deuxième membre de la coalition gouvernementale, la Troisième voie (chrétien démocrate), est opposé à l'idée d'une libéralisation aussi poussée du droit à l'avortement. Ce groupement, composé du parti Pologne 2050 du président de la chambre basse du parlement, Szymon Holownia, et du parti paysan PSL, propose "le retour de l'ancienne loi" de 1993 qui prévoyait un droit très limité à l'avortement.
"La question a été finalisée, le projet de loi sera transmis au Parlement", a déclaré Donald Tusk, à l'issue d'une réunion du Conseil des ministres. Selon ce texte la pilule du lendemain sera "accessible sans prescription", a-t-il assuré.
La prescription médicale restera nécessaire pour les moins de quinze ans, comme c'était le cas avant les restrictions introduites en 2017 par le pouvoir nationaliste populiste et entérinées par le président Andrzej Duda qui en est issu, toujours en fonctions.
"Je ne veux pas entrer dans les détails, mais il suffit d'un peu d'imagination pour se rendre compte du fonctionnement de ce médicament contraceptif. Le temps joue ici un rôle essentiel et le fait qu'une ordonnance ait été nécessaire a très souvent signifié que, dans de très nombreux endroits en Pologne, la contraception d'urgence n'était de facto pas disponible pour les personnes concernées", a expliqué Donald Tusk.
"C'est un grand moment pour nous tous ! Nous rendons aux femmes le droit de décider d'elles-mêmes", s'est félicité sur X (ex-Twitter) le ministère de la Santé. En 2022, seuls 161 avortements légaux ont été pratiqués, contre environ 2 000 avant le durcissement de la loi en 2020.
Selon des organisations féministes, 100 000 femmes interrompent chaque année leur grossesse en utilisant des pilules abortives, interdites en Pologne, ou en partant à l'étranger.
En mars 2023, une militante polonaise, Justyna Wydrzynska a été condamnée par un tribunal de Varsovie à des travaux d'intérêt général pour avoir contribué à un avortement, un cas sans précédent en Pologne. Son cas est en cours d'examen par un tribunal de deuxième instance.
Justyna Wydrzyńska en octobre 2023 à Paris.
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